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Les footballeurs, cibles idéales des voleurs : «On sait quand ils jouent, à quelle heure ils s’entraînent»
Riches, ultra-visibles et souvent éloignés de leur domicile par la compétition, les joueurs subissent des vols de plus en plus fréquents. Les cambrioleurs présumés du défenseur parisien Marquinhos sont jugés ce mercredi à Versailles (Yvelines).
Le mot est parfois tabou chez les sportifs de haut niveau. Ce jour-là, Marquinhos l’avoue : le capitaine du Paris Saint-Germain a eu « peur ». Trois hommes sont jugés ce mercredi par le tribunal correctionnel de Versailles (Yvelines) pour le cambriolage violent, en 2021, d’une partie de la famille de l’international brésilien. Cette audience médiatique le rappelle : les footballeurs sont devenus, ces dernières années, des proies de choix pour les malfrats. Jamais leur sécurité n’a semblé si ténue.
Ce dimanche 14 mars 2021 au soir, le club de la capitale reçoit le FC Nantes. Le défenseur s’échauffe sur la pelouse du Parc des Princes. À une dizaine de kilomètres de là, son père, un petit homme âgé de 52 ans, allume son téléviseur. Ses deux filles, âgées de 13 et 17 ans, terminent leurs devoirs sur la table du salon. Soudain, deux individus font irruption dans le pavillon. Une cagoule dissimule leur visage. Leurs mains sont gantées. Tout bascule.
Un préjudice de 500 000 euros pour Di Maria
L’un des hommes emmène le quinquagénaire à l’étage. « Montres, bijoux, argent ! », s’impatiente-t-il. Des coups de poing et de coude grêlent le dos, les côtes et le coccyx du pauvre homme. « Papa, si tu as de l’argent, donne-lui », supplie l’une de ses filles. La famille est séquestrée dans un dressing. Les casseurs prennent la fuite avec 2 400 euros en liquide, des bijoux et deux sacs de luxe.
Se sont-ils trompés d’adresse ? La star du ballon rond habite à cinq minutes en voiture à peine. Le même soir, une autre équipe « visite » le logement d’un de ses coéquipiers. Des montres et des bijoux sont extraits du coffre-fort d’Angel Di Maria. Les proches de l’Argentin, sur place, ne se rendent compte de rien. Le préjudice avoisine les 500 000 euros. Deux hommes et deux femmes ont depuis été mis en examen dans cette affaire.
Plus « bling-bling » et exposé que tout autre club en France, le PSG est loin d’être le seul concerné. Il y a quelques jours, Thiago Mendes, à Lyon, et Rémy Cabella, à Lille, ont tour à tour partagé des photos d’intrusion dans leur domicile le soir du Nouvel An. « On parle beaucoup des footballeurs à travers leur salaire, relève David Terrier, vice-président de l’UNFP, le syndicat des joueurs professionnels. On sait quand ils jouent à l’extérieur, à quelle heure ils s’entraînent… Ce sont des cibles idéales. »
En 2021, 22 joueurs professionnels ont été victimes de ces vols en France, d’après le Service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco). Ils étaient 13 en 2020. Rien que dans la presse, 18 faits ont été révélés en 2022. Aucun club ne semble hors de danger. Sept de ces larcins ont été commis à Brest, un modeste pensionnaire de Ligue 1. Les grands clubs internationaux sont également touchés. Parmi les Bleus, Théo Hernandez (AC Milan), Karim Benzema (Real Madrid) et Paul Pogba (ex-Manchester United, désormais à la Juventus) ont connu pareille mésaventure l’an passé.
Les réseaux sociaux comme porte d’entrée
En avril, ces événements répétés ont poussé le Sirasco à publier une « note flash » à destination de l’ensemble des services de la police nationale. « Le train de vie luxueux des footballeurs professionnels peut aiguiser l’appétit des malfaiteurs », introduit le document. Le texte décrit des modes opératoires « assez rudimentaires » et certaines bandes « spécialisées dans ce type de victimes ». D’autres profils sont plus amateurs. En novembre, un lycéen de 17 ans se fait repérer par Sergio Rico, un gardien remplaçant du PSG. Dans sa fuite, il abandonne un téléphone avec lequel il s’est lui-même filmé en plein forfait… Du pain bénit pour les enquêteurs.
Les joueurs les plus addicts aux réseaux sociaux facilitent la tâche des apprentis Arsène Lupin. « Des policiers nous l’ont dit : des cartographies d’appartements peuvent être établies à partir de publications sur Instagram », rapporte une source au sein d’un club de Ligue 1. Les affranchis repèrent un boîtier d’alarme, une entrée, un coffre… Tout est bon à prendre pour savoir quand et comment frapper. L’UNFP éduque désormais les joueurs sur le sujet dès le centre de formation. Mais la leçon peine parfois à se faire entendre, à l’image de ce célèbre joueur du championnat qui apprend, en temps réel, à ses 9 millions d’abonnés qu’il se trouve à l’autre bout du monde pour un Grand Prix de Formule 1.
Responsable de la sécurité du groupe pro du PSG de 1993 à 2000, Éric Blondel rappelle qu’un entraîneur comme Luis Fernandez avait encore, à l’époque, la capacité d’imposer à son effectif d’habiter dans le périmètre du camp des Loges, dans les Yvelines. « Plus tu vis près du centre d’entraînement, moins tu as de tentations de sorties, résume-t-il. Et plus tu es chez toi, moins tu as de chances de voir ton domicile cambriolé. Tu es aussi moins vu. La discrétion, c’est primordial. »
Seulement, de plus en plus de joueurs rechignent à ce que leur club soit informé de leurs faits et gestes. Comme cette star parisienne qui organise, sous l’alias « Mr White », quelques fêtes tardives dans l’un des plus grands palaces de la capitale. Alors, les plus insouciants se passent de sécurité. D’autres engagent un vigile à leur frais. « Cela pose problème. Si un responsable de sécurité est payé par le joueur, il n’a pas l’autorité nécessaire pour le recadrer ! » Dans le sillage des joueurs apparaissent d’innombrables intermédiaires, voire tout un écosystème. Coiffeur, kiné personnel, photographe… Autant de visiteurs susceptibles de véroler l’entourage.
La contre-filature enseignée à Marseille
Jeremy Vosse, PDG de Premium Conciergerie, « exauce toutes les demandes » de sa richissime clientèle, parmi laquelle une majorité de footballeurs. « Même à l’hôtel, ils nous appellent pour contacter le room service. » Jet, bolide, chef à domicile : la start-up prépare notamment les vacances des joueurs. Cet été, l’un d’eux s’est fait cambrioler en Espagne. « Il avait trop parlé en boîte de nuit, il a ramené de mauvaises fréquentations à la villa et les mecs ont sévi. Il s’est fait voler deux montres. C’est rageant. »
Les clubs, eux, prennent la menace très au sérieux. Pour attirer des recrues, les calanques de Cassis font leur effet, les boutiques des Champs-Élysées aussi. Encore faut-il pouvoir assurer la sécurité des nouveaux venus. « On vend aux joueurs un projet dans un territoire familial, proche de la nature », illustre un club du ventre mou de Ligue 1, bien embarrassé par les quelques larcins dévoilés dans la presse. « On a déjà assez de concurrence sur la fiscalité et le niveau sportif des autres championnats, renchérit un connaisseur du milieu. Si en plus la sécurité ne suit pas… »
Les grosses écuries émettent désormais des cahiers des charges fournis pour le logement de leurs pépites, comme la présence d’alarmes sonores et lumineuses, voire de matériel antibrouillage. À Marseille, les adresses des joueurs ne sont relayées que sous forme de codes. Des techniques de contre-filature sont enseignées, au cas où certains se sentiraient suivis.
Jean-Claude Dassier, président de l’OM de 2009 à 2011, a lui-même été cambriolé trois fois. « Avec le préfet de police et le procureur de la République, le lien n’était pas quotidien mais pas loin, rembobine-t-il. Ils ont fait ce qu’il fallait pour nous aider. » Le directeur de la sécurité avait également « activé ses réseaux dans les milieux interlopes ». À Paris, Michel Besnard, l’ancien chef du service de sécurité de l’Élysée, a été embauché en 2018. Il avait joué un rôle majeur au sommet de l’État après les attentats de Paris en 2015. À son arrivée, le président Nasser Al-Khelaïfi l’a chargé d’un audit de toutes les résidences de ses joueurs. Depuis, près d’une dizaine d’entre eux ont, malgré tout, vu leur habitat foulé par des visiteurs d’un soir.
Le Parisien