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RENCONTRE; Franco Baresi, toujours la classe; À l'occasion de la sortie de son livre "Libre de rêver", l'ancien capitaine du Milan évoque ses matches contre l'OM
Jean-Pierre Papin nous avait rappelé : "Franco, c'est la grande classe". Et c'est bien l'image que l'ancien capitaine du Milan a laissée. Le respect qu'il inspirait en faisait d'ailleurs un "troisième juge de touche" très crédible pour revenir sur cette réputation qu'il avait d'influencer efficacement les arbitres lorsqu'il levait le bras pour réclamer un hors-jeu. Sa sérénité n'a pas varié. À 62 ans, Franco Baresi conserve un charisme impressionnant.
Dans les locaux de son éditeur parisien, au Quartier Latin, "Slatkine & Cie", tout près du Jardin du Luxembourg, un sourire apparaît rapidement lorsqu'on parle de "JPP" : "Jean-Pierre est un garçon extraordinaire pour lequel j'ai beaucoup d'affection. Un grand buteur qui a marqué beaucoup de buts importants aussi au Milan."
Mais si la classe semble coller à la peau de Franco, il n'est pas né avec et c'est le grand mérite de son livre "Libre de rêver" (jeu de mots avec "libero de rêve" en italien) que de nous plonger dans une enfance extrêmement modeste, au coeur d'une ferme de Lombardie, avec les toilettes à l'extérieur.
"Je raconte mon histoire, mon enfance, mes premiers ballons, à quatre cinq ans, dans cette ferme modeste, où j'ai acquis des valeurs importantes qui m'ont porté toute ma vie. J'ai grandi en liberté, en m'amusant. Je parle là des années soixante, une autre époque. Mes parents m'ont appris le respect, je me suis efforcé de ne jamais dévier de cette éducation. Nous ne possédions pas grand-chose, alors le peu que nous avions, nous le chérissions, comme un ballon qui apportait de la joie à tous. Ces souvenirs m'émeuvent beaucoup."
Il alterne entre narration de la première partie de sa vie et coupe du monde 1994 dont il veut faire un symbole de sa persévérance. "J'ai voulu tourner autour de cette finale de coupe perdue en 1994 alors que je me suis blessé au premier match, j'ai été opéré du genou et personne, même pas moi, ne pensait que je serais prêt pour la finale et que j'y jouerais à ce niveau. J'ai voulu raconter ce qui a été le moteur de la vie, qui m'a permis de surmonter les épreuves, les obstacles. C'est un message. L'important a été de réussir à cultiver cette passion, en ayant la chance de rencontrer les bonnes personnes qui te donnent ta chance. Le talent compte mais il ne suffit pas."
Arrivé au Milan à l'adolescence, il en est aujourd'hui le vice-président honoraire, ambassadeur, travaillant sur le marketing, l'image. Une fidélité exceptionnelle, près de cinquante ans plus tard.
"Ce rapport fort entre le Milan et moi remonte loin, j'avais quatorze ans quand j'ai quitté ma campagne pour une nouvelle expérience qui a été ma bouée de sauvetage. C'est à cette période que j'ai perdu mes parents, ma mère d'abord, puis mon père. Le club m'a permis de patienter et de progresser. J'ai toujours été reconnaissant au Milan de m'avoir accueilli et de m'avoir permis de gagner des trophées."
Il est bon de rappeler qu'avant la gloire de la fin des années 80, Franco, qui avait débuté en Serie A à 18 ans, avait connu aussi la chute en D2, sans jamais songer à partir.
"Ma fidélité à ce club a été plus forte que tout. Le foot a beaucoup changé, les jeunes sont attirés aussi par plus de choses que nous à l'époque, mais il y en a toujours qui sont assez sérieux, dédiés à leur passion pour atteindre leur but."
Baresi a pris part à une révolution dans le foot, celle menée par Arrigo Sacchi, devenu entraîneur du Milan en 1987, et qui a "tué" le catenaccio pour promouvoir un jeu tourné vers l'avant. "Il a été un novateur révolutionnaire. Nous l'avons suivi et ça a été une aventure extraordinaire. Il a changé la façon de penser le football en Italie. Un foot nouveau, plein d'émotions, spectaculaire et en plus, victorieux. Le championnat italien était très particulier, avec comme objectif premier de ne pas encaisser de buts. Sacchi et notre Milan ont apporté une mentalité inattendue au football italien. Nous étions très forts dans l'organisation, pour mieux attaquer, surprendre l'adversaire quand il n'y était pas préparé, en jouant haut, en le mettant hors-jeu, en le pressant."
Et puis un jour de mars 1991, le Milan a trouvé son maître, l'OM de Raymond Goethals. Avec un match retour où les Milanais n'ont pas voulu reprendre le jeu après l'extinction momentanée d'un projecteur, Franco en garde un souvenir douloureux qu'il n'hésite pas à évoquer.
"Les années passent et avec un surcroît de maturité, comme je l'ai écrit dans le livre, cet épisode me navre et j'ai tenu à délivrer un message de respect pour l'adversaire. Ce n'était pas un moment positif pour le Milan. Il nous fallait reconnaître la supériorité de l'OM, alors que nous avons cherché à nous raccrocher à ce projecteur qui s'est éteint, puis s'est rallumé, suffisamment pour que nous puissions jouer. En tant que capitaine, j'aurais pu passer outre les ordres de nos dirigeants et faire reprendre la partie.
"Nous savions que l'OM avait une grande équipe et nous n'avons pas voulu l'accepter. Une équipe difficile, avec des gens de talent. L'entraîneur, Raymond Goethals, a été très malin. Il a joué avec nos armes, très haut, en pressant, ils ont été très bons. À Marseille, Waddle a été imprenable ! Dans le jeu, dans les duels. Lui ne se souvient pas, mais moi oui ! Et il y avait aussi Jean-Pierre, Pelé, Boli, des joueurs extraordinaires. L'ambiance au Vélodrome était très chaude aussi, une ville de passion. J'ai encore toutes les images en tête."
Tous les Marseillais aussi. 1991, 1993, Munich, l'OM était la "bête noire" du Milan. "Ces années-là, assurément ! C'est cette finale qui me laisse beaucoup d'amertume, ce match-là que nous aurions dû gagner. Nous avions remporté nos dix matches européens, la finale aurait dû être l'apothéose. Et nous avons perdu en ratant quelques occasions en première période, avec des arrêts magnifiques de Barthez. Mon grand regret est de ne pas avoir eu Gullit : avec nos trois Néerlandais, nous n'avons jamais perdu une finale. Jean-Pierre, lui aussi, tenait beaucoup à ce match. Mais je crois que les Marseillais l'ont voulu encore plus que nous. Un tout petit plus, mais ça a fait la différence. Une finale est toujours un moment particulier."
Voilà pourquoi l'OM a été à jamais le premier. Et encore le seul. Le Milan a gagné sept coupes d'Europe des clubs champions pour quatre finales perdues. Franco Baresi en a deux à la maison. La classe...
La Provence