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LIGUE EUROPA - Ramon Rodriguez Verdejo, dit “Monchi”, est l'architecte du FC Séville. Celui qui l'a fait passer du statut de promu en Liga au sommet de l'Europe avec déjà, trois Ligue Europa à son actif. Ancien gardien du club, Monchi est aujourd'hui le directeur sportif le plus célèbre d'Espagne. Un homme convoité. Et un francophile convaincu, aussi. Il nous explique ses méthodes.
Pouvez vous nous expliquer la philosophie du FC Séville?
M. : Comme nous n´avons pas les moyens financiers de recruter Iniesta, Ronaldo ou Messi, nous devons avoir une politique sportive solide pour gagner des titres. C'est à dire, bien acheter et bien vendre pour pouvoir aborder le marché des transferts avec force. Donc, on cherche des joueurs, je dirais "à moitié connus", pour que ces derniers explosent à Séville.
Les signatures idéales pour vous ont été Daniel Alvès ou Ivan Rakitic si l´on suit ce principe?
M. : Oui mais pas qu'eux. Vous avez pris Rakitic comme exemple. Nous l'avons acheté à un prix raisonnable à Shalke 04 (2,5 M, ndlr) avant de le revendre cet été au Barça. Quelques-uns nous ont reproché son départ mais il faut être réaliste. Il était à six mois de signer gratuitement dans un autre club et nous l'avons transféré à un prix très élevé (18M). De mémoire, je ne sais pas s'il y a beaucoup de joueurs qui sont partis pour autant à un an de la fin de leur contrat. Alors Ivan bien sûr, Daniel Alvès, mais aussi Adriano, Medel, kondogbia, Seydou Keita…
Ça fait beaucoup d'années que l'on suit ce modèle. Et le temps nous a donné raison. Nous avons gagné sept titres, dont trois Europa League. Nous sommes en lice pour en gagner une quatrième. Nous avons fait dix finales en tout. Et sauf une année ou deux, nous avons eu une équipe très compétitive tant en Liga qu'en Coupe d'Europe.
Sur quoi se joue l'attractivité de Séville?
M. : Nous prenons avant tout des joueurs qui ont faim. Ça peut être une faim de titres, une faim de temps de jeu ou une faim de reconnaissance. Daniel Alvès par exemple avait faim de titres. Kanouté c'était plus un besoin de reconnaissance, ou plus précisément un besoin de se sentir important. C'est pour cela que le travail en amont est indispensable. Il faut connaître les désirs du joueur au maximum, histoire d´avoir les bons mots et de lui apporter finalement ce qu'il veut vraiment.
Vous n'aimeriez pas avoir l'appui de fonds étrangers, type Qatari, pour aller plus loin dans votre projet?
M. : Je n´aime pas parler de choses qui ne sont pas possibles. Ou du moins, qui ne sont pas réelles. Notre modèle de gestion est complètement autonome et n'a besoin d´aucun investisseur. Les resultats prouvent qu'un club bien géré, qui anticipe les choses et connaît le football n'a pas besoin d´aide extérieure. Je ne suis pas contre les fonds d'investissement ou les mécènes, mais notre club est capable de s´autofinancer avec sa structure actuelle.
Vous aviez neuf scouts sous vos ordres en 2007. Combien êtes-vous désormais?
M. : J'ai seize personnes dédiées au scouting mondial. Et chaque technicien a l´obligation de suivre un nombre déterminé de compétitions. Un exemple: l'un de mes meilleurs éléments, Ramon, suit la France, le Portugal et les Pays-Bas. Il doit être parfait et savoir un maximum de choses. Une liste est ensuite dressée. Si un joueur est sélectionné, nous partons le voir une douzaine de fois minimum avant de le signer.
On suppose que vous avez le dernier mot...
M. : Non, pas forcément… Je regarde le joueur évidemment, soit sur vidéo ou sur un terrain. Mais ça ne veut pas dire que mon opinion est omnipotente. Certains sont venus à Séville alors que je n'étais pas convaincu à 100%. Mes techniciens, si l´étaient. J´ai une grande confiance en eux. J'ai un fonctionnement très démocratique (sourires)… Inversement, je peux être convaincu par quelqu'un sans que mes scouts ne le soient vraiment.
Tentez-vous de déjeuner avec le joueur et son entourage avant de le faire signer?
M. : Ce n'est pas toujours facile car il y a beaucoup de concurrence et finalement, tout se sait. Il faut être discret. Mais j´essaye toujours de parler au joueur, soit par téléphone soit en face. Bien sûr, on sait à peu près tout de son entourage, son père, sa mère, sa femme, ses amis… mais le voir avant pour valider ou non un transfert, c´est de plus en plus difficile. Mais oui, ça peut arriver qu'un mauvais feeling avec le joueur fasse capoter un transfert.
Concrètement, comment fonctionnez vous pour établir ces listes de joueurs à suivre ?
M. : Nous avons un schéma précis et clair. Tous les rapports sont les mêmes. Il faut aller vite et surtout être précis. Sinon, il est difficile de comparer toutes les données. Le scout fait trois commentaires à chaque rapport :
Un commentaire technique-tactique-physique
Un commentaire économique, le prix du joueur pour être clair
Un commentaire sur sa situation personnelle, son caractère, entourage, etc…
Chaque commentaire est ensuite conclu d´une lettre. A, B, C, D, E. Le A signifie que le joueur doit être signé tout de suite. Le B, joueur intéressant. Le C, à suivre. Le D, à éviter. Le E, à fuir (rires). Ainsi, nous avons une idée rapide, intuitive et claire du joueur. Prenons un exemple, Greg Krychowiak. Nous avons fait douze rapports sur lui. A chaque fois, j´ai regardé combien de A il avait, combien de B… et son évolution tout au long de la saison. Vous avez compris qu´il avait pas mal de A hein (rires).
Combien de rapports étudiez-vous chaque semaine?
M. : Je regarde surtout beaucoup de matches. Plus de quinze par semaine pour faire un suivi de vingt à vingt-cinq joueurs. A la fin, je dois lire une cinquantaine de rapports... si ce n´est plus!
Comment collaborez-vous avec votre entraineur Unai Emery?
M. : Le coach nous donne un profil. Par exemple, il veut un latéral gauche qui sache bien déborder, très rapide, avec une bonne technique. Ok. On cherche, je lui trouve Tremoulinas. Parfait. Normalement, le coach ne donne pas de noms précis. Mais si j´ai une liste de joueurs répondant parfaitement au profil et qu'il y en a qui lui plait, on ne se complique pas. On prend son choix.
Y a-t-il un joueur qui vous laisse des regrets?
M. : Oui, Robin Van Persie. On a été tout près de le faire venir. C'était en 2004. On avait même voyagé à Rotterdam pour boucler l´opération. Mais ça a fuité alors que l´on avait été super discrets… Et Arsenal l'a su. Son pouvoir de séduction était bien supérieure au notre. Les Gunners ont fait signer Robin. Dommage...
Vous aviez dit il y a quelques années que Lyon avait été votre modèle, puis le FC Porto. Aujourd'hui, le FC Séville-a-t-il encore besoin d´un modèle?
M. : Je ne pense pas. Et je le dis sans prétention. Toutes ces années, nous avons prouvé que nous avions un savoir faire. Je crois en mon propre modèle.
Que doit faire Lyon justement pour continuer de progresser?
M. : Je ne suis personne pour donner des conseils. Mais d´après ce que je vois, cette équipe est déjà très forte. Son futur dépendra de sa capacité à garder ses meilleurs éléments. L'OL a des joueurs qui potentiellement, peuvent jouer dans les meilleurs clubs du monde. Certains ont des profils "tops" comme Lacazette, Tolisso, Fekir… Des profils qui intéressent d´immenses clubs, ceux contre qui on ne peut déjà plus lutter... Si la structure est conservée, on va revoir le Lyon d´il y a dix ans, celui qui dominait la France et faisait peur à l´Europe.
Que pensez-vous des méthodes de scouting des clubs français?
M. : Je ne connais pas assez pour en parler. Mais en Espagne, nous sommes très avancés dans ce domaine, sans doute plus que d´autres championnats. Les résultats en Coupe d'Europe prouvent que les clubs de Liga sont très, très compétitifs au plus haut niveau. Regardez: j´ai fait un "stage" cet été en Angleterre où j´ai visité plusieurs clubs. J´ai parlé avec beaucoup de monde. Je peux dire qu'ils gèrent beaucoup, beaucoup plus d´information que nous, mais que nous sommes plus efficaces.
En Angleterre, le president ou l´entraîneur ont beaucoup de poids dans le recrutement. Je pense que les clubs en Espagne ont la structure la plus logique: un entraîneur qui coache et qui donne ses profils. Un directeur sportif et ses assistants qui trouvent les joueurs. Un président qui finit l´opération.
Là où les Anglais sont à des années lumière, c´est dans le marketing, la mise en valeur des rencontres, l´accueil des supporters, le confort des joueurs… J´ai appris qu'il y avait des employés specialisés dans les recherches d´appartements ou le choix des écoles. Dans certains clubs, cinq personnes sont exclusivement dédiées au bien être des joueurs. C'est fou.
Comprenez vous que le PSG fonctionne sans un directeur sportif fort depuis le départ de Leonardo?
M. : Paris fonctionne sur le modèle anglais, mais chacun choisit le modèle qu'il considère opportun. Soyons clairs: le PSG peut faire le triplé national et possède une immense équipe. Ce n´est pas notre manière de faire, mais si Paris pense que c'est le meilleur, très bien.
Pourquoi le joueur français est-il si intéressant pour vous?
M. : Le joueur français a trois avantages. La Ligue 1 n´est pas spécialement chère. Le joueur de Ligue 1 est physique. Et enfin, le joueur de Ligue 1 ne se cache pas. Il aime la compétition, il va au charbon. Tous ces paramètres, nous les retrouvons à Séville. Nous faisons attention aux dépenses. Nous avons un jeu physique, auquel nous joignons un sens tactique développé et une certain touche technique. Et enfin, nous aimons la compétition. La L1 est un championnat privilégié pour le FC Séville.
Comptez vous sur Kevin Gameiro l´an prochain?
M. : Bien sûr! Kevin est heureux à Séville. Notre club porte un soin exceptionnel à ses joueurs. Et tout cela, ils le voient bien… Kevin est très important. C´est un joueur "top", meme si la concurrence avec Bacca est forte. Je sais qu'il aimerait retourner en sélection et franchement, il en a les capacités. Mais il doit faire face à Benzema, Giroud, Lacazette, Fekir, Rémy, Griezmann… vous imaginez?
Vous vous verriez ailleurs qu'à Séville?
M. : Personne n´est éternel et un jour, je partirai. Mais je pense toujours à court terme. Aujourd'hui, je suis concentré sur ce match contre la Fiorentina et sur la fin de saison en Liga. Je ne m'en fais pas pour mon futur.