Information
POURQUOI LA LIGUE DE FOOTBALL PROFESSIONNEL VEUT ATTIRER UN FONDS D’INVESTISSEMENT
L’instance dirigeante du football professionnel français reçoit aujourd’hui les offres de fonds d’investissements souhaitant prendre des parts dans son capital. Pour répondre à l’urgence budgétaire et préparer l’avenir.
Vincent Labrune, président de la LFP, était grave devant le Sénat, le 8 décembre. Soumis par les élus à des questions sur l'état du foot français, il défendait son idée de créer une société commerciale pour la Ligue -ce qui requiert une modification légalislative- qui pourra vendre à des acteurs privés une partie de ses capitaux.
Le calendrier s'est accéléré ces derniers jours: outre l'audition, la Ligue attend jusqu'à ce soir des offres non-contraignantes de la part des fonds intéressés pour acheter environ 10% des parts de la future société. Elle étudie aussi en interne des mesures de réforme, comme un encadrement des salaires ou de la taille des effectifs.
Une trentaine de candidats se seraient prononcés, dont une large majorité -plus de 80%- de fonds anglosaxons. La Ligue n'en a conservé qu'un tiers, dont CVC Capital Partners et Bain Capital, a appris Reuters. KKR, Apollo ou EQT seraient aussi sur les rangs. Une entrée de l'un de ces géants de la finance aurait plusieurs intérêts pour le championnat français.
Parce qu'elle estime ne pas avoir le choix
"Cette société commerciale, c’est la solution à court-terme. Le football français a perdu de l’argent pendant la crise et il faut sauver les meubles très rapidement", souligne Pierre Rondeau, professeur d'économie à la Sports Management School et spécialiste de l'économie du sport.
600 à 800 millions d'euros ont échappé au secteur du fait de l'annulation de la fin de saison 2019-2020, et de la baisse des recettes de billetteries. Selon un document de l'UEFA, les clubs français ont accusé une perte particulièrement significative, de l'ordre de 30%. Car outre les pertes liées au virus, le désistement du diffuseur -le groupe espagnol Mediapro- a coûté particulièrement cher.
A titre d'exemple, le seul club coté de Ligue 1, l'Olympique Lyonnais, a déclaré des recettes en chute libre, de 35% sur l'exercice 2020-2021. Les pertes se montent à 107 millions d'euros. Le 1,5 milliard estimé que pourrait rapporter le 10% du championnat épongerait une large partie des dettes.
Pour changer de modèle économique
A plus long terme, l'entrée d'un privé doit permettre de réformer le modèle économique actuel. Les clubs de football sont des acteurs précaires, rarement profitables, mais les clubs français se distinguent particulièrement par leur grande fragilité.
Ils reposent leur survie sur les droits issus de la diffusion TV: dans les derniers rapports financiers publiés par la DNCG, bras droit financier de la LFP, Angers déclarait par exemple des revenus, hors transferts de joueurs, basés à 57% sur cette unique manne. De quoi être particulièrement exposé à une crise comme celle ouverte par Mediapro. Les transferts eux-mêmes, première ou deuxième source de revenus, fluctuent d'année en année et ont été ralentis par les conséquence économiques de l'épidémie.
L'argent d'un fonds pourrait changer la donne: "Cela permettrait aux clubs français de stabiliser leur comptabilité et de développer leurs investissements pour renforcer leur compétitivité", souligne Pierre Rondeau. D'autant que la Ligue se penche sur plusieurs pistes, comme un salary cap adossant une masse salariale maximale au chiffre d'affaires du club, ou une limitation des effectifs à 24 joueurs. Le but? Agir sur le principal poste de dépense, les salaires, et faire éclore plus vite des jeunes, fortes valeurs marchandes.
"On est en droit de se demander si ce n’est pas une demande des fonds d’investissement pour que le championnat français réduise sa cadence financière", explique encore Pierre Rondeau. L'entrée d'un fonds pourrait aussi changer la répartition des revenus entre les clubs, pour favoriser les plus gros. Façon de les rendre plus compétitifs au niveau européen, et voir leurs revenus "ruisseler" en France.
Pour éviter un recul sportif
"Nous avons l’impérieuse nécessité d’être surperformant sur la scène européenne sur la même période puisqu’une réforme de l’UEFA se mettra en place en 2024", a détaillé devant le Sénat Vincent Labrune. "On est cinquième au classement européen et les cinq premiers auront quatre places qualificatives en Ligue des champions. Si on sort du Top 5 européen, le championnat de France sera définitivement en deuxième division européenne."
La LFP veut faire rentrer un fonds d'investissement pour augmenter sa puissance financière et mieux rivaliser avec les riches clubs anglais, les italiens, les allemands ou les espagnols. Et mettre à distance le Portugal, qui menace d'exclure la France du top 5, et des places préférentielles pour les coupes européennes.
Le football européen, avec la future réforme de la Ligue des Champions, consacrera son modèle très fermé aux clubs de moindre importance financière et sportive. La LFP estime donc devoir agir, d'autant que l'Espagne a sauté le pas en faisant entrer CVC Partners pour quelque 2 milliards d'euros. Quitte à y perdre une partie de sa souveraineté financière et politique, comme le dénoncent de l'autre côté des Pyrénées les très puissants Real Madrid et FC Barcelone, qui ont refusé le deal.
@BFM Business