Meïssa Ndiaye, l'agent à l'omniprésence discrèteL'agent français Meïssa Ndiaye (38 ans) est patiemment devenu un des principaux acteurs du mercato hexagonal comme européen. Ses interlocuteurs racontent ce négociateur courtois et exigeant.
À l'autre bout du fil, notre témoin s'esclaffe : « Vous êtes en retard les gars, pourquoi se réveiller cet été ? Meïssa, je l'appelle le "roi du mercato" depuis 2019 et le transfert de Ben Yedder à Monaco. C'est notre petit jeu ! » Ce dirigeant, passé par plusieurs grandes écuries européennes, aime raconter son Meïssa Ndiaye, mais en off seulement.
La confidentialité et le mystère escortent la trajectoire de ce Parisien de 38 ans, dont la vie médiatique se résume au classement Forbes des agents sportifs publié chaque année. Il y figure souvent en bonne position avec des revenus dignes d'un joueur du Championnat saoudien (1). « Un jeune agent très fin, un mec simple, intelligent », selon Andrea Berta, le directeur sportif de l'Atlético de Madrid, qui fait l'introduction.
En 2023, Meïssa Ndiaye est partout. Derrière l'arrivée de Patrick Vieira sur le banc de Strasbourg et de Francesco Farioli sur celui de Nice. Aux côtés de Ludovic Blas et de Geoffrey Kondogbia, recrues majeures de Rennes et de l'OM, ou encore de Seko Fofana, transféré à Al-Nassr (ARS), et de Marcus Thuram, qui a décroché un contrat gourmand à l'Inter Milan. Dans le sillage des deux promesses de Bordeaux, Junior Mwanga et Dilane Bakwa, en route pour Strasbourg.
En démineur à Lorient pour renouer le lien entre Loïc Féry et son client Régis Le Bris, avant le mouvement le plus surprenant de l'année : Benjamin Mendy, passé en quelques jours des tribunaux britanniques au stade du Moustoir.
« Ben », comme le surnomme Ndiaye, est l'un des principaux fils rouges de sa carrière. Son ticket pour le grand monde, d'abord. Fin juin 2013, alors que Le Havre a quasiment vendu le latéral à Sunderland pour 4,5 M€, l'agent reprend le dossier en urgence et le place à l'OM pour 2,5 M€.
À Crans-Montana (Suisse), où le groupe marseillais dirigé par Élie Baup se trouve en stage, le président Vincent Labrune voit débarquer « un mec de 28 ans, large d'épaules, habillé comme un milord. Le soleil tape et son costard est lunaire, je crois que j'ai affaire à un fou qui m'arrange un coup. Je me trompe lourdement ». Pas sur tout.
Les coups, Labrune aime ça et il va en faire grâce à Ndiaye. Au moment de sa sortie du club, à l'été 2016, lâché par tous ou presque, il confie : « Meïssa m'a permis de prendre Mendy, Michy Batshuayi, Georges-Kevin Nkoudou et Lassana Diarra pour moins de 10 M€, et ils ont rapporté près de 55 M€ au club. » Le « milord » a alors 31 ans et il est devenu un proche de Labrune.
Sur la vente de Batshuayi à Chelsea pour 40 M€ (2), il va avoir un sacré geste pour le boss marseillais déchu. Kyril Louis-Dreyfus, le fils de la propriétaire de l'époque, raconte : « Ce transfert de Michy avant le 30 juin a sauvé l'OM auprès de la DNCG. Et Meïssa s'est assis sur une commission de 2 M€ (négociée deux ans plus tôt). Parce qu'il appréciait Vincent, parce qu'il cherchait à aider le club. »
Kyril, l'ado qui aimait papoter avec Ndiaye dans les coursives du Vélodrome, est aujourd'hui l'actionnaire principal de Sunderland (Championship). Et il continue de deviser avec l'agent : « Il a un joueur chez nous, Abdoullah Ba (un milieu français âgé de 20 ans formé au Havre). Mais si vous saviez le temps qu'on passe sans faire de business ! C'est une réelle amitié professionnelle, je suis ravi de le connaître, d'avoir son opinion. Alors que les formations de Championship sont historiquement basées sur des joueurs anglais en fin de carrière, nous sommes allés sur des espoirs étrangers et nous avons eu l'équipe la plus jeune des cinq premières divisions anglaises. Meïssa m'a donné de la force pour partir sur cette stratégie. »
L'agent francilien voit sur le long terme. Prenez Julien Fournier, l'ancien directeur sportif de l'OGC Nice (2011-2022). Lors de leur rencontre, planifiant la venue de Jean-Victor Makengo à l'été 2017, Fournier, tout sauf fan de Labrune, a « un a priori pas forcément positif. On s'est jaugés. Après, j'aime les mecs qui sont bons, lui ne te met pas de disquette. Meïssa a analysé tout l'écosystème. Il ne propose pas des joueurs qui n'ont rien à voir avec le club. Et ne va pas se fourrer dans les deals qui ne le concernent pas ».
Fournier le reverra à l'été 2019, pour l'arrivée d'Alexis Claude-Maurice, l'une des premières recrues du Nice d'Ineos : « Une période particulière, où on se fait déchirer sur le marché. Meïssa profite d'un bon timing, il ne me fait aucun cadeau. Pour moi, il a un défaut : il est beaucoup trop cher. En négo, c'est mon pire ennemi, il a des demandes presque déraisonnables. Cela fait partie du jeu. J'ai une revanche à prendre, et je la prendrai. »
L'ancien secrétaire général de l'OM assistera fin 2019 à la relation naissante entre Patrick Vieira, alors entraîneur du Gym, et Ndiaye, et il n'est pas surpris : « Il suit à fond sur l'aspect humain, il connaît les fragilités du joueur, de l'entraîneur, et les dirigeants ont besoin d'agents de ce type. À distance, deux dossiers m'ont touché. Le travail obscur qu'il a fait après la mort d'Emiliano Sala : extrêmement proche de la famille, il les a vraiment accompagnés. Et sur Mendy, il s'est toujours dit l'agent du joueur, il ne lâchait rien alors que le gamin se faisait lyncher médiatiquement. »
Benjamin Mendy, on y revient. Encore, toujours. Le firmament, avec le passage de Monaco à Manchester City pour 58 M€ à l'été 2017, une somme alors record pour un défenseur. Puis la descente aux enfers, les moeurs décortiquées dans les prétoires et les tabloïds, le couperet judiciaire qui menace de s'abattre. Ndiaye confronte son joueur, sonde son âme, puis il s'active. Il dégote une ténor du barreau, Eleanor Laws, qui sera épaulée par des avocats du cabinet Hickman & Rose, déjà à la manoeuvre sur le dossier Sala.
Détenteur d'un master de droit international des affaires à la Sorbonne et d'un autre au Centre de droit et d'économie du sport de Limoges, le pointilleux Ndiaye ne souhaite jamais être cité, mais il est capable d'appeler un journaliste pour lui préciser la notion de « bail » en droit anglais, qui peut signifier « contrôle judiciaire » ou « liberté conditionnelle sous caution ».
En privé, il invite à la prudence sur l'issue du procès. « Début 2022, il m'a dit : "Il aura un non-lieu, tu verras." », confie un proche dirigeant. À la femme d'un autre, une amie qui affiche son scepticisme, il enverra un texto de deux mots quelques minutes après le verdict, le 14 juillet dernier : « Not guilty » (« non coupable »).
« Il est difficile de gagner un rapport de force intellectuel avec Meïssa », souriait Labrune, quand il dirigeait l'OM. Condamné en première instance par la FIFA à une amende de 28 M€ pour la rupture abusive en 2020 du contrat de Jean-Kévin Augustin, un de ses poulains, Leeds s'en est rendu compte au printemps après plusieurs années de guérilla juridique (les Peacocks ont interjeté appel).
Amine Harit, le milieu offensif de l'OM, connaît cette rigueur presque excessive. Avec son père, il a rencontré Ndiaye à Clairefontaine alors qu'il n'avait que 13 ans. Il le prendra comme agent dix ans plus tard, lorsqu'il évolue à Schalke 04. « De ma dernière saison galère à Schalke jusqu'à ma convalescence ces derniers mois (après une entorse des ligaments croisés du genou gauche juste avant la Coupe du monde), il s'est toujours occupé de tout pour que je me concentre sur le foot », confie l'international marocain (26 ans, 16 sélections).
« Quand je signe à Marseille fin août 2021, le transfert est bloqué par la DNCG, poursuit l'ancien Nantais. Le mercato est fini et je ne peux même pas être enregistré ! Meïssa m'appelle toutes les dix minutes : "Je t'ai ramené ici, je t'ai fait une promesse, tu vas jouer à l'OM.'' Il me rassure, chasse ma peur. Et je signe ! Jamais je ne pourrais travailler avec un autre agent. Meïssa, c'est trop carré. »
Harit s'est fixé un défi : « Je vais l'emmener au Parc Astérix ! Quand il ne bosse pas, Meïssa est casanier, il fait son sport chez lui, il ne veut pas qu'on le voie, il est presque cachottier. Moi, j'aime le sortir de chez lui, un petit restau le soir dès que je remonte sur Paris ou un brunch. Ne pas être toujours dans le sérieux. »
Fils d'un Sénégalais et d'une Tunisienne, venus en France pour travailler dans des milieux artistiques, Meïssa Ndiaye a fait quelques allers-retours entre l'Île-de-France et Dakar dans sa prime enfance, puis a grandi dans l'Est parisien. Avant d'habiter en Italie, où il ira souvent la visiter, sa tante a aussi pris soin de lui. Ndiaye a joué au foot à Paris 11 et au CO Vincennes, gardien ou attaquant, il a surtout fait ses gammes dans le judo, à Asnières, avec des premiers podiums nationaux dans la catégorie - 73 kg.
Deux rencontres décisives lors d'un voyage à Londres, pour le réveillon du 31 décembre 2005, dont une avec un certain Didier Drogba, l'inciteront à se lancer dans le milieu du foot et il obtiendra sa licence d'agent au printemps 2006. Son ami d'enfance, Souleymane Bamba, dit « Solo », sera le premier client de sa structure, Sport Cover, lancée en 2008. Et le FC Nantes, via Loïc Nego, William Vainqueur ou Georges-Kevin Nkoudou, son premier fief.
Plusieurs firmes américaines ont essayé de racheter sa société, en vain
Son agence représente quarante-huit joueurs et quatre entraîneurs. Les bisbilles avec d'autres intermédiaires sont rarissimes. Elle est devenue une PME à succès, avec une douzaine de salariés, un département scouting, des collaborations avec des avocats comme Rhadamès Killy, grand spécialiste du droit du sport, de nombreux prestataires.
Dès le début des années 2010, Ndiaye a attaché de l'importance à la communication numérique de ses ouailles, ses équipes ciselant le moindre tweet de Mendy ou Batshuayi. Des joueurs qui ont vite affiché des sourires à facettes d'un blanc immaculé, dignes d'acteurs hollywoodiens, mais Ndiaye n'y est pour rien, nous jurait-il à leur apogée marseillais.
S'il fait travailler par fidélité des anciens protégés qui n'ont pas percé dans le foot, il est le seul agent de Sport Cover. Une façon de ne pas diluer son suivi, avec une conséquence pour ce croyant, qui se décrit « comme un compétiteur » : des journées de travail interminables et une vie privée amincie, symbolisée par ses dix-sept ans passés loin de ses racines sénégalaises avant une visite au pays en novembre 2021.
Ses plus gros transferts
Benjamin Mendy, de Monaco à Manchester City pour 58 M€, en 2017
Wissam Ben Yedder, du Séville FC à Monaco pour 40 M€, en 2019
Michy Batshuayi, de l'OM à Chelsea pour 39 M€, en 2016
Seko Fofana, du RC Lens à Al Nassr (ARS), pour 25 M€, en 2023
Jean-Kévin Augustin, du RB Leipzig à Leeds, pour 21 M€, en 2020
Plusieurs firmes américaines ont essayé de racheter sa société, en vain. Labrune a pourtant souvent prédit à Ndiaye un destin à la Rich Paul, le clinquant imprésario de LeBron James, ou les rênes d'une entreprise globale comme l'agence CAA, qui représente, entre autres, Leonardo DiCaprio ou Brad Pitt. Trop de projecteurs. Ndiaye préfère la diplomatie secrète avec les puissants.
De Pablo Longoria, le président de l'OM, qui adore sa politesse et la confidentialité des échanges, à Marina Granovskaia, l'ancienne directrice générale de Chelsea, qui dira juste à propos du redondant dossier Batshuayi, si souvent prêté et prolongé : « C'était notre événement annuel ! » En passant par Frédéric Massara, ancien cadre de l'AS Rome, qui a encore droit à une vanne en italien à chaque conversation (« Tu veux plus d'infos sur Wissam ? »), sept ans après avoir refusé Ben Yedder.
Toujours cette volonté de contrôler le moindre détail, de maîtriser l'environnement. « Je ne suis pas seulement présent pour la naissance ou la fin d'un contrat, mais sur toute sa vie », conclut Ndiaye, qui nous a autorisé une phrase en on après quinze jours de pourparlers.
Il représente trois entraîneurs en L1
Avec Patrick Vieira (Strasbourg), Régis Le Bris (Lorient) et Francesco Farioli (Nice), Meïssa Ndiaye représente trois entraîneurs de L1, ce qui peut susciter des questions sur le rapport entre ces derniers et les joueurs qu'il conseille. Selon son entourage, il ne se voyait pas accompagner des techniciens jusqu'à la sollicitation de Vieira, fin 2019, et préfère échanger avec les dirigeants ou les recruteurs.
« Il est fréquent que les bons agents aient plusieurs joueurs au club, et trois d'entre eux sont actuellement représentés par Ndiaye, confie Loïc Féry, le président lorientais. La saison dernière, vous avez vu que le coach dirige en toute indépendance et sans aucun favoritisme. Les titulaires sont désignés sur la base de critères propres au sportif, dans le seul intérêt du terrain, idem pour les motivations de la cellule de recrutement. »
La problématique liée aux agents d'entraîneur et d'éventuels biais n'est pas nouvelle, elle a culminé avec le tandem Jean-Pierre Bernès-Didier Deschamps, à l'OM et chez les Bleus. « Tout dépend du cadre mis en place par le club et une juste proportion », notent plusieurs directeurs sportifs.
À Nice, Farioli, reçu par plusieurs clubs de Championship, a été choisi parmi une dizaine de candidatures. Très marqué par le travail de Ndiaye l'été dernier du côté de Lens pour faire venir Brice Samba d'un Nottingham Forest réfractaire, puis pour prolonger Seko Fofana qu'il venait tout juste de récupérer à Sport Cover, Florent Ghisolfi, devenu directeur sportif des Aiglons, a décidé d'accorder une audition à Farioli. Qui a convaincu ensuite tout l'état-major niçois par ses idées de jeu et sa personnalité très vive. M. Gr.