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Faux agent ou victime du système ? Karim Aklil était jugé hier pour avoir exercé sans titre notamment dans des transferts concernant l'OM
La grosse montagne a accouché d'une petite souris. En juillet 2011, l'ouverture par les juges Thierry Azéma et Christophe Perruaux d'une information judiciaire portant sur des liens supposés entre le milieu corso-marseillais et l'OM avait fait l'effet d'une bombe à fragmentations.
Déclenchée à la suite de l'assassinat de Jacques Buttafoghi à Calenzana, en Corse, l'enquête s'était nourrie d'écoutes téléphoniques dévoilant les sombres dessous du football, puis progressivement, elle s'était déportée sur des soupçons "d'extorsions en bande organisée" pratiquées par des figures du banditisme. Ces équipes évoluant principalement dans la région aixoise auraient méthodiquement relevé une dîme sur nombre de transferts de joueurs, des prolongations de contrats, ou encore, sur des salaires artificiellement gonflés au préjudice du club olympien.
Tour à tour, le banc et l'arrière-banc des dirigeants étaient placés en garde et (ou) mis en examen : Vincent Labrune, Jean-Claude Dassier, Pape Diouf, Antoine Veyrat, Philippe Perez... Mais aussi, un agent fiché au grand banditisme, Jean-Luc Barresi, et son associé sur plusieurs transactions, Karim Aklil...
Cependant, malgré des investigations tous azimuts, l'affaire vendue sous le nom ronflant de "dossier mercato" avait progressivement fait pschitt. Tous les protagonistes étaient parvenus à faire annuler leur mise en cause, "pour défaut d'indices graves ou concordants", et l'ordonnance de renvoi, rendue en catimini, en mai 2022, avait sonné comme un fiasco. Les comptes n'étaient pas bons pour la justice : seuls deux "rescapés" restaient poursuivis pour des faits mineurs d'exercice illégal de la profession d'agent de joueurs, passibles d'un an de détention et de 15 000 euros d'amende.
Le premier, Farid Ayad, a sagement reconnu sa responsabilité et a accepté la procédure accélérée du plaider-coupable. Il a été condamné à 6 mois de prison avec sursis. Le second, Karim Aklil, s'est présenté hier devant la 6e chambre du tribunal correctionnel de Marseille dans l'espoir d'une relaxe.
Agé de 46 ans, ce Marseillais au physique solide est mis en cause pour avoir touché des commissions sur huit transferts réalisés par sa société Gilino Sport Corporate, entre 2008 et 2009, notamment le départ de Karim Ziani à Wolsbourg, le recrutement de Souleymane Diawara à l'OM et la prolongation de Mamadou Niang...
Problème : à cette époque, malgré plusieurs tentatives et un niveau scolaire élevé, il avait échoué au concours d'agent de joueurs. "Quand j'ai monté ma société de management de sportif de haut niveau, j'ai pris le soin de consulter des experts en droits du sport. Je connaissais les règles", s'explique-t-il à la barre. "J'avais un rôle de conseiller auprès des athlètes, que ce soit dans l'accompagnement, la conciergerie ou le marketing. Mais je n'ai jamais signé aucun contrat en activité en rapport avec l'activité d'agent de joueurs ! Du moins, jusqu'à ce que j'ai mon diplôme en 2009".
La signature était jusque-là dévolue à l'un de ses associés minoritaire, Didier Girard, qui, lui, possédait le précieux statut. "Je le consultais régulièrement. Il m'apportait sonexpérience. Didier est un notable, le patron de la foire, à la réputation parfaite", force le trait le prévenu. Pour l'accusation, au contraire, Didier Girard servait de "prête-nom" qui se contentait de poser la pointe de son stylo après que tout a été négocié de A à Z par Karim Aklil. Auditionnés, des dirigeants et des joueurs ont convenu que c'est bien Aklil qui était principalement en contact avec eux. "J'en ai eu des agents, mais Karim, c'était le meilleur", a maladroitement complimenté Diawara.
Plusieurs des affaires juteuses menées par Karim Aklil ont été conclues en association avec Jean-Luc Barresi, agent assermenté à cette époque. "Je sais qu'il a un nom sulfureux. Mais dans le football, les dossiers se mènent souvent en collaboration. Chacun profite des contacts de l'autre. la confiance était là", explique le prévenu.
En partie civile, l'avocat de l'OM, Me Olivier Baratelli, voit un autre lien d'intérêt à ce binôme : "Monsieur Barresi faisait peur, monsieur Aklil faisait le reste" tacle-t-il. "Karim Aklil fait parti d'un entourage aux noms lourd de sens, avec les Barresi et Anigo, qui sont sur une liste noire. Le nouvel actionnaire entend désormais dénoncer toutes les infractions qui pourraient être portées à sa connaissance et récupérer les préjudices du passé", poursuit la défense de l'OM, en chiffrant le manque à gagner pour le club à 2,6 millions d'euros. "Pendant des années, l'OM a été la poule aux oeufs d'or. Il fallait faire un maximum de transactions pour que tous puissent se payer sur la bête", appuie le prcureur, Jean-Yves Lourgouilloux. En défense, on refuse de rejouer le match précédent, qui s'est achevé par un non-lieu général. "Ce qu'on reproche à mon client aujourd'hui, c'est de la pipette", balaye Me Rebufat. Ce procès est une faute de droit. Il n'a jamais signé aucun contrat et il n'a agi que sous la direction de Didier Girard", recadre-t-il.
Avant cela, visiblement agacé de se retrouver seul à la barre - "d'autres dont Didier Girard auraient pu être à vos côtés comme complices", a convenu le procureur - Karim Aklil avait fait sien un vieil adage, voulant que meilleure défense soit l'attaque : "J'ai lu l'intégralité dossier. Toute cette affaire est partie d'une dénonciation calomnieuse de Jean-Pierre Bernès (agent de joueurs et de Didier Deschamps, nldr) à une conseillère de Nicolas Sarkozy. Il lui a dit qu'il y avait la guerre civile à Marseille. En réalité, tout s'est dégonflé. Bernès voulait simplement éliminer la concurrence", cingle-t-il. Et de s'attirer l'ironie du parquet : "Mais si vous n'étiez pas agent, ce n'était pas un concurrent ?". La décision sera rendue le 10 mai.
La Provence