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Foot - OM; Gili décrypte le légendaire OM-Benfica 1990
Le 4 avril 1990, l'OM de Gérard Gili disputait contre Benfica sa première demi-finale de Coupe d'Europe des champions. Une rencontre dingue qui aurait dû, avec plus de réussite, déboucher sur une finale. Mais la main de Vata au retour a (presque) tout effacé. Décryptage de ce match presque parfait. L'APPROCHE DU MATCH« Cet OM n'avait peur de rien »« À l'été 1989, pendant un entraînement, Bernard Tapie me dit : "Si t'es d'accord, on repart encore pour un an. Et l'objectif, c'est la Coupe des clubs champions." Je lui dis : "OK, Bernard, mais quels joueurs tu me donnes pour ça ? Car, pour aller au-dessus, il faut des joueurs qui peuvent regarder Milan, le Bayern, le Real dans les yeux." Tapie fait le recrutement en dix jours avec des pointures comme Mozer, Tigana, Francescoli, Amoros...En 1988-89, on jouait très direct, on n'avait pas trop la capacité par nos relances de trouver nos milieux dans le coeur du jeu. En 1989-90, on a enfin cette capacité-là, notamment grâce à Tigana et Sauzée.
Mais il ne fallait pas non plus avoir trop de possession haute, alors que c'était dans nos cordes, pour ne pas obliger la défense adverse à jouer trop bas, ce qui nous aurait privés de la profondeur indispensable à JPP.Car, offensivement, l'idée forte était claire : servir Papin. Et tout notre jeu devait être pensé par rapport à cette finalité. Donc, parfois, on faisait quelques passes latérales, pour attirer l'adversaire et créer cette profondeur.Et on avait de la personnalité. À Athènes en huitièmes de finale (1-1 sur le terrain de l'AEK), Mozer dit aux autres : "Faites comme moi." Ils vont dans le couloir un peu exigu, se tournent vers les joueurs grecs, les regardent droit dans les yeux et commencent à leur marcher sur les pieds. Les Grecs les ont pris pour des tarés, le match était gagné avant le coup d'envoi. Cet OM-là n'avait peur de rien. Et était prêt pour le sommet. »LE PLAN DE JEU« Le casse-tête Valdo »« Benfica, c'était une sorte de petit Milan avec des principes de jeu très voisins : 4-4-2 à plat, pressing de zone, etc. À deux différences près : Milan était davantage capable de maintenir son pressing sur la durée d'un match. Benfica, lui, devait davantage procéder par à-coups, et, surtout, les Rossoneri avaient plus d'agressivité dans ce pressing, ils le faisaient plus haut, alors que les Portugais étaient en bloc médian, voire bas.Le gros point fort de cette formation, c'était Valdo, un vrai casse-tête, très déséquilibrant dans les derniers mètres. C'est pour ça que je fais le choix de Didier Deschamps pour se charger spécifiquement de Valdo. L'autre chose qui me tracassait, c'était la gestion de la profondeur dans notre dos.Jean Castaneda était un gardien beaucoup plus conservateur dans son style que Gaëtan Huard, blessé (à la fin du quart de finale retour) contre Sofia (qualification face au CSKA, 1-0, 3-1). Psychologiquement, on le sentait fragile. Son premier match à Brest (1-2) s'était mal passé, il n'avait pas été bon, il avait entendu des remarques de certains coéquipiers comme "on n'a pas de gardien".Ça l'avait détruit, on n'arrivait pas à le récupérer. Donc, pour le "sécuriser "un peu, j'ai décidé de mettre Mozer en libéro décroché pour gérer cette fameuse profondeur. Du coup, Franck Sauzée est chargé de prendre l'avant-centre suédois Magnusson en individuel. »LA CAUSERIE D'AVANT-MATCH« Toi, tu as 80 sélections ; toi, tu as gagné l'Euro, toi.... »« Benfica était présenté comme un monstre d'expérience européenne (2 victoires et 4 finales de C1 à l'époque) et l'OM comme un petit nouveau dans ce grand monde. Alors, j'ai écrit devant mes joueurs le nombre de sélections et de faits d'armes de haut niveau que chacun avait. "Toi, tu as 80 sélections ; toi, tu as gagné l'Euro ; toi, tant de phases finales ; toi, tu as tant de matches européens, etc."Et, en plus de cela, je leur ai dit : "Regardez ce que l'on représente dans les grandes compétitions. Là, ce n'est qu'un match de plus d'une grande compétition dans votre carrière qui en compte déjà un certain nombre." Je me suis toujours arrangé pour ne pas parler aux joueurs en la présence de Tapie, car, quand j'étais encore à la formation, l'après-midi, il m'arrivait d'aller jouer aux boules avec Gérard Banide qui me disait : "Punaise, avec Bernard, on ne peut pas parler, mon truc auprès des joueurs est tombé à plat après son speech, etc."Tapie leur disait : "Si je suis le président du plus grand club du monde, c'est vous que je choisis." Il avait une telle force de persuasion... Il aurait vendu n'importe quoi à n'importe qui. Et, après une entrevue avec Tapie, chaque joueur était convaincu d'être le plus fort, même si ce n'était pas vrai. »LA PREMIÈRE PÉRIODE« Je me dis : "Qu'il est con ce Gili..." »« Dès le début, on est fébriles sur phases arrêtées défensives, on concède plusieurs coups de pied arrêtés et le but de Lima (12e) est un vrai coup dur, car les Portugais ont déjà obtenu ce qu'ils étaient venus chercher : le fameux but à l'extérieur.Notre chance, pour ne pas trop gamberger, c'est d'égaliser rapidement par Sauzée (16e), nous aussi sur corner. On les frappait très sortant car Carlos Mozer aimait bien partir de loin pour tout arracher sur son impulsion en attaquant la zone de face.Mais Benfica nous fait vraiment mal avec un jeu en un minimum de touches, facilité par le fait qu'ils ont beaucoup d'espaces car on a un joueur de moins au milieu. Sur le banc, je me dis : "Mais qu'il est con ce Gili... !" Valdo, en allant beaucoup sur le côté gauche, sort Deschamps de l'axe, et Tigana se retrouve seul à un contre deux face à Thern et Hernani.Pendant quasiment une demi-heure, c'est Benfica qui dicte le match. Chris Waddle a tendance à resserrer dans l'axe, mais ça a pour conséquence qu'il s'embarque dans des dribbles vers le côté gauche et va s'empêtrer dans la densité, là où sont déjà Francescoli et Germain.Le rythme du match est très, très élevé car chaque équipe, dès la récupération, veut faire mal. En boxe, on parlerait de match de puncheurs. C'est d'ailleurs comme ça que l'on prend l'avantage par Papin, juste avant la pause (44e) sur un lancement rapide de Waddle dans la profondeur, car on savait que la vitesse de Jean-Pierre allait faire mal à la charnière Ricardo-Aldair. »LA MI-TEMPS« Les consignes que je vous ai données ne sont pas bonnes »« Avant même de revenir au vestiaire, je sais comment je vais procéder. Je dis aux joueurs : "On est mal placés sur le terrain. Les consignes que je vous ai données avant le match ne sont pas bonnes car elles ne permettent pas à l'équipe de bien s'exprimer." Je prends la responsabilité devant eux de ce qui ne s'est pas bien passé.Si je leur avais expliqué qu'ils n'étaient pas assez dedans, pas assez agressifs, ou je ne sais quoi, je les aurais perdus car ils n'auraient aucune confiance dans mon jugement. Donc, je leur dis très brièvement que l'on va arrêter l'individuel, que l'on repasse à deux au milieu axial, que chacun se chargera de Valdo quand il viendra dans sa zone, que l'on arrête aussi de prendre Magnusson en individuel pour retrouver une égalité numérique dans toutes les zones.Ensuite, les joueurs échangent et rappellent les situations de la première période où l'adversaire, sous la pression, a perdu aussi le ballon : "Celui qui est face à moi n'a pas l'air très bon ; moi, le mien panique un peu quand je l'agresse, etc."Donc, ils comprennent d'autant plus que, mieux positionnés, ils peuvent leur faire mal car ils ont vu certains joueurs de Benfica "savonner" un peu quand on les pressait. Et tout le monde repart regonflé au maximum, fort du nouveau dispositif du coach et de leur propre ressenti où ils savent qu'en face ce n'est pas meilleur qu'eux. »LA SECONDE PÉRIODE« Je nous sens désormais très au-dessus »« C'est quasiment une autre rencontre qui débute. D'autant qu'il y a une donnée que je pressens, c'est la dimension physique. Je sais mon équipe vraiment très forte sur ce plan alors que je note assez vite que quelques joueurs de Benfica "lâchent", qu'ils reviennent avec plus de difficultés. Je me dis que si l'on maintient cette pression que l'on est désormais capable de mettre avec nos ajustements, ça peut craquer en face.Pour cela, il faut un but. Car, tant que le score est comme cela, c'est-à-dire pas trop défavorable pour eux en vue du retour, ils vont s'accrocher autant qu'ils peuvent. Mais si on marque ce troisième but, ensuite, ils peuvent exploser et en prendre beaucoup dans la foulée.L'équipe est vraiment en place et marche sur l'adversaire car on ne se déstructure plus en voulant prendre Valdo au marquage. Maintenant, on peut les attraper, on est sur les zones de contact. Au milieu, on reste à deux et, surtout, on peut jouer en avançant alors qu'en première période, on passait notre temps à compenser en reculant.Et c'est parce qu'on a désormais le jeu face à nous que l'on peut accélérer, comme sur le centre de Bruno Germain, bien lancé par Enzo Francescoli, pour Jean-Pierre Papin qui reprend de l'extérieur sur le poteau du but portugais (48e). Cette action nous prouve que l'on a retrouvé notre harmonie de jeu, chacun se déplace bien par rapport au partenaire.Et moi, je suis alors persuadé que l'on va en mettre vite un autre car je me mets à la place de l'adversaire qui comprend que ce n'est plus le même Olympique de Marseille et qu'il va devoir tenir quarante-cinq minutes face à ce rouleau compresseur. Quand tu sais que tu vas autant souffrir, cela peut impacter ta vaillance et ta résistance.Je sens que la qualification pour la finale est en train de se jouer là. Car, non seulement avec deux buts d'avance, on serait en bonne position comptable mais, surtout, je pense que l'on est en train de les marquer mentalement en vue de la manche retour. Comme je nous sens désormais très au-dessus, je fais entrer Philippe Vercruysse à la place d'Éric Di Meco (58e, Germain reculant au poste de latéral gauche) car, balle au pied, il fait de vraies différences, surtout face à une défense sur les talons.Francescoli passe un peu côté gauche pour faire parler sa qualité d'élimination car, maintenant, Benfica ne sort plus de son camp, ils sont à l'arrache sur tout. Pour reprendre l'expression de Charles Biétry, le penalty a longtemps mijoté, avec plusieurs situations très "sifflables"... mais il n'est jamais arrivé. Et Veloso, déjà averti, qui ceinture Waddle partant au but, ne prend pas le second jaune synonyme d'expulsion alors que la faute est sifflée. Bref... »LA DERNIÈRE DEMI-HEURE DE FOLIE« Si on la rejoue, ça fait 5-1 minimum »« Même sans ces faits de jeu, on doit faire la différence, Francescoli est à deux doigts de mettre le but de l'année : sur une remise de la tête de Germain, Enzo contrôle en l'air en retrait, puis repivote vers le but en éliminant le défenseur, ouvre le pied aux six mètres mais le gardien Silvino repousse du bout d'un genou (63e).À ce moment-là, je me dis que ça commence à faire beaucoup et ça me tracasse car c'est rare à ce niveau-là d'avoir autant de marge, autant d'occases nettes. Et pourtant, on ne marque pas ce satané troisième but qui changerait tout. Celui aussi qui fait un festival, c'est Chris Waddle. Car, désormais, il est sur son côté droit et peut jouer Veloso systématiquement en un contre un. Et sa passe incurvée dans la profondeur pour Jean-Pierre Papin à droite qui centre impeccablement pour Enzo Francescoli.Du banc de touche, je crois qu'il y a but, alors que le ballon vient flirter avec le poteau droit (73e). Quelques minutes avant deux occasions sauvées sur la ligne, la première de Carlos Mozer au second poteau avec l'effet du ballon qui passe sous le bras de Veloso mais n'entre pas dans le but, et la seconde, trente secondes plus tard sur la tête de Bruno Germain enlevée du bout du tibia par José Carlos (79e).Benfica est dans les cordes, quasiment les genoux à terre, mais s'accroche à tout ce qu'il peut pour ne pas tomber car, s'il tombe, la chute est définitive. C'est fou car si on rejoue cette dernière demi-heure dix fois, ça fait 5-1 minimum tous les jours.Après cette double occasion, notre moment très fort est un peu passé. Et, moins une, Benfica aurait pu réussir le hold-up de la saison avec l'occase de Valdo dans les arrêts de jeu qui bute sur Jean Castaneda alors qu'il a deux partenaires seuls au point de penalty face au but vide... »L'IMAGE QUI RESTE« On n'aurait jamais dû entendre parler de la main de Vata »« À la fin du match, je suis partagé. D'un côté, je me dis qu'on a été très largement supérieurs et que si l'on arrive à reproduire notre performance de la seconde période, on peut leur faire très mal au stade de la Luz.D'un autre, je regrette d'avoir voulu m'adapter à Benfica en première période. Chercher à s'adapter, c'est se soumettre à l'adversaire et on a davantage l'adhésion des joueurs quand on les fait jouer sur leurs forces. Car, vraiment, au sortir du match, je sais que l'on est plus forts.Mais j'ai la sensation que l'on a laissé passer l'occasion. Certes, on n'a pas eu de chance. Mais ne pas avoir de chance à ce point, ça devient quasiment une faute au plus haut niveau. Avec deux buts d'avance, on n'aurait jamais dû entendre parler de la main de Vata. Oui, cette équipe aurait dû être championne d'Europe. »Le quiz du coach Gili : 4/7« Qui était alors l'entraîneur de Benfica ?C'était le Suédois Sven-Göran Eriksson. (VRAI.) 1/1. Quelle était la nationalité de l'arbitre du match ? Ah, je m'en souviens, il s'appelait M. Courtney. Donc un Anglais, je suppose. (VRAI.) 2/2. Combien de cartons ont été adressés aux joueurs marseillais ? Mmm... À mon avis, vu ce que Mozer a mis à Magnusson, il a dû être averti et il ne devait pas être le seul. Je dirais deux ou trois. (FAUX. Aucun joueur de l'OM n'a été averti lors de ce match contre 3 cartons à Benfica). 2/3. Combien de demi-finales de Coupes d'Europe avait jouées l'Olympique de Marseille avant ce rendez-vous face à Benfica ? Avec Gérard Banide, ils en avaient joué une pas longtemps avant nous... Je dirais trois, peut-être. (FAUX. L'OM n'en avait joué qu'une, en Coupe des vainqueurs de coupe 1987-88 face à l'Ajax Amsterdam (0-3 ; 2-1). 2/4. Dans cette édition de C1, avant ce match face à l'OM, Benfica a disputé six rencontres. Pour combien de victoires ? Ils étaient forts cette année-là, très costauds, ils ne prenaient quasiment aucun but... Allez, je dirais 6. (VRAI.) 3/5. Papin finit meilleur buteur de la C1 cette année-là, à égalité avec Romario, le Brésilien du PSV Eindhoven, Romario. Avec combien de buts ? Je dirais 5 ou 6... 6, peut-être. (VRAI.) 4/6. Cette saison 1989-1990, l'OM dispute, toutes compétitions confondues, 51 matches. En inscrivant plus ou moins de 100 buts au total ? Je pense dans les 90 et quelques... Donc, moins de 100 buts. (FAUX. Marseille marque 102 buts cette saison-là). 4/7. »
L'Equipe