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L’histoire était sortie en filigrane dans l’Equipe : la jeune classe lyonnaise montée en salaire cet été qui, devant les premières difficultés rencontrées dans le jeu, incrimine les nouveaux arrivants - du type «on y est arrivé la saison passée sans vous», etc. Le happening de Fournier posant dès lors le corollaire suivant : les nouveaux arrivants ont raison et la jeune classe a tort. On confesse y avoir vu une manière de révélation cosmique. On s’était posé la saison passée devant les post-ados en question - Alexandre Lacazette, Anthony Lopes, Jordan Ferri, Corentin Tolisso - et on avait été sidéré de la netteté de leur approche, un mélange difficile à définir d’innocence par rapport au jeu, de cran, d’effacement derrière la geste collective et de respect à tous les niveaux - le maillot, l’adversaire, les questions qu’on leur posait ce jour-là. Une forme d’académisme : des gamins respirant le même air depuis leurs années de formation et montant les marches ensemble en soignant la posture, sans pour autant chanter le refrain d’Au lycée Papillon et de l’amitié cimentée par des années de repas en commun dans le réfectoire de Tola-Vologe. Corentin Tolisso pointait alors à 35 000 euros mensuels : le voilà à 200 000 brut, à s’échanger des tartes avec son coéquipier Lindsay Rose - qui sera mis à pied - lors d’un entraînement. Le gardien Lopes navigue désormais dans les mêmes eaux salariales : on l’a vu truander pour la galerie - les caméras et le qu’en-dira-t-on - le 16 octobre à Monaco, hurlant avoir été bousculé en l’air par un adversaire alors qu’il était passé au travers sans avoir besoin de personne.
Où sont ces gars-là aujourd’hui ? Tolisso en a parlé dans l’Equipe et on y a vu les vestiges de cette droiture qui les tenait debout au printemps : «C’est difficile de voir son salaire affiché dans les journaux parce que tous vos amis et votre famille l’apprennent. Ce n’est pas facile à assumer la première fois. Même si c’est le métier qui veut ça, même si tous les salaires sont connus dans le football. J’ai essayé de bien le gérer.» L’argent a tué des joueurs : un président nous confiait un jour avoir démoli des types pour leur avoir fait faire un saut de 30 000 euros brut à 80 000. Parce que leur environnement change du jour au lendemain avec l’apparition d’une cour exponentielle ? Parce que la culpabilisation va avec ? Parce que certains joueurs gardent rancune de leur ancien salaire, sur le mode «il m’a bien niqué» ?
Le dirigeant en question avait dit un peu tout ça. Avant de tirer la conclusion suivante : «Les emmerdements commencent quand le mec pense qu’il vaut ces 80 000. Au-delà d’un certain niveau, ce qui se paye très cher, c’est paradoxalement l’indifférence à l’argent. Un mec comme Jérémy Toulalan a été à 200 000 par mois toute sa vie parce qu’il se fout complètement de ce qu’il gagne, parce qu’il a compris à même pas 20 ans que ça allait pleuvoir, que le système était ainsi fait. Quand tu intègres ça jeune, tu parviens à une forme de déconnexion entre le foot stricto sensu et le reste.»
L’entraîneur : le poste avancé-reculé
Jusqu’à ce fameux 23 octobre, l’entraîneur de l’OL, Hubert Fournier, était catalogué depuis son arrivée à Lyon en juin 2014 comme «gentil accompagnateur» d’une génération, comme un coach n’en trouve qu’une dans sa carrière. L’étiquette était sans doute injuste ou à tout le moins un peu courte, mais l’intéressé ne s’en formalisait pas, homme de système faisant sa pelote dans l’ombre d’un président, Jean-Michel Aulas, jamais bien loin du terrain et des choix sportifs.
Au moment où Fournier donne quitus à ce qui s’écrivait sur son vestiaire et prend partie dans l’histoire, Aulas est en train de traiter les journalistes de «rigolos assoiffés de sang» une vingtaine de mètres plus loin. Une affaire de limite : Fournier estime alors que la cote d’alerte est dépassée et qu’il faut faire autre chose, comme remettre les joueurs incriminés non pas face à l’argent qu’ils gagnent mais face à leurs actes. A bien y regarder, le coup de semonce était survenu plus tôt dans la saison, à la mi-septembre. Cet homme notoirement secret s’était alors livré dans l’Equipe Magazine dans des proportions inédites, livrant quelques clés, dont celle-ci : un gros coup de déprime suite à la disparition de sa mère dans un accident de voiture lorsqu’il avait 12 ans. «Le foot m’a alors sauvé. Enfin, pas sauvé, mais il m’a permis de garder le contact, d’avoir un but. Etre dans un groupe permet de mieux affronter ces périodes. Mon père était restaurateur, j’étais un peu livré à moi-même, j’avais mes tantes mais ce n’est pas pareil. Je me souviens m’être fait une carapace. Ça fait une vie.»
Le tout lâché sans une once de pathos, comme la plonge l’été pour se faire «quatre sous» et cet aveu qui pèse lourd à son échelle : «Je ne suis pas sûr d’être plus lisse qu’un autre.» Lyon s’est choisi comme garant de l’intérêt collectif un homme un peu lointain, élevé au sport à Pontgibaud dans le Puy-de-Dôme : une manière d’immobilisme, l’écho distant du passé et celui qui tirera le trait quand ses joueurs sortiront - ou non - du tunnel infernal où les néomillionnaires sont embringués. A club raisonnable choix raisonnés.
Le président : pyramide et culpabilisation
Club raisonnable ? Dès qu’on s’approche d’Aulas, on peine à comprendre. Jusque dans les détails : qu’un type portant des projets pesant des centaines de millions passe une après-midi à exhumer le tweet vieux de six mois d’un supporteur pour le confronter à sa méchanceté gratuite est un mystère aussi obscure que les racines du monothéisme, tout comme l’ardoise cumulée d’un club coté en Bourse qui déclare perdre entre 10 millions et 30 millions d’euros par exercice depuis la nuit des temps.
On aura saisi ça au vol : le stade les Lumières est son grand œuvre, sa pyramide de Khéops à lui, la trace spectaculaire et concrète en ce bas monde d’un homme ayant fait fortune dans les logiciels de gestion avant de passer sa vie à faire valser des flux financiers invisibles partout en Europe. Partant, la question de sa stratégie se pose. Depuis le début des négociations salariales avec les joueurs, Aulas n’a pas cessé d’agir à livre ouvert, balançant publiquement le montant des propositions ou contre-propositions comme s’il s’agissait d’une émission de télé-réalité. Une fois les négos achevées, le président de l’OL a encore appuyé sur le champignon : un tweet par-ci, une contrevérité par-là, et Lacazette qui était encore sommé la semaine dernière de «justifier son nouveau statut», c’est-à-dire les 400 000 euros mensuels que son président lui a concédés en toute conscience. Fin septembre, l’international tricolore avait eu une réaction très violente dans l’Equipe, parlant du sens de la responsabilité d’un dirigeant suivi par 435 000 abonnés sur Twitter. Aulas aurait alors pu le remettre en face de son découragement surjoué à l’entraînement en août, quand l’attaquant allait avec lui au bras de fer pour arracher un meilleur contrat. Le président lyonnais n’a pas pris cette peine. Il y a beaucoup de choses qu’un type comme Lacazette va devoir comprendre tout seul.