Information
Mondial 2022 : les confessions du majordome de Nasser al-Khelaïfi
Mediapart a rencontré le majordome du patron du PSG qui affirme avoir, à sa demande, récupéré et détruit des données confidentielles pour les soustraire à la police. La justice a pu vérifier qu’il y a, dans ces documents appartenant à Nasser al-Khelaïfi, des informations sensibles au sujet du Mondial 2022 au Qatar.
Jeudi 20 octobre 2022, au petit matin. Une impressionnante délégation policière s’est déplacée pour perquisitionner un pavillon de Seine-Saint-Denis, en banlieue nord de Paris, dans le cadre de deux affaires judiciaires. Il y a des fonctionnaires de la DGSI (le renseignement intérieur) et de l’IGPN (la police des polices), qui enquêtent sur une affaire de barbouzeries au PSG. Mais aussi des agents de l’OCLCIFF, l’office anticorruption de la PJ, qui enquêtent sur les soupçons de corruption dans l’attribution du Mondial 2022 au Qatar, dont le coup d’envoi sera donné ce dimanche.
L’occupant de la maison, Hicham Karmoussi, est le personnage clé qui relie ces deux dossiers ultrasensibles. Avant d’être licencié en juin 2020, cet ancien tennisman marocain âgé de 47ans a été, pendant 15 ans, le majordome et le dépositaire des secrets de l’un des hommes les plus puissants du foot mondial: Nasser al-Khelaïfi, le «monsieur sport» de l’émir du Qatar, patron du PSG, de la chaîne BeIN Sports et ministre sans portefeuille du richissime émirat gazier.
Mediapart a pu rencontrer à plusieurs reprises Hicham Karmoussi, qui s’exprime publiquement pour la première fois. Ses confidences sont explosives. Il affirme avoir, en 2017, fait le «ménage» à deux reprises dans l’appartement parisien de Nasser al-Khelaïfi, qui lui aurait ordonné de récupérer et de détruire des documents sur la coupe du Monde de football, afin qu’ils ne tombent pas entre les mains des justices française et suisse.
Mais il en a conservé certains, qu’il a confiés par la suite à deux de ses proches. Il affirme avoir finalement subi, en 2020, de fortes pressions afin qu’il restitue les documents et qu’il ne se mêle pas du procès de Nasser al-Khelaïfi en Suisse, dans une affaire de corruption liée au Mondial 2022 impliquant également l’ancien numéro2 de la Fifa (Fédération internationale de football), Jérôme Valcke. Ce dossier inquiétait beaucoup le patron du PSG, avant qu’il ne soit acquitté en octobre 2020.
L’entourage deNasser al-Khelaïfi a adressé à Mediapart des réponses écrites vendredi après-midi, dénonçant des témoignages d’«un non-sens complet» de la part de «personnes accusées de tant de crimes». Le président du PSG serait, victime d’un «groupe de voyous [qui] tente d’être jugé par les médias», toujours selon son entourage, et celui-ci de conclure: «Honnêtement, nous n’allons tout simplement pas perdre de temps chaque semaine à répondre à ces témoignages ridicules.» (Lire l’intégralité de la réponse dans notre l’onglet Prolonger.)
La lettre de motivation de l’ancien secrétaire général de la Fifa
Il appartient désormais à la justice de vérifier les propos de Hicham Karmoussi. Selon nos informations, il a déjà été auditionné comme témoin ce mardi 15novembre par les policiers de l’office anticorruption, dans le cadre de l’enquête sur le Mondial 2022 menée par le juge d’instruction Serge Tournaire.
Il s’attend désormais à être interrogé dans l’affaire des barbouzeries du PSG, dans laquelle le juge Tournaire a été co-saisi, aux côtés de ses collègues Vincent Lemonier et Noémie Nathan. «Monsieur Karmoussi attend d’être convoqué par l’autorité judiciaire et fera toute la lumière sur ces événements», indique son avocat, Antoine Ory.
Mediapart a pour sa part pu recouper les déclarations de Hicham Karmoussi sur plusieurs points, grâce à de nombreux documents, dont certains issus du dossier judiciaire. Et reconstituer le fil de cette affaire tentaculaire aux rebondissements dignes d’un film d’espionnage, dont certains détails ont déjà été révélés par Libération et L’Équipe.
Tout a commencé par une enquête judiciaire sur les activités de deux amis, aujourd’hui multimis en examen (notamment pour «corruption», «faux et usage de faux» et «accès illicite à des données personnelles»): le lobbyiste Tayeb Benabderrahmane et Malik Nait-Liman, un ancien policier de la DGSI embauché par le PSG comme référent supporters, et récemment écarté du club à cause de cette affaire.
Ils sont soupçonnés d’avoir mené, notamment pour le compte du PSG et du Qatar, des opérations d’influence et de renseignement privé, en recueillant des informations confidentielles issues de dossiers judiciaires et de fichiers de police. «C’est comme ça qu’on tapera fort et qu’on grattera» de l’argent auprès de l’Émirat, assume sans complexes le lobbyiste dans un message à son ami.
Contactés par Mediapart, ils ont refusé de répondre. Mais nous avons eu accès à leurs auditions par la DGSI, ainsi qu’à d’autres documents où ils livrent leur version.
Le 12 octobre 2021, les policiers perquisitionnent leurs domiciles. Et découvrent que les deux hommes détenaient des données numériques appartenant à Nasser al-Khelaïfi. Elles sont si sensibles qu’en janvier 2020, Tayeb Benabderrahmane a été arrêté au Qatar et détenu pendant neuf mois, jusqu’à ce qu’il signe un accord avec le patron du PSG et rende les documents.
Mais le lobbyiste en avait gardé copie, tout comme son ami Malik Nait-Liman. Sur leurs disques durs, la plupart des données on été effacées. Mais la DGSI a pu, grâce à de puissants logiciels, en récupérer une partie.
Il y ades vidéos intimes du patron du PSG avec sa maîtresse. Mais aussi, selon nos informations, des données liées au Mondial 2022, issues de l’un des téléphones de Nasser al-Khelaïfi, et susceptibles d’intéresser le juge Tournaire.
Dans un procès-verbal, les enquêteurs écrivent avoir récupéré 126échanges «avec des personnels de la Fifa [la fédération mondiale de football] et de l’UEFA [la fédération européenne], notamment de nombreuses conversations entre Nasser al-Khelaïfi et Jérôme Valcke», ancien secrétaire général de la Fifa.
Il y a également la copie du contrat de location d’une luxueuse villa en Sardaigne mise à la disposition de Valcke en 2014 par Nasser Al-Khelaïfi, au cœur de l’affaire pour laquelle les deux hommes ont été finalement acquittés en Suisse (lire ici). Les policiers ont aussi repéré «un courrier vraisemblablement écrit par Jérôme Valcke» et adressé au directeur de cabinet de Nasser al-Khelaïfi, «qui ressemble à une lettre de motivation pour son après-Fifa».
Vincent Bolloré et lemystérieux « homme au yacht »
D’autres messages, que Mediapart a pu consulter, semblent encore plus sensibles. Il s’agit de conversations en arabe, non datées, entre Nasser al-Khelaïfi et des interlocuteurs qataris de haut niveau, que les policiers n’ont pas identifiés à ce stade.
Il y est question de rencontres avec l’ancien président de l’UEFA Michel Platini, suspecté par la justice française d’avoir fait basculer en 2010 le vote de la Fifa attribuant le Mondial au Qatar, à la suite d’un déjeuner à l’Élysée avec le président Nicolas Sarkozy et l’actuel émir Tamim ben Hamad al-Thani.
Il est aussi question de rencontres secrètes au sujet du rapport réalisé en 2014 par l’ex-procureur américain Michael Garcia pour la Fifa au sujet des soupçons de corruption dans l’attribution du Mondial au Qatar. «Le plus important, [c’est] le rapport Garcia. […] Le dossier doit être clos», indique l’un des messages.
Il y a enfin des conversations au sujet de Jérôme Valcke et de l’ancien président de la Fifa Sepp Blatter, des «demandes» d’un mystérieux «homme au yacht», ainsi que de Vincent Bolloré…
Tayeb Benabderrahmane et Malik Nait-Liman sont placés en garde à vue le 29septembre 2022. Ils livrent aux policiers de la DGSI l’identité de celui qui leur a confié les documents: l’ancien majordome de Nasser al-Khelaïfi, Hicham Karmoussi.
L’homme partage 20 ans d’histoire commune avec le président du PSG. Son physique témoigne de son passé de sportif professionnel. Mains rugueuses, grand et sec, à l’aube de la cinquantaine, il porte encore bien. Mais ses traits plissés et ses cernes appuyés laissent pointer les graves événements dont il a été témoin et acteur.
Le tennisman professionnel se fait remarquer par le Qatar lors d’une victoire en équipe du Maroc aux jeux panarabes de 1999 en Jordanie. Il part à Doha en juin 2000 travailler à la fédération de tennis, où il se rapproche de Nasser al-Khelaïfi, alors joueurprofessionnel, qui devient lui-même de plus en plus proche du prince héritier Tamim ben Hamad al-Thani –qui deviendra émir en 2013– en jouant au tennis avec lui.
La fulgurante ascension de Nasser al-Khelaïfi a commencé en 2003, lorsque le prince Tamim lui a confié le soin d’acheter des droits du foot pour la nouvelle chaîne sportive de l’émirat: Al Jazeera Sport, rebaptisée par la suite BeIN Sports.
En 2005, Hicham Karmoussi devient l’entraîneur de la Smash Academy, «une académie créée par Nasser à Doha avec l’argent du prince héritier pour concurrencer la fédération de tennis»
Le tennisman marocain devient l’entraîneur particulier du prince Tamim, avec lequel il participe à des tournois (notre photo). Tout en accompagnant parfois à Paris Nasser Al-Khelaïfi, qui vient d’être promu patron de BeIN Sports. «En 2006, j’ai basculé à 100% au service de Nasser», raconte-t-il. C’est ainsi que Hicham Karmouchi se retrouve au cœur du pouvoir qatari.
Le prince héritier Tamim, membre du Comité international olympique (CIO), est à l’époque le patron de la très agressive politique sportive de l’émirat, qui veut décrocher l’organisation des plus grandes compétitions, dont la Coupe du monde de football et les Mondiaux d’athlétisme. Le prince Tamim demande à Nasser al-Khelaïfi de l’aider.
Après l’attribution du Mondial 2022 au Qatar et le rachat du PSG qui s’ensuit, Nasser al-Khelaïfi est au zénith: le prince Tamim l’a nommé patron du club et du fonds souverain Qatar Sports Investments (QSI), qui chapeaute aussi BeIN Sports et l’équipementier Burrda Sport.
À chaque étape de sa vie professionnelle, Hicham Karmoussi le suit. Il est son majordome, son intendant particulier, son homme à tout faire. L’ancien tennisman habite avec le patron du PSG dans un grand appartement parisien de l’avenue de Malakoff, dans le XVIearrondissement, en compagnie de son garde du corps palestinien et de son cuisinier égyptien.
Hicham Karmoussi s’occupe «de la logistique», des déplacements et des téléphones portables, dont Nasser al-Khelaïfi, sur consigne des services qataris, change régulièrement. Mais aussi de la vie privée de son patron et des rendez-vous les plus sensibles. «Nasser avait une secrétaire, mais il y avait des choses que la secrétaire ne savait pas et dont je m’occupais.»
Alors même qu’il travaille comme majordome du patron du PSG à Paris, Hicham Karmoussi est officiellement toujours salarié comme «entraîneur de tennis» de la Smash Academy à Doha, comme l’écrit Nasser al-Khelaïfi dans une attestation (notre document ci-contre). Ce qui pose de sérieuses questions en matière de respect du droit du travail.
Résultat : Hicham Karmoussi ne peut résider en France que grâce à des visas temporaires et doit régulièrement quitter le territoire pour les renouveler. «Nasser faisait ça pour s’assurer de ma fidélité. Il est intelligent, il me tenait grâce aux visas, il ne voulait pas que je sois libre et que j’aie mes droits.» Un comportement qui rappelle le système kafala –le parrainage de travailleurs étrangers sous la coupe de leurs employeurs – tant décrié dans le Golfe, et aboli par le Qatar seulement en 2020, après de fortes pressions internationales.
Hicham Karmoussi décrit Nasser al-Khelaïfi comme un patron autoritaire et exigeant, à qui il ne faut rien refuser: «J’étais avec lui jour et nuit, parfois jusqu’à 4heures du matin. Je n’ai pas vu grandir mes enfants.» L’ancien tennisman assure avoir fait «un burn-out» et avoir tenté de «partir plusieurs fois»: «Mais il me menaçait, et j’avais un membre de ma famille qui travaillait au Qatar. Alors je revenais.»
Il raconte que le comportement du patron du PSG a empiré en juin 2017, lorsque plusieurs pays arabes, dont l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, ont décrété un blocus du Qatar. «Le Qatar lui disait de se méfier de son entourage proche. De temps en temps, il nous lançait: “Vous êtes des traîtres!” Il y avait une part d’humour, mais de la part de quelqu’un pour qui vous travaillez sans compter, c’est très blessant.»
Au même moment, Hicham Karmoussi se rapproche des deux personnages aujourd’hui mis en examen dans l’affaire des barbouzeries du PSG. Le premier, Tayeb Benabderrahmane, est lobbyiste. Il aurait rencontré Nasser al-Khelaïfi en juin 2017, juste après le début du blocus: «Nasser a demandé à Tayeb d’organiser des manifestations contre les Émirats à Paris et à Genève. Tayeb a financé l’opération de sa poche, les transports, la nourriture.»
Les policiers ont retrouvé, dans les archives du lobbyiste, une autorisation délivrée par la mairie de Genève pour une manifestation le 8juillet 2017 contre «les violations des droits de l’homme commises par Émirats arabes unis» et «l’embargo illégal contre le Qatar». «Tayeb a présenté une facture, mais Nasser a refusé de payer, raconte son assistant. J’ai alors proposé à Nasser de lui donner des places au “carré”», la prestigieuse tribune VIP du Parc des Princes. Interrogé à ce sujet, le porte-parole de Nasser al-Khelaïfi jure que «NAK n’a jamais rencontré cet escroc appelé Tayeb [Benabderrahmane –ndlr]».Ce jour-là, j’étais au Maroc et mon téléphone ne passait pas. Nasser a appelé un membre de ma famille, pour lui dire que je devais rentrer d’urgence à Paris pour “nettoyer”.
Le majordome Hicham Karmoussi
Le second personnage, Malik Nait-Liman, est à l’époque policier à la DSGI. À la suite de désaccords avec sa hiérarchie, il rêve d’être embauché au PSG, dont il est un grand fan. Il a aidé dès 2015 les dirigeants du club à gérer le problème des supporters ultras, avant d’être embauché en 2018 comme référent supporters.
Selon l’enquête judiciaire, il a rendu, dès 2017, de multiples services au PSG, en facilitant l’obtention de titres de séjour ou en obtenant illégalement des informations issues des fichiers de police.
Selon Hicham Karmoussi, certaines demandes émanaient du patron du PSG en personne: «Quand Nasser avait besoin de quelque chose, je demandais de l’aide à des gens, dont Tayeb et Malik.» Ce témoignage est confirmé par l’enquête judiciaire qui fait par exemple état de demandes d’antécédents judiciaires ou d’identification du propriétaire d’une voiture.
Mais certaines missions étaient, selon son majordome, plus sensibles encore. À partir de 2016 Nasser al-Khelaïfi est en effet dans le collimateur de la justice.
En France, le Parquet national financier (PNF) s’interroge sur le contrat d’achat des droits télé de la compétition à la Fifa, signé par le patron de BeIN Sports en 2010, juste avant le vote attribuant le Mondial, et qui était assorti d’un bonus de 100millions de dollars si le Qatar l’emportait.
Le Parquet fédéral suisse (MPC) enquête pour sa part sur le contrat suivant, conclu en 2014 avec la Fifa pour le montant énorme de 480millions de dollars, au moment où le Qatar faisait le forcing pour que la Coupe du monde soit décalée en hiver. Le deal est d’autant plus suspect que Nasser al-Khelaïfi a mis, au même moment, une luxueuse villa en Sardaigne à la disposition du numéro2 de la Fifa, Jérôme Valcke (lire ici).
C’est dans ce contexte que Hicham Karmoussi raconte que Nasser al-Khelaïfi aurait reçu, début 2017, un coup de fil «de quelqu’un lui disant que la police pourrait venir». Il poursuit: «On était dans l’appartement, on a ramassé des papiers ensemble, et on a tout brûlé dans la baignoire. Mais la baignoire était en matériau synthétique, ça a provoqué un incendie, qu’on a réussi à éteindre.» Malik Nait-Liman a confirmé l’épisode en garde à vue: «Ils ont mis le feu jusqu’au plafond et abîmé l’appartement. C’est d’ailleurs un membre de la famille de Hicham qui a fait les travaux de réfection.»
Le majordome raconte une seconde opération de nettoyage la même année. Le 12octobre 2017, le Parquet national financier perquisitionne le siège de BeIN Sports à Boulogne-Billancourt, à la demande des procureurs suisses qui enquêtent sur l’affaire impliquant Nasser al-Khelaïfi et Jérôme Valcke.
« Ce jour-là, Nasser n’était pas à Paris. J’étais au Maroc pour voir ma famille et mon téléphone ne passait pas, raconte Hicham Karmoussi. Nasser a appelé un membre de ma famille, pour lui dire que je devais rentrer d’urgence à Paris pour “nettoyer”.» L’intendant prend le premier avion et atterrit le soir même à Paris, comme l’atteste le tampon sur son passeport. Il raconte avoir appelé l’un des plus proches collaborateurs du patron du PSG, qui lui aurait donné des instructions au sujet du «nettoyage» et lui aurait dit d’aller détruire les documents chez un journaliste de BeIN Sports.
« Je suis allé à l’appartement, il y avait des choses à prendre partout: des dossiers papier, des iPad, des téléphones, un ordinateur. J’ai rempli trois grandes valises noires, mais je ne pouvais pas tout emporter. J’ai appelé Tayeb Benabderrahmane, parce qu’il n’ habitait pas loin. Je lui ai confié une valise pour qu’il la mette en sécurité – je l’ai récupérée et détruite environ un mois plus tard.»
Selon son récit, Hicham Karmoussi embarque ensuite les deux autres valises dans le coffre d’une Citroën DS5 et roule en pleine nuit vers la banlieue parisienne, jusqu’au domicile du journaliste de BeIN Sports, qui «brûle tout chez lui». Joint au téléphone par Mediapart, ce journaliste se refuse à tout commentaire sur les événements survenus ce jour-là.
« Une semaine plus tard, Nasser est rentré à Paris, on a refait un nettoyage,ajoute son intendant. Il a trouvé une clé USB dans sa chambre. Il m’a dit de la jeter.» Mais Hicham Karmoussi a conservé cette clé, ainsi qu’un des téléphones de son patron, qu’il a stockés dans sa maison au Maroc. «Je ne sais plus pourquoi je les ai gardés,assure-t-il. J’avais tellement de choses sur Nasser, des dossiers sensibles, je n’ai pas réfléchi.»
Le patron du PSG installe un système de vidéosurveillance dans son propre appartement
Le majordome était le garant d’un autre secret de son patron: sa liaison extraconjugale avec une jeune femme. Ce qui serait banal en France ne l’est pas dans un pays rigoriste comme le Qatar, où un homme a été condamné en 2016 à 100 coups de fouet pour adultère. Surtout, cette relation pourrait fragiliser politiquement Nasser al-Khelaïfi ou être exploitée par les pays ennemis du Qatar.
Lorsque la jeune femme doit subir une hospitalisation, Hicham Karmoussi raconte que par souci de discrétion, son patron ne peut alors pas lui rendre visite. C’est lui qui se rend à son chevet, se faisant passer pour son compagnon. Nasser al-Khelaïfi lui offrira une montre pour l’en remercier.
Le majordome raconte qu’au printemps 2018, après un événement lié à sa vie privée, Nasser al-Khelaïfi décide d’installer un système de vidéosurveillance dans son appartement de l’avenue de Malakoff. «Il y avait trois caméras: à l’entrée, dans la cuisine et dans la chambre. Je me suis occupé d’acheter les caméras, et j’ai demandé à Tayeb de l’aide pour les installer. Il a envoyé son beau-frère pour le faire.»
Face aux policiers de la DGSI, Malik Nait-Liman et Tayeb Benabderrahmane ont eux aussi affirmé que c’est le patron du PSG qui a réclamé ces caméras. Interrogé sur l’intervention de son beau-frère, le lobbyiste a répondu qu’il «réserve [ses] déclarations au juge d’instruction».
Hicham Karmoussi assure qu’il n’a jamais eu accès au flux vidéo, normalement destiné à son patron. «Plus tard en 2018, Nasser m’a donné une clé USB avec les vidéos issues des caméras, en me disant de la jeter.» Mais le majordome décide de garder cette clé, à Paris cette fois. Selon l’analyse faite par les enquêteurs de ces données, elles contiennent «plusieurs milliers de séquences» tournées du 13juillet au 6août 2018 dans une chambre fréquentée par Nasser al-Khelaïfi. Dont des vidéos intimes avec sa maîtresse.J’ai vu ses yeux. J’ai compris que quelque chose n’allait pas. Il me dit : “Il faut qu’on se parle.” On rentre dans les toilettes, il me demande de mettre mon téléphone sur mode avion parce qu’on est sur écoute.
Le majordome à propos de son patron Nasser al-Khelaïfi
Au mois d’août 2018, Hicham Karmoussi remet à Tayeb Benabderrahmane le téléphone de Nasser al-Khelaïfi qu’il a récupéré un an plus tôt, «afin qu’il le ramène à Paris». Lors de sa garde à vue, le lobbyiste a indiqué que Hicham Karmoussi lui avait «demandé de garder un téléphone portable, un disque dur et une clé USB». Selon sa version, le majordome a agi à cause de son «mal-être» lié aux mauvais traitements que lui faisait subir le patron du PSG. C’était son «assurance-vie», a de son côté précisé lors de sa garde à vue son ami Malik Nait-Liman, ancien policier de la DGSI devenu le référent supporters du PSG.
Cette remise correspond en tout cas à une période de tension entre Hicham Karmoussi et son patron. À cause de son contrat de travail qatari, l’ancien tennisman, dont le visa avait expiré, est interpellé en 2018 à l’aéroport de Marseille. Il est relâché, mais une obligation de quitter le territoire lui est notifiée le 5juin.
C’est seulement après cet incident que Nasser al-Khelaïfi consent enfin, six mois plus tard, à lui accorder un contrat de travail avec BeIN Sports France. Selon Hicham Karmoussi, il ne couvre alors qu’une partie de son salaire, le solde étant toujours réglé au Qatar. Mais cela lui permet d’obtenir sa première carte de séjour.
Le majordome affirme qu’il a remis «seulement le téléphone» à Tayeb Benabderrahmane, et pas la clé USB contenant les séquences vidéo. Quoi qu’il en soit, le lobbyiste s’est procuré les images: les policiers les ont retrouvées sur le disque dur de son ordinateur, rangées dans un répertoire intitulé «vidéosurveillance NAK avec sa maîtresse».
En 2019, les efforts du lobbyiste finissent par payer: Tayeb Benabderrahmane est embauché par Ali al-Marri, dit «Dr Ali», actuel ministre du travail du Qatar, qui dirigeait à l’époque le NHRC, le Comité national des droits de l’homme. Dans ce pays autoritaire, ce comité est avant tout un outil d’influence. Le Dr Ali est un rival de Nasser al-Khelaïfi, dont il jalouse l’ascension, selon une source proche du pouvoir qatari.
En juin 2019, Tayeb Benabderrahmane déménage donc à Doha avec femme et enfants. Les conditions sont royales: il est payé 80000euros par mois par le NHRC, plus 20000 euros mensuels en tant que conseiller de la société privée du Dr Ali. Lequel se montre fort satisfait de sa recrue: selon des documents versés au dossier judiciaire, Tayeb Benabderrahmane lui a obtenu, en octobre 2019, des rendez-vous avec Pierre Bousquet de Florian, coordinateur du renseignement à l’Élysée, et avec le Belge Gilles de Kerchove, coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme.
Le rêve qatari du lobbyiste s’écroule cependant trois mois plus tard. Il est arrêté à Doha le 13janvier 2020, alors qu’il joue au tennis avec un proche de Hicham Karmoussi.
L’élément déclencheur reste mystérieux. Il est accusé d’«atteinte à la sûreté de l’État du Qatar», selon son avocat de l’époque, avec lequel il est aujourd’hui en conflit. De sources proches du Qatar, on affirme qu’il aurait tenté de faire chanter Nasser al-Khelaïfi avec les données volées, puis qu’il aurait essayé de les vendre aux Émirats arabes unis.
Tayeb Benabderrahmane dément. Lors de sa garde à vue et dans un document, il a indiqué qu’Ali al-Marri lui a demandé de chercher des informations compromettantes sur son rival Nasser al-Khelaïfi. Le lobbyiste aurait informé son employeur des documents que lui avait confiés Hicham Karmoussi, et lui en aurait communiqué une partie. «C’étaient des courriers, des conversations en arabe imprimées», notamment sur «l’attribution de la Coupe du monde».
Selon le lobbyiste, le Dr Ali s’est montré «choqué» par leur contenu, susceptible «d’affecter la souveraineté de son pays». En clair, Tayeb Benabderrahmane pense que son patron aurait pris peur à cause de la sensibilité des informations et l’aurait dénoncé aux autorités. Contactés par Mediapart, Ali al-Marri et l’État du Qatar n’ont pas répondu.
Alors que le Parquet fédéral suisse boucle son enquête sur Nasser al-Khelaïfi et Jérôme Valcke, l’existence de ces documents affole le Qatar, qui veut les récupérer pour éviter toute fuite.
Guet-apens à Doha
Selon Tayeb Benabderrahmane et son épouse, cela passe par la manière forte. Tous deux ont dénoncé par écrit une «détention arbitraire», des interrogatoires sans avocat, des mauvais traitements (cellule de 2mètres carrés, lumière permanente, privations de sommeil, menaces) que Tayeb Benabderrahmane assimile à de la «torture». Son épouse reçoit plusieurs fois la consigne de garder le silence et de ne pas prévenir les autorités françaises.
Les répercussions ne tardent pas à Paris. Hicham Karmoussi explique que le 12janvier, la veille de l’arrestation, il tombe sur Nasser al-Khelaïfi. «J’ai vu ses yeux. J’ai compris que quelque chose n’allait pas. Il me dit: “Il faut qu’on se parle.” On rentre dans les toilettes, il me demande de mettre mon téléphone sur mode avion parce qu’on est sur écoute. Il me demande: “Est-ce que tu connais un certain Tayeb?” Je lui ai répondu: “Tu te fous de moi, tu le connais, il a fait des choses pour toi.” Il me dit: “Fais attention. Tu es sûr que tu n’es pas avec lui?”»
C’est le 15 janvier, c’est lors d’un match du PSG à Monaco que le majordome apprend l’arrestation de son ami, grâce à un membre de sa famille. «Le lendemain, Nasser a reçu un coup de fil et il est parti à Londres. Il m’appelle le jour même pour me dire qu’on doit partir aux Maldives pour des vacances avec sa maîtresse, et que je dois les retrouver à l’aéroport à Doha. J’appelle [la jeune femme], mais elle me dit qu’il n’y a pas de vacances de prévues. C’était un piège. J’ai eu peur, j’ai compris que ça allait être la guerre.»
Au bout de quelques jours, Hicham Karmoussi ne peut plus entrer dans l’appartement de l’avenue de Malakoff, la serrure a été changée. Il raconte que plusieurs proches de son patron l’appellent alors pour l’inciter à se rendre au Qatar, en lui faisant miroiter une augmentation de salaire ou une rupture transactionnelle indemnisée à hauteur de ses 15 ans d’ancienneté. Il tente de se rendre au siège de son employeur BeIN Sports, mais on lui interdit d’entrer.
Vers la fin janvier, il raconte avoir été interpellé dans la rue par une salariée du PSG, qui lui aurait attrapé le poignet pour tenter de le faire monter dans une voiture. Le majordome est persuadé qu’on veut l’emmener de force à Doha. Effrayé, il confie une copie des données à Malik Nait-Liman, ainsi qu’une vidéo de lui dans laquelle il déclare qu’il est menacé: « S’il m’arrive quoi que ce soit, c’est lui le responsable, c’est monsieur Al-Khelaïfi.»
Par la suite, il raconte avoir eu deux rendez-vous avec Nasser al-Khelaïfi en février, qui cherche à tout prix à récupérer les données. Lors de la deuxième rencontre, le majordome raconte que Nasser al-Khelaïfi était «soulagé», car la Fifa venait de retirer sa plainte pour corruption contre lui dans l’affaire Valcke: « Il m’a dit : “T’as vu les journaux ?, il n’y a rien. Si tu veux me rendre mes affaires, OK. Mais si tu ne veux pas, tu ne peux rien faire.”»Ne t’inquiète pas, on n’est pas la police. On a 25 questions et on a déjà les réponses. Si vous mentez, on le saura.
Un des avocats du patron du PSG au majordome
Fin janvier, l’épouse de Tayeb Benabderrahmane a accepté d’aller chercher en Algérie la valise rouge contenant une partie des données. Quand elle rapporte les documents, les services qataris y découvrent les échanges avec Jérôme Valcke. Et malgré le désistement de la Fifa, le parquet suisse obtient le 8avril que Nasser al-Khelaïfi soit jugé. Le procès est programmé le 14septembre.
L’Émirat change de stratégie et adopte une méthode plus douce. C’est ce qu’explique Tayeb Benabderrahmane à son épouse le 15avril, lors d’un coup de fil passé depuis sa prison au Qatar, sous surveillance et sous contrainte: «Ils veulent signer un deal.» Deux semaines plus tard, il est libéré de prison et assigné à résidence à l’hôtel Intercontinental de Doha.
L’épouse du lobbyiste a pu rentrer en France, où elle s’appuie sur MeOlivier Pardo, qui a été conseillé par l’ancienne ministre de la justice et maire du VIIearrondissement de Paris, Rachida Dati, que connaît Tayeb Benabderrahmane.
Une grande négociation débute entre Tayeb Benabderrahmane et Nasser al-Khelaïfi, représenté par les avocats Francis Szpiner et Renaud Sermerdjian, qui veulent un règlement global du problème, incluant Hicham Karmoussi.
Les avocats du patron du PSG demandent à Hicham Karmoussi de se soumettre à plusieurs séances d’interrogatoires: «Szpiner m’a dit:“ Ne t’inquiète pas, on n’est pas la police. On a 25questions et on a déjà les réponses. Si vous mentez, on le saura.”»
Selon l’épouse de Tayeb Benabderrahmane, qui a assisté aux interrogatoires, il s’agissait de comparer les réponses de Hicham Karmoussi à celles données par son mari au Qatar. Selon son témoignage écrit, les avocats du patron du PSG ont demandé au majordome ce qu’il savait précisément au sujet de «l’émir du Qatar», de «la relation entre Nasser al-Khelaïfi et Jérôme Valcke», de la «petite amie» du patron du PSG ou encore de l’installation des caméras à son domicile.
Interrogés par Mediapart au sujet de cette méthode, Me Spziner et MeSemerdjian n’ont pas répondu.
Après des semaines de négociation, le lobbyiste et le majordome acceptent de rendre l’intégralité des données, et signent le 10juillet avec les avocats de Nasser al-Khelaïfi des protocoles assortis d’une clause de confidentialité les obligeant à payer 5millions d’euros si jamais ils parlent de l’affaire.
Hicham Karmoussi accepte une autre condition posée par les avocats de son patron: quitter définitivement la France pour le Maroc. Le majordome a été licencié pour faute par BeIN Sports, qui lui a versé un solde de tout compte de 3355euros. «J’ai insisté pour avoir mes droits de 15 ans de travail,affirme-t-il. Il y a eu une négociation avec Olivier Pardo et le DrAli, qui a promis de m’indemniser. Mais je n’ai jamais rien reçu.» Interrogé à ce sujet, MePardo indique que nos questions comportent des «inexactitudes», mais qu’il ne peut pas les «rectifier» en raison du « secret professionnel ». Hicham Karmoussi décide de rentrer en France.
Tayeb Benabderrahmane, de son côté, s’imagine rentrer en France peu après la signature du protocole du 10juillet. Mais il n'est autorisé à quitter le Qatar que le 1ernovembre, au lendemain de la relaxe en Suisse de Nasser al-Khelaïfi et de Jérôme Valcke.
À son retour, il lance une procédure disciplinaire, puis une plainte pénale, visant les avocats du patron du PSG, mais aussi Rachida Dati et son ancien avocat Olivier Pardo, accusés de l’avoir mal défendu –ce qu’ils démentent. Le lobbyiste a également déposé plainte contre X en août 2022 pour «torture», «arrestation et séquestration» et «menaces de mort avec ordre de remplir une mission». Une information judiciaire vient d’être ouverte à ce sujet, ont annoncé aujourd’hui ses avocats.
De son côté, le juge Tournaire, chargé de l’enquête sur les soupçons de corruption sur l’attribution du Mondial 2022, peut désormais accéder aux données sensibles au cœur de cette incroyable affaire. Il n’en a toutefois qu’une version incomplète, issue de la restauration par la DGSI des disques durs saisis lors des perquisitions.
Mais lors de sa garde à vue, Tayeb Benabderrahmane a fait une étonnante déclaration: il affirme avoir «oublié» de rendre à Nasser al-Khelaïfi une clé USB contenant une copie des données. Elle est «sous séquestre chez un notaire. Je ne vais pas vous donner le nom du notaire», a-t-il ajouté.
Interrogé par Mediapart, il n’a pas souhaité nous dire ce qu’il comptait en faire. Son avocat, Nabil Fadli, nous a répondu que son client «respecte le secret de l’instruction et ne peut donc, à ce stade, rien commenter, confirmer ou infirmer».
Boite noire
Nous avons estimé que dans le contexte très particulier de cette affaire, la liaison entretenue par Nasser al-Khelaïfi était un fait d’intérêt public. Nous avons pris soin de ne livrer aucune information au sujet de la jeune femme concernée, afin qu’elle ne puisse pas être identifiée.
Nous avons envoyé des questions écrites détaillées à tous les protagonistes de l’affaire.
Nous avons contacté le responsable de la communication et les avocats de Nasser al-Khelaïfi mercredi à 17h13, en demandant des réponses pour vendredi à 12heures. L’un de ses conseils, Renaud Semerdjian nous a répondu ainsi vendredi à 10h41: «Il n’est pas acceptable de nous adresser une liste de 18questions et de nous sommer d’y répondre dans un délai de 24heures. Dans un tel délai, nous ne sommes pas en mesure de pouvoir nous concerter utilement avec notre client ayant lui comme nous des engagements professionnels.» Nous lui avons proposé un délai supplémentaire jusqu’à 17heures. Finalement, c’est un porte-parole de Nasser al-Khelaïfi qui nous a répondu par mail (l’intégralité de ses réponses est à lire dans l’onglet Prolonger).
Contactés via le service de presse du gouvernement du Qatar, l’État du Qatar et Ali al-Marri n’ont pas répondu.
« Vos affirmations et questions concernent des instructions judiciaires en cours. Tayeb Benabderrahmane, qui respecte le secret de l’instruction, ne peut donc à ce stade riencommenter, confirmer ouinfirmer», nous a répondu son avocat, Nabil Fadli.
Olivier Pardo, ancien avocat de Tayeb Benabderrahmane et de Hicham Karmoussi, nous a fait la réponse suivante: «Le libellé de vos questions recèle nombre d’inexactitudes. Toutefois, les règles de mon secret professionnel m’interdisent de rectifier celles-ci et d’apporter des réponses à vos questions. J’en suis désolé.»
L’avocat de Malik Nait-Liman, Vincent Brengarth, n’a pas donné suite à nos questions.
Prolonger
Mediapart publie l’intégralité des réponses apportées par un porte-parole de Nasser Al-Khelaifi:
« 1. C’est vraiment un non-sens complet. Il y a des contradictions à chaque étape.
2. Je ne sais vraiment pas pourquoi vous prenez le témoignage de personnes accusées de tant de crimes (il est difficile de tous les énumérer), y compris de falsifier toutes sortes de documents, comme s’ils étaient des témoins crédibles. C’est tellement évident ce qu’ils font et ils vous utilisent à leurs fins.
3. NAK n’a jamais rencontré cet escroc appelé Tayeb [Benabderrahmane].
4. Si vous pensez vraiment qu’il y a une solution miracle autour de l’affaire suisse - après cinq ans d’enquêtes, deux procès exhaustifs et publics, tous les examens possibles, alors que finalement l’affaire est une blague parce que BeIN a payé le prix du marché pour les droits - honnêtement, allez-y !
5. Rappelez-vous, selon tous ces « témoins crédibles » et Juan Branco [l’avocat, aux premiers temps de l’affaire, de Tayeb Benabderrahmane - ndlr], il y a trois semaines, tout cela a commencé alors que Nasser torturait apparemment des gens pour empêcher la divulgation des secrets de la Coupe du monde (qui auraient pu être divulgués pendant des années, en fait postez-les sur Twitter demain). Maintenant, on se rend compte que ces escrocs faisaient chanter Nasser à propos d’une vidéo intime, volaient toutes sortes d’effets personnels, filmaient des choses, essayaient d’extorquer d’autres personnes, ciblaient d’autres personnes. Ils sont l’exemple le plus clair de criminels de rue que vous pourriez rencontrer. Tayeb a apparemment eu 15 avocats, et même Branco n’est plus impliqué.
6. Ce groupe de voyous tente d’être jugé par les médias - en vous utilisant - et honnêtement, nous n’allons tout simplement pas perdre de temps chaque semaine à répondre à ces témoignages ridicules de leur part. Le tribunal prouvera tout cela en temps voulu. »
Boîte noire
Nous avons estimé que dans le contexte très particulier de cette affaire, la liaison entretenue par Nasser al-Khelaïfi était un fait d’intérêt public. Nous avons pris soin de ne livrer aucune information au sujet de la jeune femme concernée, afin qu’elle ne puisse pas être identifiée.
Nous avons envoyé des questions écrites détaillées à tous les protagonistes de l’affaire.
Nous avons contacté le responsable de la communication et les avocats de Nasser al-Khelaïfi mercredi à 17h13, en demandant des réponses pour vendredi à 12heures. L’un de ses conseils, Renaud Semerdjian nous a répondu ainsi vendredi à 10h41: «Il n’est pas acceptable de nous adresser une liste de 18questions et de nous sommer d’y répondre dans un délai de 24heures. Dans un tel délai, nous ne sommes pas en mesure de pouvoir nous concerter utilement avec notre client ayant lui comme nous des engagements professionnels.» Nous lui avons proposé un délai supplémentaire jusqu’à 17heures. Finalement, c’est un porte-parole de Nasser al-Khelaïfi qui nous a répondu par mail (l’intégralité de ses réponses est à lire dans l’onglet Prolonger).
Contactés via le service de presse du gouvernement du Qatar, l’État du Qatar et Ali al-Marri n’ont pas répondu.
« Vos affirmations et questions concernent des instructions judiciaires en cours. Tayeb Benabderrahmane, qui respecte le secret de l’instruction, ne peut donc à ce stade riencommenter, confirmer ouinfirmer», nous a répondu son avocat, Nabil Fadli.
Olivier Pardo, ancien avocat de Tayeb Benabderrahmane et de Hicham Karmoussi, nous a fait la réponse suivante: «Le libellé de vos questions recèle nombre d’inexactitudes. Toutefois, les règles de mon secret professionnel m’interdisent de rectifier celles-ci et d’apporter des réponses à vos questions. J’en suis désolé.»
L’avocat de Malik Nait-Liman, Vincent Brengarth, n’a pas donné suite à nos questions.
Prolonger votre lecture
Mediapart publie l’intégralité des réponses apportées par un porte-parole de Nasser Al-Khelaifi:
« 1. C’est vraiment un non-sens complet. Il y a des contradictions à chaque étape.
2. Je ne sais vraiment pas pourquoi vous prenez le témoignage de personnes accusées de tant de crimes (il est difficile de tous les énumérer), y compris de falsifier toutes sortes de documents, comme s’ils étaient des témoins crédibles. C’est tellement évident ce qu’ils font et ils vous utilisent à leurs fins.
3. NAK n’a jamais rencontré cet escroc appelé Tayeb [Benabderrahmane].
4. Si vous pensez vraiment qu’il y a une solution miracle autour de l’affaire suisse - après cinq ans d’enquêtes, deux procès exhaustifs et publics, tous les examens possibles, alors que finalement l’affaire est une blague parce que BeIN a payé le prix du marché pour les droits - honnêtement, allez-y !
5. Rappelez-vous, selon tous ces « témoins crédibles » et Juan Branco [l’avocat, aux premiers temps de l’affaire, de Tayeb Benabderrahmane - ndlr], il y a trois semaines, tout cela a commencé alors que Nasser torturait apparemment des gens pour empêcher la divulgation des secrets de la Coupe du monde (qui auraient pu être divulgués pendant des années, en fait postez-les sur Twitter demain). Maintenant, on se rend compte que ces escrocs faisaient chanter Nasser à propos d’une vidéo intime, volaient toutes sortes d’effets personnels, filmaient des choses, essayaient d’extorquer d’autres personnes, ciblaient d’autres personnes. Ils sont l’exemple le plus clair de criminels de rue que vous pourriez rencontrer. Tayeb a apparemment eu 15 avocats, et même Branco n’est plus impliqué.
6. Ce groupe de voyous tente d’être jugé par les médias - en vous utilisant - et honnêtement, nous n’allons tout simplement pas perdre de temps chaque semaine à répondre à ces témoignages ridicules de leur part. Le tribunal prouvera tout cela en temps voulu. »
Mediapart
Mediapart a rencontré le majordome du patron du PSG qui affirme avoir, à sa demande, récupéré et détruit des données confidentielles pour les soustraire à la police. La justice a pu vérifier qu’il y a, dans ces documents appartenant à Nasser al-Khelaïfi, des informations sensibles au sujet du Mondial 2022 au Qatar.
Jeudi 20 octobre 2022, au petit matin. Une impressionnante délégation policière s’est déplacée pour perquisitionner un pavillon de Seine-Saint-Denis, en banlieue nord de Paris, dans le cadre de deux affaires judiciaires. Il y a des fonctionnaires de la DGSI (le renseignement intérieur) et de l’IGPN (la police des polices), qui enquêtent sur une affaire de barbouzeries au PSG. Mais aussi des agents de l’OCLCIFF, l’office anticorruption de la PJ, qui enquêtent sur les soupçons de corruption dans l’attribution du Mondial 2022 au Qatar, dont le coup d’envoi sera donné ce dimanche.
L’occupant de la maison, Hicham Karmoussi, est le personnage clé qui relie ces deux dossiers ultrasensibles. Avant d’être licencié en juin 2020, cet ancien tennisman marocain âgé de 47ans a été, pendant 15 ans, le majordome et le dépositaire des secrets de l’un des hommes les plus puissants du foot mondial: Nasser al-Khelaïfi, le «monsieur sport» de l’émir du Qatar, patron du PSG, de la chaîne BeIN Sports et ministre sans portefeuille du richissime émirat gazier.
Mediapart a pu rencontrer à plusieurs reprises Hicham Karmoussi, qui s’exprime publiquement pour la première fois. Ses confidences sont explosives. Il affirme avoir, en 2017, fait le «ménage» à deux reprises dans l’appartement parisien de Nasser al-Khelaïfi, qui lui aurait ordonné de récupérer et de détruire des documents sur la coupe du Monde de football, afin qu’ils ne tombent pas entre les mains des justices française et suisse.
Mais il en a conservé certains, qu’il a confiés par la suite à deux de ses proches. Il affirme avoir finalement subi, en 2020, de fortes pressions afin qu’il restitue les documents et qu’il ne se mêle pas du procès de Nasser al-Khelaïfi en Suisse, dans une affaire de corruption liée au Mondial 2022 impliquant également l’ancien numéro2 de la Fifa (Fédération internationale de football), Jérôme Valcke. Ce dossier inquiétait beaucoup le patron du PSG, avant qu’il ne soit acquitté en octobre 2020.
L’entourage deNasser al-Khelaïfi a adressé à Mediapart des réponses écrites vendredi après-midi, dénonçant des témoignages d’«un non-sens complet» de la part de «personnes accusées de tant de crimes». Le président du PSG serait, victime d’un «groupe de voyous [qui] tente d’être jugé par les médias», toujours selon son entourage, et celui-ci de conclure: «Honnêtement, nous n’allons tout simplement pas perdre de temps chaque semaine à répondre à ces témoignages ridicules.» (Lire l’intégralité de la réponse dans notre l’onglet Prolonger.)
La lettre de motivation de l’ancien secrétaire général de la Fifa
Il appartient désormais à la justice de vérifier les propos de Hicham Karmoussi. Selon nos informations, il a déjà été auditionné comme témoin ce mardi 15novembre par les policiers de l’office anticorruption, dans le cadre de l’enquête sur le Mondial 2022 menée par le juge d’instruction Serge Tournaire.
Il s’attend désormais à être interrogé dans l’affaire des barbouzeries du PSG, dans laquelle le juge Tournaire a été co-saisi, aux côtés de ses collègues Vincent Lemonier et Noémie Nathan. «Monsieur Karmoussi attend d’être convoqué par l’autorité judiciaire et fera toute la lumière sur ces événements», indique son avocat, Antoine Ory.
Mediapart a pour sa part pu recouper les déclarations de Hicham Karmoussi sur plusieurs points, grâce à de nombreux documents, dont certains issus du dossier judiciaire. Et reconstituer le fil de cette affaire tentaculaire aux rebondissements dignes d’un film d’espionnage, dont certains détails ont déjà été révélés par Libération et L’Équipe.
Tout a commencé par une enquête judiciaire sur les activités de deux amis, aujourd’hui multimis en examen (notamment pour «corruption», «faux et usage de faux» et «accès illicite à des données personnelles»): le lobbyiste Tayeb Benabderrahmane et Malik Nait-Liman, un ancien policier de la DGSI embauché par le PSG comme référent supporters, et récemment écarté du club à cause de cette affaire.
Ils sont soupçonnés d’avoir mené, notamment pour le compte du PSG et du Qatar, des opérations d’influence et de renseignement privé, en recueillant des informations confidentielles issues de dossiers judiciaires et de fichiers de police. «C’est comme ça qu’on tapera fort et qu’on grattera» de l’argent auprès de l’Émirat, assume sans complexes le lobbyiste dans un message à son ami.
Contactés par Mediapart, ils ont refusé de répondre. Mais nous avons eu accès à leurs auditions par la DGSI, ainsi qu’à d’autres documents où ils livrent leur version.
Le 12 octobre 2021, les policiers perquisitionnent leurs domiciles. Et découvrent que les deux hommes détenaient des données numériques appartenant à Nasser al-Khelaïfi. Elles sont si sensibles qu’en janvier 2020, Tayeb Benabderrahmane a été arrêté au Qatar et détenu pendant neuf mois, jusqu’à ce qu’il signe un accord avec le patron du PSG et rende les documents.
Mais le lobbyiste en avait gardé copie, tout comme son ami Malik Nait-Liman. Sur leurs disques durs, la plupart des données on été effacées. Mais la DGSI a pu, grâce à de puissants logiciels, en récupérer une partie.
Il y ades vidéos intimes du patron du PSG avec sa maîtresse. Mais aussi, selon nos informations, des données liées au Mondial 2022, issues de l’un des téléphones de Nasser al-Khelaïfi, et susceptibles d’intéresser le juge Tournaire.
Dans un procès-verbal, les enquêteurs écrivent avoir récupéré 126échanges «avec des personnels de la Fifa [la fédération mondiale de football] et de l’UEFA [la fédération européenne], notamment de nombreuses conversations entre Nasser al-Khelaïfi et Jérôme Valcke», ancien secrétaire général de la Fifa.
Il y a également la copie du contrat de location d’une luxueuse villa en Sardaigne mise à la disposition de Valcke en 2014 par Nasser Al-Khelaïfi, au cœur de l’affaire pour laquelle les deux hommes ont été finalement acquittés en Suisse (lire ici). Les policiers ont aussi repéré «un courrier vraisemblablement écrit par Jérôme Valcke» et adressé au directeur de cabinet de Nasser al-Khelaïfi, «qui ressemble à une lettre de motivation pour son après-Fifa».
Vincent Bolloré et lemystérieux « homme au yacht »
D’autres messages, que Mediapart a pu consulter, semblent encore plus sensibles. Il s’agit de conversations en arabe, non datées, entre Nasser al-Khelaïfi et des interlocuteurs qataris de haut niveau, que les policiers n’ont pas identifiés à ce stade.
Il y est question de rencontres avec l’ancien président de l’UEFA Michel Platini, suspecté par la justice française d’avoir fait basculer en 2010 le vote de la Fifa attribuant le Mondial au Qatar, à la suite d’un déjeuner à l’Élysée avec le président Nicolas Sarkozy et l’actuel émir Tamim ben Hamad al-Thani.
Il est aussi question de rencontres secrètes au sujet du rapport réalisé en 2014 par l’ex-procureur américain Michael Garcia pour la Fifa au sujet des soupçons de corruption dans l’attribution du Mondial au Qatar. «Le plus important, [c’est] le rapport Garcia. […] Le dossier doit être clos», indique l’un des messages.
Il y a enfin des conversations au sujet de Jérôme Valcke et de l’ancien président de la Fifa Sepp Blatter, des «demandes» d’un mystérieux «homme au yacht», ainsi que de Vincent Bolloré…
Tayeb Benabderrahmane et Malik Nait-Liman sont placés en garde à vue le 29septembre 2022. Ils livrent aux policiers de la DGSI l’identité de celui qui leur a confié les documents: l’ancien majordome de Nasser al-Khelaïfi, Hicham Karmoussi.
L’homme partage 20 ans d’histoire commune avec le président du PSG. Son physique témoigne de son passé de sportif professionnel. Mains rugueuses, grand et sec, à l’aube de la cinquantaine, il porte encore bien. Mais ses traits plissés et ses cernes appuyés laissent pointer les graves événements dont il a été témoin et acteur.
Le tennisman professionnel se fait remarquer par le Qatar lors d’une victoire en équipe du Maroc aux jeux panarabes de 1999 en Jordanie. Il part à Doha en juin 2000 travailler à la fédération de tennis, où il se rapproche de Nasser al-Khelaïfi, alors joueurprofessionnel, qui devient lui-même de plus en plus proche du prince héritier Tamim ben Hamad al-Thani –qui deviendra émir en 2013– en jouant au tennis avec lui.
La fulgurante ascension de Nasser al-Khelaïfi a commencé en 2003, lorsque le prince Tamim lui a confié le soin d’acheter des droits du foot pour la nouvelle chaîne sportive de l’émirat: Al Jazeera Sport, rebaptisée par la suite BeIN Sports.
En 2005, Hicham Karmoussi devient l’entraîneur de la Smash Academy, «une académie créée par Nasser à Doha avec l’argent du prince héritier pour concurrencer la fédération de tennis»
Le tennisman marocain devient l’entraîneur particulier du prince Tamim, avec lequel il participe à des tournois (notre photo). Tout en accompagnant parfois à Paris Nasser Al-Khelaïfi, qui vient d’être promu patron de BeIN Sports. «En 2006, j’ai basculé à 100% au service de Nasser», raconte-t-il. C’est ainsi que Hicham Karmouchi se retrouve au cœur du pouvoir qatari.
Le prince héritier Tamim, membre du Comité international olympique (CIO), est à l’époque le patron de la très agressive politique sportive de l’émirat, qui veut décrocher l’organisation des plus grandes compétitions, dont la Coupe du monde de football et les Mondiaux d’athlétisme. Le prince Tamim demande à Nasser al-Khelaïfi de l’aider.
Après l’attribution du Mondial 2022 au Qatar et le rachat du PSG qui s’ensuit, Nasser al-Khelaïfi est au zénith: le prince Tamim l’a nommé patron du club et du fonds souverain Qatar Sports Investments (QSI), qui chapeaute aussi BeIN Sports et l’équipementier Burrda Sport.
À chaque étape de sa vie professionnelle, Hicham Karmoussi le suit. Il est son majordome, son intendant particulier, son homme à tout faire. L’ancien tennisman habite avec le patron du PSG dans un grand appartement parisien de l’avenue de Malakoff, dans le XVIearrondissement, en compagnie de son garde du corps palestinien et de son cuisinier égyptien.
Hicham Karmoussi s’occupe «de la logistique», des déplacements et des téléphones portables, dont Nasser al-Khelaïfi, sur consigne des services qataris, change régulièrement. Mais aussi de la vie privée de son patron et des rendez-vous les plus sensibles. «Nasser avait une secrétaire, mais il y avait des choses que la secrétaire ne savait pas et dont je m’occupais.»
Alors même qu’il travaille comme majordome du patron du PSG à Paris, Hicham Karmoussi est officiellement toujours salarié comme «entraîneur de tennis» de la Smash Academy à Doha, comme l’écrit Nasser al-Khelaïfi dans une attestation (notre document ci-contre). Ce qui pose de sérieuses questions en matière de respect du droit du travail.
Résultat : Hicham Karmoussi ne peut résider en France que grâce à des visas temporaires et doit régulièrement quitter le territoire pour les renouveler. «Nasser faisait ça pour s’assurer de ma fidélité. Il est intelligent, il me tenait grâce aux visas, il ne voulait pas que je sois libre et que j’aie mes droits.» Un comportement qui rappelle le système kafala –le parrainage de travailleurs étrangers sous la coupe de leurs employeurs – tant décrié dans le Golfe, et aboli par le Qatar seulement en 2020, après de fortes pressions internationales.
Hicham Karmoussi décrit Nasser al-Khelaïfi comme un patron autoritaire et exigeant, à qui il ne faut rien refuser: «J’étais avec lui jour et nuit, parfois jusqu’à 4heures du matin. Je n’ai pas vu grandir mes enfants.» L’ancien tennisman assure avoir fait «un burn-out» et avoir tenté de «partir plusieurs fois»: «Mais il me menaçait, et j’avais un membre de ma famille qui travaillait au Qatar. Alors je revenais.»
Il raconte que le comportement du patron du PSG a empiré en juin 2017, lorsque plusieurs pays arabes, dont l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, ont décrété un blocus du Qatar. «Le Qatar lui disait de se méfier de son entourage proche. De temps en temps, il nous lançait: “Vous êtes des traîtres!” Il y avait une part d’humour, mais de la part de quelqu’un pour qui vous travaillez sans compter, c’est très blessant.»
Au même moment, Hicham Karmoussi se rapproche des deux personnages aujourd’hui mis en examen dans l’affaire des barbouzeries du PSG. Le premier, Tayeb Benabderrahmane, est lobbyiste. Il aurait rencontré Nasser al-Khelaïfi en juin 2017, juste après le début du blocus: «Nasser a demandé à Tayeb d’organiser des manifestations contre les Émirats à Paris et à Genève. Tayeb a financé l’opération de sa poche, les transports, la nourriture.»
Les policiers ont retrouvé, dans les archives du lobbyiste, une autorisation délivrée par la mairie de Genève pour une manifestation le 8juillet 2017 contre «les violations des droits de l’homme commises par Émirats arabes unis» et «l’embargo illégal contre le Qatar». «Tayeb a présenté une facture, mais Nasser a refusé de payer, raconte son assistant. J’ai alors proposé à Nasser de lui donner des places au “carré”», la prestigieuse tribune VIP du Parc des Princes. Interrogé à ce sujet, le porte-parole de Nasser al-Khelaïfi jure que «NAK n’a jamais rencontré cet escroc appelé Tayeb [Benabderrahmane –ndlr]».Ce jour-là, j’étais au Maroc et mon téléphone ne passait pas. Nasser a appelé un membre de ma famille, pour lui dire que je devais rentrer d’urgence à Paris pour “nettoyer”.
Le majordome Hicham Karmoussi
Le second personnage, Malik Nait-Liman, est à l’époque policier à la DSGI. À la suite de désaccords avec sa hiérarchie, il rêve d’être embauché au PSG, dont il est un grand fan. Il a aidé dès 2015 les dirigeants du club à gérer le problème des supporters ultras, avant d’être embauché en 2018 comme référent supporters.
Selon l’enquête judiciaire, il a rendu, dès 2017, de multiples services au PSG, en facilitant l’obtention de titres de séjour ou en obtenant illégalement des informations issues des fichiers de police.
Selon Hicham Karmoussi, certaines demandes émanaient du patron du PSG en personne: «Quand Nasser avait besoin de quelque chose, je demandais de l’aide à des gens, dont Tayeb et Malik.» Ce témoignage est confirmé par l’enquête judiciaire qui fait par exemple état de demandes d’antécédents judiciaires ou d’identification du propriétaire d’une voiture.
Mais certaines missions étaient, selon son majordome, plus sensibles encore. À partir de 2016 Nasser al-Khelaïfi est en effet dans le collimateur de la justice.
En France, le Parquet national financier (PNF) s’interroge sur le contrat d’achat des droits télé de la compétition à la Fifa, signé par le patron de BeIN Sports en 2010, juste avant le vote attribuant le Mondial, et qui était assorti d’un bonus de 100millions de dollars si le Qatar l’emportait.
Le Parquet fédéral suisse (MPC) enquête pour sa part sur le contrat suivant, conclu en 2014 avec la Fifa pour le montant énorme de 480millions de dollars, au moment où le Qatar faisait le forcing pour que la Coupe du monde soit décalée en hiver. Le deal est d’autant plus suspect que Nasser al-Khelaïfi a mis, au même moment, une luxueuse villa en Sardaigne à la disposition du numéro2 de la Fifa, Jérôme Valcke (lire ici).
C’est dans ce contexte que Hicham Karmoussi raconte que Nasser al-Khelaïfi aurait reçu, début 2017, un coup de fil «de quelqu’un lui disant que la police pourrait venir». Il poursuit: «On était dans l’appartement, on a ramassé des papiers ensemble, et on a tout brûlé dans la baignoire. Mais la baignoire était en matériau synthétique, ça a provoqué un incendie, qu’on a réussi à éteindre.» Malik Nait-Liman a confirmé l’épisode en garde à vue: «Ils ont mis le feu jusqu’au plafond et abîmé l’appartement. C’est d’ailleurs un membre de la famille de Hicham qui a fait les travaux de réfection.»
Le majordome raconte une seconde opération de nettoyage la même année. Le 12octobre 2017, le Parquet national financier perquisitionne le siège de BeIN Sports à Boulogne-Billancourt, à la demande des procureurs suisses qui enquêtent sur l’affaire impliquant Nasser al-Khelaïfi et Jérôme Valcke.
« Ce jour-là, Nasser n’était pas à Paris. J’étais au Maroc pour voir ma famille et mon téléphone ne passait pas, raconte Hicham Karmoussi. Nasser a appelé un membre de ma famille, pour lui dire que je devais rentrer d’urgence à Paris pour “nettoyer”.» L’intendant prend le premier avion et atterrit le soir même à Paris, comme l’atteste le tampon sur son passeport. Il raconte avoir appelé l’un des plus proches collaborateurs du patron du PSG, qui lui aurait donné des instructions au sujet du «nettoyage» et lui aurait dit d’aller détruire les documents chez un journaliste de BeIN Sports.
« Je suis allé à l’appartement, il y avait des choses à prendre partout: des dossiers papier, des iPad, des téléphones, un ordinateur. J’ai rempli trois grandes valises noires, mais je ne pouvais pas tout emporter. J’ai appelé Tayeb Benabderrahmane, parce qu’il n’ habitait pas loin. Je lui ai confié une valise pour qu’il la mette en sécurité – je l’ai récupérée et détruite environ un mois plus tard.»
Selon son récit, Hicham Karmoussi embarque ensuite les deux autres valises dans le coffre d’une Citroën DS5 et roule en pleine nuit vers la banlieue parisienne, jusqu’au domicile du journaliste de BeIN Sports, qui «brûle tout chez lui». Joint au téléphone par Mediapart, ce journaliste se refuse à tout commentaire sur les événements survenus ce jour-là.
« Une semaine plus tard, Nasser est rentré à Paris, on a refait un nettoyage,ajoute son intendant. Il a trouvé une clé USB dans sa chambre. Il m’a dit de la jeter.» Mais Hicham Karmoussi a conservé cette clé, ainsi qu’un des téléphones de son patron, qu’il a stockés dans sa maison au Maroc. «Je ne sais plus pourquoi je les ai gardés,assure-t-il. J’avais tellement de choses sur Nasser, des dossiers sensibles, je n’ai pas réfléchi.»
Le patron du PSG installe un système de vidéosurveillance dans son propre appartement
Le majordome était le garant d’un autre secret de son patron: sa liaison extraconjugale avec une jeune femme. Ce qui serait banal en France ne l’est pas dans un pays rigoriste comme le Qatar, où un homme a été condamné en 2016 à 100 coups de fouet pour adultère. Surtout, cette relation pourrait fragiliser politiquement Nasser al-Khelaïfi ou être exploitée par les pays ennemis du Qatar.
Lorsque la jeune femme doit subir une hospitalisation, Hicham Karmoussi raconte que par souci de discrétion, son patron ne peut alors pas lui rendre visite. C’est lui qui se rend à son chevet, se faisant passer pour son compagnon. Nasser al-Khelaïfi lui offrira une montre pour l’en remercier.
Le majordome raconte qu’au printemps 2018, après un événement lié à sa vie privée, Nasser al-Khelaïfi décide d’installer un système de vidéosurveillance dans son appartement de l’avenue de Malakoff. «Il y avait trois caméras: à l’entrée, dans la cuisine et dans la chambre. Je me suis occupé d’acheter les caméras, et j’ai demandé à Tayeb de l’aide pour les installer. Il a envoyé son beau-frère pour le faire.»
Face aux policiers de la DGSI, Malik Nait-Liman et Tayeb Benabderrahmane ont eux aussi affirmé que c’est le patron du PSG qui a réclamé ces caméras. Interrogé sur l’intervention de son beau-frère, le lobbyiste a répondu qu’il «réserve [ses] déclarations au juge d’instruction».
Hicham Karmoussi assure qu’il n’a jamais eu accès au flux vidéo, normalement destiné à son patron. «Plus tard en 2018, Nasser m’a donné une clé USB avec les vidéos issues des caméras, en me disant de la jeter.» Mais le majordome décide de garder cette clé, à Paris cette fois. Selon l’analyse faite par les enquêteurs de ces données, elles contiennent «plusieurs milliers de séquences» tournées du 13juillet au 6août 2018 dans une chambre fréquentée par Nasser al-Khelaïfi. Dont des vidéos intimes avec sa maîtresse.J’ai vu ses yeux. J’ai compris que quelque chose n’allait pas. Il me dit : “Il faut qu’on se parle.” On rentre dans les toilettes, il me demande de mettre mon téléphone sur mode avion parce qu’on est sur écoute.
Le majordome à propos de son patron Nasser al-Khelaïfi
Au mois d’août 2018, Hicham Karmoussi remet à Tayeb Benabderrahmane le téléphone de Nasser al-Khelaïfi qu’il a récupéré un an plus tôt, «afin qu’il le ramène à Paris». Lors de sa garde à vue, le lobbyiste a indiqué que Hicham Karmoussi lui avait «demandé de garder un téléphone portable, un disque dur et une clé USB». Selon sa version, le majordome a agi à cause de son «mal-être» lié aux mauvais traitements que lui faisait subir le patron du PSG. C’était son «assurance-vie», a de son côté précisé lors de sa garde à vue son ami Malik Nait-Liman, ancien policier de la DGSI devenu le référent supporters du PSG.
Cette remise correspond en tout cas à une période de tension entre Hicham Karmoussi et son patron. À cause de son contrat de travail qatari, l’ancien tennisman, dont le visa avait expiré, est interpellé en 2018 à l’aéroport de Marseille. Il est relâché, mais une obligation de quitter le territoire lui est notifiée le 5juin.
C’est seulement après cet incident que Nasser al-Khelaïfi consent enfin, six mois plus tard, à lui accorder un contrat de travail avec BeIN Sports France. Selon Hicham Karmoussi, il ne couvre alors qu’une partie de son salaire, le solde étant toujours réglé au Qatar. Mais cela lui permet d’obtenir sa première carte de séjour.
Le majordome affirme qu’il a remis «seulement le téléphone» à Tayeb Benabderrahmane, et pas la clé USB contenant les séquences vidéo. Quoi qu’il en soit, le lobbyiste s’est procuré les images: les policiers les ont retrouvées sur le disque dur de son ordinateur, rangées dans un répertoire intitulé «vidéosurveillance NAK avec sa maîtresse».
En 2019, les efforts du lobbyiste finissent par payer: Tayeb Benabderrahmane est embauché par Ali al-Marri, dit «Dr Ali», actuel ministre du travail du Qatar, qui dirigeait à l’époque le NHRC, le Comité national des droits de l’homme. Dans ce pays autoritaire, ce comité est avant tout un outil d’influence. Le Dr Ali est un rival de Nasser al-Khelaïfi, dont il jalouse l’ascension, selon une source proche du pouvoir qatari.
En juin 2019, Tayeb Benabderrahmane déménage donc à Doha avec femme et enfants. Les conditions sont royales: il est payé 80000euros par mois par le NHRC, plus 20000 euros mensuels en tant que conseiller de la société privée du Dr Ali. Lequel se montre fort satisfait de sa recrue: selon des documents versés au dossier judiciaire, Tayeb Benabderrahmane lui a obtenu, en octobre 2019, des rendez-vous avec Pierre Bousquet de Florian, coordinateur du renseignement à l’Élysée, et avec le Belge Gilles de Kerchove, coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme.
Le rêve qatari du lobbyiste s’écroule cependant trois mois plus tard. Il est arrêté à Doha le 13janvier 2020, alors qu’il joue au tennis avec un proche de Hicham Karmoussi.
L’élément déclencheur reste mystérieux. Il est accusé d’«atteinte à la sûreté de l’État du Qatar», selon son avocat de l’époque, avec lequel il est aujourd’hui en conflit. De sources proches du Qatar, on affirme qu’il aurait tenté de faire chanter Nasser al-Khelaïfi avec les données volées, puis qu’il aurait essayé de les vendre aux Émirats arabes unis.
Tayeb Benabderrahmane dément. Lors de sa garde à vue et dans un document, il a indiqué qu’Ali al-Marri lui a demandé de chercher des informations compromettantes sur son rival Nasser al-Khelaïfi. Le lobbyiste aurait informé son employeur des documents que lui avait confiés Hicham Karmoussi, et lui en aurait communiqué une partie. «C’étaient des courriers, des conversations en arabe imprimées», notamment sur «l’attribution de la Coupe du monde».
Selon le lobbyiste, le Dr Ali s’est montré «choqué» par leur contenu, susceptible «d’affecter la souveraineté de son pays». En clair, Tayeb Benabderrahmane pense que son patron aurait pris peur à cause de la sensibilité des informations et l’aurait dénoncé aux autorités. Contactés par Mediapart, Ali al-Marri et l’État du Qatar n’ont pas répondu.
Alors que le Parquet fédéral suisse boucle son enquête sur Nasser al-Khelaïfi et Jérôme Valcke, l’existence de ces documents affole le Qatar, qui veut les récupérer pour éviter toute fuite.
Guet-apens à Doha
Selon Tayeb Benabderrahmane et son épouse, cela passe par la manière forte. Tous deux ont dénoncé par écrit une «détention arbitraire», des interrogatoires sans avocat, des mauvais traitements (cellule de 2mètres carrés, lumière permanente, privations de sommeil, menaces) que Tayeb Benabderrahmane assimile à de la «torture». Son épouse reçoit plusieurs fois la consigne de garder le silence et de ne pas prévenir les autorités françaises.
Les répercussions ne tardent pas à Paris. Hicham Karmoussi explique que le 12janvier, la veille de l’arrestation, il tombe sur Nasser al-Khelaïfi. «J’ai vu ses yeux. J’ai compris que quelque chose n’allait pas. Il me dit: “Il faut qu’on se parle.” On rentre dans les toilettes, il me demande de mettre mon téléphone sur mode avion parce qu’on est sur écoute. Il me demande: “Est-ce que tu connais un certain Tayeb?” Je lui ai répondu: “Tu te fous de moi, tu le connais, il a fait des choses pour toi.” Il me dit: “Fais attention. Tu es sûr que tu n’es pas avec lui?”»
C’est le 15 janvier, c’est lors d’un match du PSG à Monaco que le majordome apprend l’arrestation de son ami, grâce à un membre de sa famille. «Le lendemain, Nasser a reçu un coup de fil et il est parti à Londres. Il m’appelle le jour même pour me dire qu’on doit partir aux Maldives pour des vacances avec sa maîtresse, et que je dois les retrouver à l’aéroport à Doha. J’appelle [la jeune femme], mais elle me dit qu’il n’y a pas de vacances de prévues. C’était un piège. J’ai eu peur, j’ai compris que ça allait être la guerre.»
Au bout de quelques jours, Hicham Karmoussi ne peut plus entrer dans l’appartement de l’avenue de Malakoff, la serrure a été changée. Il raconte que plusieurs proches de son patron l’appellent alors pour l’inciter à se rendre au Qatar, en lui faisant miroiter une augmentation de salaire ou une rupture transactionnelle indemnisée à hauteur de ses 15 ans d’ancienneté. Il tente de se rendre au siège de son employeur BeIN Sports, mais on lui interdit d’entrer.
Vers la fin janvier, il raconte avoir été interpellé dans la rue par une salariée du PSG, qui lui aurait attrapé le poignet pour tenter de le faire monter dans une voiture. Le majordome est persuadé qu’on veut l’emmener de force à Doha. Effrayé, il confie une copie des données à Malik Nait-Liman, ainsi qu’une vidéo de lui dans laquelle il déclare qu’il est menacé: « S’il m’arrive quoi que ce soit, c’est lui le responsable, c’est monsieur Al-Khelaïfi.»
Par la suite, il raconte avoir eu deux rendez-vous avec Nasser al-Khelaïfi en février, qui cherche à tout prix à récupérer les données. Lors de la deuxième rencontre, le majordome raconte que Nasser al-Khelaïfi était «soulagé», car la Fifa venait de retirer sa plainte pour corruption contre lui dans l’affaire Valcke: « Il m’a dit : “T’as vu les journaux ?, il n’y a rien. Si tu veux me rendre mes affaires, OK. Mais si tu ne veux pas, tu ne peux rien faire.”»Ne t’inquiète pas, on n’est pas la police. On a 25 questions et on a déjà les réponses. Si vous mentez, on le saura.
Un des avocats du patron du PSG au majordome
Fin janvier, l’épouse de Tayeb Benabderrahmane a accepté d’aller chercher en Algérie la valise rouge contenant une partie des données. Quand elle rapporte les documents, les services qataris y découvrent les échanges avec Jérôme Valcke. Et malgré le désistement de la Fifa, le parquet suisse obtient le 8avril que Nasser al-Khelaïfi soit jugé. Le procès est programmé le 14septembre.
L’Émirat change de stratégie et adopte une méthode plus douce. C’est ce qu’explique Tayeb Benabderrahmane à son épouse le 15avril, lors d’un coup de fil passé depuis sa prison au Qatar, sous surveillance et sous contrainte: «Ils veulent signer un deal.» Deux semaines plus tard, il est libéré de prison et assigné à résidence à l’hôtel Intercontinental de Doha.
L’épouse du lobbyiste a pu rentrer en France, où elle s’appuie sur MeOlivier Pardo, qui a été conseillé par l’ancienne ministre de la justice et maire du VIIearrondissement de Paris, Rachida Dati, que connaît Tayeb Benabderrahmane.
Une grande négociation débute entre Tayeb Benabderrahmane et Nasser al-Khelaïfi, représenté par les avocats Francis Szpiner et Renaud Sermerdjian, qui veulent un règlement global du problème, incluant Hicham Karmoussi.
Les avocats du patron du PSG demandent à Hicham Karmoussi de se soumettre à plusieurs séances d’interrogatoires: «Szpiner m’a dit:“ Ne t’inquiète pas, on n’est pas la police. On a 25questions et on a déjà les réponses. Si vous mentez, on le saura.”»
Selon l’épouse de Tayeb Benabderrahmane, qui a assisté aux interrogatoires, il s’agissait de comparer les réponses de Hicham Karmoussi à celles données par son mari au Qatar. Selon son témoignage écrit, les avocats du patron du PSG ont demandé au majordome ce qu’il savait précisément au sujet de «l’émir du Qatar», de «la relation entre Nasser al-Khelaïfi et Jérôme Valcke», de la «petite amie» du patron du PSG ou encore de l’installation des caméras à son domicile.
Interrogés par Mediapart au sujet de cette méthode, Me Spziner et MeSemerdjian n’ont pas répondu.
Après des semaines de négociation, le lobbyiste et le majordome acceptent de rendre l’intégralité des données, et signent le 10juillet avec les avocats de Nasser al-Khelaïfi des protocoles assortis d’une clause de confidentialité les obligeant à payer 5millions d’euros si jamais ils parlent de l’affaire.
Hicham Karmoussi accepte une autre condition posée par les avocats de son patron: quitter définitivement la France pour le Maroc. Le majordome a été licencié pour faute par BeIN Sports, qui lui a versé un solde de tout compte de 3355euros. «J’ai insisté pour avoir mes droits de 15 ans de travail,affirme-t-il. Il y a eu une négociation avec Olivier Pardo et le DrAli, qui a promis de m’indemniser. Mais je n’ai jamais rien reçu.» Interrogé à ce sujet, MePardo indique que nos questions comportent des «inexactitudes», mais qu’il ne peut pas les «rectifier» en raison du « secret professionnel ». Hicham Karmoussi décide de rentrer en France.
Tayeb Benabderrahmane, de son côté, s’imagine rentrer en France peu après la signature du protocole du 10juillet. Mais il n'est autorisé à quitter le Qatar que le 1ernovembre, au lendemain de la relaxe en Suisse de Nasser al-Khelaïfi et de Jérôme Valcke.
À son retour, il lance une procédure disciplinaire, puis une plainte pénale, visant les avocats du patron du PSG, mais aussi Rachida Dati et son ancien avocat Olivier Pardo, accusés de l’avoir mal défendu –ce qu’ils démentent. Le lobbyiste a également déposé plainte contre X en août 2022 pour «torture», «arrestation et séquestration» et «menaces de mort avec ordre de remplir une mission». Une information judiciaire vient d’être ouverte à ce sujet, ont annoncé aujourd’hui ses avocats.
De son côté, le juge Tournaire, chargé de l’enquête sur les soupçons de corruption sur l’attribution du Mondial 2022, peut désormais accéder aux données sensibles au cœur de cette incroyable affaire. Il n’en a toutefois qu’une version incomplète, issue de la restauration par la DGSI des disques durs saisis lors des perquisitions.
Mais lors de sa garde à vue, Tayeb Benabderrahmane a fait une étonnante déclaration: il affirme avoir «oublié» de rendre à Nasser al-Khelaïfi une clé USB contenant une copie des données. Elle est «sous séquestre chez un notaire. Je ne vais pas vous donner le nom du notaire», a-t-il ajouté.
Interrogé par Mediapart, il n’a pas souhaité nous dire ce qu’il comptait en faire. Son avocat, Nabil Fadli, nous a répondu que son client «respecte le secret de l’instruction et ne peut donc, à ce stade, rien commenter, confirmer ou infirmer».
Boite noire
Nous avons estimé que dans le contexte très particulier de cette affaire, la liaison entretenue par Nasser al-Khelaïfi était un fait d’intérêt public. Nous avons pris soin de ne livrer aucune information au sujet de la jeune femme concernée, afin qu’elle ne puisse pas être identifiée.
Nous avons envoyé des questions écrites détaillées à tous les protagonistes de l’affaire.
Nous avons contacté le responsable de la communication et les avocats de Nasser al-Khelaïfi mercredi à 17h13, en demandant des réponses pour vendredi à 12heures. L’un de ses conseils, Renaud Semerdjian nous a répondu ainsi vendredi à 10h41: «Il n’est pas acceptable de nous adresser une liste de 18questions et de nous sommer d’y répondre dans un délai de 24heures. Dans un tel délai, nous ne sommes pas en mesure de pouvoir nous concerter utilement avec notre client ayant lui comme nous des engagements professionnels.» Nous lui avons proposé un délai supplémentaire jusqu’à 17heures. Finalement, c’est un porte-parole de Nasser al-Khelaïfi qui nous a répondu par mail (l’intégralité de ses réponses est à lire dans l’onglet Prolonger).
Contactés via le service de presse du gouvernement du Qatar, l’État du Qatar et Ali al-Marri n’ont pas répondu.
« Vos affirmations et questions concernent des instructions judiciaires en cours. Tayeb Benabderrahmane, qui respecte le secret de l’instruction, ne peut donc à ce stade riencommenter, confirmer ouinfirmer», nous a répondu son avocat, Nabil Fadli.
Olivier Pardo, ancien avocat de Tayeb Benabderrahmane et de Hicham Karmoussi, nous a fait la réponse suivante: «Le libellé de vos questions recèle nombre d’inexactitudes. Toutefois, les règles de mon secret professionnel m’interdisent de rectifier celles-ci et d’apporter des réponses à vos questions. J’en suis désolé.»
L’avocat de Malik Nait-Liman, Vincent Brengarth, n’a pas donné suite à nos questions.
Prolonger
Mediapart publie l’intégralité des réponses apportées par un porte-parole de Nasser Al-Khelaifi:
« 1. C’est vraiment un non-sens complet. Il y a des contradictions à chaque étape.
2. Je ne sais vraiment pas pourquoi vous prenez le témoignage de personnes accusées de tant de crimes (il est difficile de tous les énumérer), y compris de falsifier toutes sortes de documents, comme s’ils étaient des témoins crédibles. C’est tellement évident ce qu’ils font et ils vous utilisent à leurs fins.
3. NAK n’a jamais rencontré cet escroc appelé Tayeb [Benabderrahmane].
4. Si vous pensez vraiment qu’il y a une solution miracle autour de l’affaire suisse - après cinq ans d’enquêtes, deux procès exhaustifs et publics, tous les examens possibles, alors que finalement l’affaire est une blague parce que BeIN a payé le prix du marché pour les droits - honnêtement, allez-y !
5. Rappelez-vous, selon tous ces « témoins crédibles » et Juan Branco [l’avocat, aux premiers temps de l’affaire, de Tayeb Benabderrahmane - ndlr], il y a trois semaines, tout cela a commencé alors que Nasser torturait apparemment des gens pour empêcher la divulgation des secrets de la Coupe du monde (qui auraient pu être divulgués pendant des années, en fait postez-les sur Twitter demain). Maintenant, on se rend compte que ces escrocs faisaient chanter Nasser à propos d’une vidéo intime, volaient toutes sortes d’effets personnels, filmaient des choses, essayaient d’extorquer d’autres personnes, ciblaient d’autres personnes. Ils sont l’exemple le plus clair de criminels de rue que vous pourriez rencontrer. Tayeb a apparemment eu 15 avocats, et même Branco n’est plus impliqué.
6. Ce groupe de voyous tente d’être jugé par les médias - en vous utilisant - et honnêtement, nous n’allons tout simplement pas perdre de temps chaque semaine à répondre à ces témoignages ridicules de leur part. Le tribunal prouvera tout cela en temps voulu. »
Boîte noire
Nous avons estimé que dans le contexte très particulier de cette affaire, la liaison entretenue par Nasser al-Khelaïfi était un fait d’intérêt public. Nous avons pris soin de ne livrer aucune information au sujet de la jeune femme concernée, afin qu’elle ne puisse pas être identifiée.
Nous avons envoyé des questions écrites détaillées à tous les protagonistes de l’affaire.
Nous avons contacté le responsable de la communication et les avocats de Nasser al-Khelaïfi mercredi à 17h13, en demandant des réponses pour vendredi à 12heures. L’un de ses conseils, Renaud Semerdjian nous a répondu ainsi vendredi à 10h41: «Il n’est pas acceptable de nous adresser une liste de 18questions et de nous sommer d’y répondre dans un délai de 24heures. Dans un tel délai, nous ne sommes pas en mesure de pouvoir nous concerter utilement avec notre client ayant lui comme nous des engagements professionnels.» Nous lui avons proposé un délai supplémentaire jusqu’à 17heures. Finalement, c’est un porte-parole de Nasser al-Khelaïfi qui nous a répondu par mail (l’intégralité de ses réponses est à lire dans l’onglet Prolonger).
Contactés via le service de presse du gouvernement du Qatar, l’État du Qatar et Ali al-Marri n’ont pas répondu.
« Vos affirmations et questions concernent des instructions judiciaires en cours. Tayeb Benabderrahmane, qui respecte le secret de l’instruction, ne peut donc à ce stade riencommenter, confirmer ouinfirmer», nous a répondu son avocat, Nabil Fadli.
Olivier Pardo, ancien avocat de Tayeb Benabderrahmane et de Hicham Karmoussi, nous a fait la réponse suivante: «Le libellé de vos questions recèle nombre d’inexactitudes. Toutefois, les règles de mon secret professionnel m’interdisent de rectifier celles-ci et d’apporter des réponses à vos questions. J’en suis désolé.»
L’avocat de Malik Nait-Liman, Vincent Brengarth, n’a pas donné suite à nos questions.
Prolonger votre lecture
Mediapart publie l’intégralité des réponses apportées par un porte-parole de Nasser Al-Khelaifi:
« 1. C’est vraiment un non-sens complet. Il y a des contradictions à chaque étape.
2. Je ne sais vraiment pas pourquoi vous prenez le témoignage de personnes accusées de tant de crimes (il est difficile de tous les énumérer), y compris de falsifier toutes sortes de documents, comme s’ils étaient des témoins crédibles. C’est tellement évident ce qu’ils font et ils vous utilisent à leurs fins.
3. NAK n’a jamais rencontré cet escroc appelé Tayeb [Benabderrahmane].
4. Si vous pensez vraiment qu’il y a une solution miracle autour de l’affaire suisse - après cinq ans d’enquêtes, deux procès exhaustifs et publics, tous les examens possibles, alors que finalement l’affaire est une blague parce que BeIN a payé le prix du marché pour les droits - honnêtement, allez-y !
5. Rappelez-vous, selon tous ces « témoins crédibles » et Juan Branco [l’avocat, aux premiers temps de l’affaire, de Tayeb Benabderrahmane - ndlr], il y a trois semaines, tout cela a commencé alors que Nasser torturait apparemment des gens pour empêcher la divulgation des secrets de la Coupe du monde (qui auraient pu être divulgués pendant des années, en fait postez-les sur Twitter demain). Maintenant, on se rend compte que ces escrocs faisaient chanter Nasser à propos d’une vidéo intime, volaient toutes sortes d’effets personnels, filmaient des choses, essayaient d’extorquer d’autres personnes, ciblaient d’autres personnes. Ils sont l’exemple le plus clair de criminels de rue que vous pourriez rencontrer. Tayeb a apparemment eu 15 avocats, et même Branco n’est plus impliqué.
6. Ce groupe de voyous tente d’être jugé par les médias - en vous utilisant - et honnêtement, nous n’allons tout simplement pas perdre de temps chaque semaine à répondre à ces témoignages ridicules de leur part. Le tribunal prouvera tout cela en temps voulu. »
Mediapart
...
