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Thauvin, au coeur du malaise
Depuis son arrivée à Marseille, en 2013, l'attaquant fait l'unanimité contre lui dans le vestiaire, alors que son président et ses entraîneurs l'ont longtemps protégé. Récit.
L'ANECDOTE montre à quel point Vincent Labrune tient à son Florian Thauvin. La scène se déroule à Bordeaux, avant une défaite qui fera mal (0-1, 12 avril). Un épisode va pourtant redonner le sourire, après coup, aux joueurs marseillais. À la descente du bus au stade Chaban-Delmas, Margarita Louis-Dreyfus, la patronne de l'OM, met un courant d'air monumental à l'attaquant venu lui serrer la main. Les images sont captées par Canal + et commencent à faire le tour des réseaux sociaux, sur lesquels les moqueries fusent. Sentant venir le buzz négatif, l'état-major marseillais envoie alors un intendant chercher Thauvin sur la pelouse pendant l'échauffement pour rejouer la scène de la poignée de main avec MLD. Manque de chance, le remake, moins spontané, n'a pas intéressé grand monde, mais a fait beaucoup rire le vestiaire marseillais.
L'histoire, légère et cruelle à la fois, résume ce que vit Thauvin depuis son arrivée de Lille, à l'été 2013, pour une somme assez extravagante, 14 millions d'euros (12 M€ pour le LOSC et 2 M€ pour Bastia). Malgré le soutien indéfectible de son président en coulisse et celui – qui a tendance à s'essouffler – de son entraîneur, Marcelo Bielsa, l'ancien Bastiais (22 ans) n'arrive pas à s'imposer de manière indiscutable à l'OM. Et ce n'est pas sa belle entrée contre Monaco (2-1) la semaine dernière qui peut effacer deux saisons très ternes et une année 2015 catastrophique (un seul but).
Qu'a-t-il montré depuis qu'il est à Marseille pour mériter toutes les attentions de ses dirigeants et les louanges de Bielsa, pour lequel il est « l'un des meilleurs joueurs » qu'il ait eus sous ses ordres ? C'est bien ce que se demandent la majorité de ses coéquipiers depuis deux ans et même certains supporters, qui l'ont sifflé à plusieurs reprises cette saison au Vélodrome.
BAUP :
« IL DIT LES CHOSES EN FACE, LUI »
Le vestiaire marseillais, où se côtoient quelques caractères bien trempés, n'est pas réputé facile, c'est vrai. Thauvin a dû affronter la jalousie et la méfiance à son arrivée, mais, par son attitude parfois hautaine, son manque de recul sur ses prestations et quelques déclarations publiques malheureuses, il n'a pas fait grand-chose non plus pour dissiper le malaise. Ses appels du pied au sélectionneur, Didier Deschamps, la saison dernière, et sa conférence de presse avant la reprise de la Ligue 1 cet été, au cours de laquelle il affirmait vouloir porter l'OM après le départ de Mathieu Valbuena, résonnent d'une drôle de manière avec le recul.
L'attaquant a ses partisans. Des anciens Bastiais, comme Julian Palmieri, ont l'habitude de jouer les avocats dans la presse. Récemment, Élie Baup nous confiait : « Florian est un bon mec. Il dit les choses en face, lui. » Sous-entendu : il y a des personnages plus intrigants dans le groupe marseillais. Peut-être, mais la réalité est que Thauvin est esseulé depuis longtemps déjà dans un groupe au sein duquel il n'a pas réussi à trouver sa place. Son plus fidèle défenseur a lui aussi craqué l'espace d'un match, contre Lorient (3-5, 24 avril). Depuis qu'il était venu le soutenir à l'hôpital lors de sa grave blessure aux cervicales, en fin de saison dernière, Steve Mandanda, le gardien, avait pris le jeune homme sous son aile, ce qui lui a évité sûrement quelques désagréments. À la mi-temps contre les Merlus, le capitaine marseillais, excédé lui aussi par son comportement, l'a pourtant secoué verbalement devant tout le monde, alors qu'André Ayew avait passé la première période à lui crier dessus. Ce jour-là, le Ghanéen avait été titularisé… latéral gauche, ce qui avait été interprété par beaucoup de joueurs comme une manière de la part de Bielsa de sauver la place de titulaire de Thauvin. L'entraîneur avait sorti ce dernier à la pause avant de l'écarter du groupe à Metz (2-0), pour le match suivant.
La mansuétude dont a fait preuve le technicien envers l'attaquant de l'OM a longtemps été incompréhensible pour beaucoup de ses coéquipiers. D'autant que Thauvin, qui déplore en privé devoir se sacrifier défensivement sur les côtés et lorgne clairement une place dans l'axe la saison prochaine, n'a pas toujours été irréprochable avec son coach.
« LÂCHE-MOI,
ESPÈCE DE GROS PORC ! »
Lors d'une mise en place il y a quelques semaines, à une époque où l'ex-Bastiais était encore un titulaire indiscutable pour Bielsa, une remarque de son entraîneur l'a fait exploser. « Mais lâche-moi, espèce de gros porc ! », a lancé le joueur, assez fort pour que ses partenaires mais aussi le traducteur entendent. Embarrassé, ce dernier ne s'est pas risqué à faire son métier sur ce coup-là. Ce n'est pas tant l'insulte que l'ingratitude envers l'un de ses plus fidèles protecteurs qui a médusé certains joueurs. Bielsa a mis du temps à percevoir le malaise de son groupe et les crispations provoquées par le cas Thauvin cette saison. Aujourd'hui, selon les rares informations qui sortent de son staff, l'ancien entraîneur de Bilbao semble regretter de n'avoir pas fait jouer la concurrence plus tôt.
Thauvin n'est plus intouchable pour « el Loco » mais aussi aux yeux de ses dirigeants, qui l'ont placé sur la liste des « transférables » potentiels et qui ont prévenu de cette éventualité (voir L'Équipe du 24 avril). Un temps conseillé par les avocats du club dans son litige avec « tonton Adil », l'attaquant n'a pas d'agent attitré, même si beaucoup de monde lui fait la cour, notamment Karim Aklil, bien connu à Marseille. Vincent Labrune s'est donc déplacé personnellement à Tottenham pour le proposer mais, visiblement, la démarche n'a pas eu beaucoup de succès. Le joueur annonce aujourd'hui vouloir s'imposer à l'OM. Changement de stratégie de son président, qui, au fond de lui, a très envie de le voir réussir à Marseille, ou simple communication de l'instant ? C'est peut-être cruel mais, aujourd'hui, la seule question à se poser est plutôt de savoir si ses coéquipiers ont encore envie de le croiser une saison de plus.
BAPTISTE CHAUMIER ET VINCENT GARCIA
SES CHIFFRES
FLORIAN THAUVIN N'A INSCRIT QUE CINQ BUTS,son plus faible total en Ligue 1 (10 en 2012-2013 et 8 en 2013-2014).
IL RESTE SUR DOUZE MATCHES DE L 1 SANS LE MOINDRE BUT, NI LA MOINDRE PASSE DÉCISIVE, sa plus longue disette depuis qu'il évolue en L 1.
TROIS DE SES HUIT DERNIERS MATCHES DE L 1 ONT ÉTÉ DISPUTÉS EN TANT QUE REMPLAÇANT, alors qu'il avait été titulaire lors de ses 30 précédents.
Thauvin : " Ça se passe bien avec mes partenaires "
FLORIAN THAUVIN a pesé tous ses mots, hier, dans une conférence de presse soigneusement préparée, au cours de laquelle il a notamment évoqué ses rapports avec ses coéquipiers.
SA SAISON
« Visiblement, ça m'a fait du bien de ne pas aller à Metz. Je suis un compétiteur, alors j'étais énervé et très vexé, c'est vrai. Mais le coach se trompe rarement et on a constaté qu'il ne s'était pas trompé. En deuxième partie de saison, ce n'est pas satisfaisant. Mais j'ai travaillé. J'ai beaucoup couru et progressé dans d'autres domaines. J'ai appris à défendre, ce n'est pas la saison que j'espérais mais j'en tire de bonnes conclusions. »
SES RAPPORTS AVEC SES COÉQUIPIERS
« J'ai entendu des rumeurs comme quoi je n'étais pas bien dans ce groupe. Regardez les séances d'entraînement, ça se passe bien avec mes partenaires. L'histoire avec Dimitri (il l'avait insulté à Rennes), je la regrette. On sait qu'on peut être complémentaires sur le terrain. C'est normal que, parfois, des joueurs se crient dessus. On est sous tension mais unis vers le même objectif, la gagne. »
LES SIFFLETS DES SUPPORTERS
« C'est toujours compliqué de se faire siffler. Mais c'est la vie d'un footballeur. Les supporters ne sont pas mes adversaires. Mon adversaire, c'est moi-même. Je ne suis pas leur tête de Turc mais ils veulent des joueurs performants, c'est normal. »
SON AVENIR
« On ne sait pas ce qu'il peut se passer. Si le club n'est pas dans les trois premiers, il aura besoin d'argent. Pour ce qui est de ma position, dans ce cas-là, on verra bien. Mais j'ai envie de réussir à l'OM. »