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Buzansky, le dernier du « Onze d'or » hongrois est mortLe Monde.fr | 13.01.2015 à 21h45 • Mis à jour le 14.01.2015 à 13h29 | Par Bruno Lesprit
Jeno Buzansky, défenseur droit de l'équipe légendaire de Puskas.
Il était le dernier survivant d’une des sélections les plus mythiques et maudites de l’histoire du football, le « Onze d’or » hongrois des années 1950. Mythique parce qu’hégémonique, redoutée et pratiquement irrésistible. Maudite parce qu’elle fut incapable d’enlever le trophée suprême, la Coupe du monde. Le défenseur Jeno Buzansky est mort, dimanche 11 janvier à Esztergom, près de Budapest, à l’âge de 89 ans. Depuis la disparition en juin 2014 du gardien de but Gyula Grosics – dit « la Panthère noire » pour la couleur de sa tenue – en juin 2014, il était le seul joueur encore en vie de la phalange réputée indestructible qui s’inclina à la surprise générale contre l’Allemagne de l’Ouest le 4 juillet 1954 en finale du Mondial. Du côté des vainqueurs, le résultat fut célébré sous le nom de « Miracle de Berne ». Pour les perdants, il restera comme un cruel et inexplicable désastre, le seul revers que connut en 50 rencontres (dont 42 victoires) la Hongrie lors de son règne, de 1950 à 1956.
Buzansky ne rata que deux matches de cette fantastique épopée. Défenseur latéral droit au Dorogi FC, modeste club dont le principal fait de gloire est d’avoir atteint la finale de Coupe de Hongrie en 1952, il fut convoqué en sélection en novembre 1950. L’entraîneur Gusztav Sebes avait entrepris de révolutionner ce sport en adoptant un schéma offensif en 4-2-4. Un « football socialiste », selon lui, qui exigeait à la fois virtuosité technique, polyvalence dans les tâches et un engagement physique constant.
Aujourd’hui désuet et abandonné, ce 4-2-4 proposait une alternative souple au rigide « W-M » mis au point par les Anglais dans les années 1920 avec deux inters et trois avants. « Quand nous attaquions, chacun attaquait, et en défense c’était pareil, devait plus tard commenter la star Ferenc Puskas. Nous étions le prototype du football total », modèle que reprendront à leur compte les « Hollandais volants » des années 1970 avec Johann Cruyff. Ainsi le rôle de Buzansky n’était pas cantonné au labeur défensif. Même s’il n’a pas inscrit de but en sélection, il venait souvent prêter pied fort aux attaquants de son couloir droit. Ce qui peut sembler banal aujourd’hui ne l’était pas alors.
LE « MAJOR GALOPANT » ET « TÊTE D'OR »L’Aranycsapat (Onze d’or) bénéficiait d’une génération du même métal. Il était constitué d’artistes, les avant-centres Puskas (alias le « Major galopant ») et Nandor Hidegkuti, les ailiers Zoltan Czibor et Sandor Kocsis (« Tête d’or »), le demi stratège Jozsef Bozsik, pour ne citer que les plus illustres des « Magyars magiques ». Buzansky était l’un des plus discrets, le seul à ne pas évoluer dans les deux grands clubs de la capitale, le Honved (le club de l’armée) ou le MTK (celui de la police, un temps rebaptisé Vörös Lobogo, soit « drapeau rouge »). Depuis la mise en place de la République populaire en 1949, l'autre institution budapestoise, le Ferencvaros, considérée comme bourgeoise, avait été délestée de ses meilleurs éléments (Coczis, Czibor, Lazlo Budai) au bénéfice du Honved, qui profitait du service militaire pour se renforcer.
Comme pour Attila, figure nationale, l’herbe des pelouses européennes ne repoussait plus au passage du Onze d’or. Pour sa première sortie hors du bloc communiste, il terrifia le monde en 1952 aux Jeux olympiques d’Helsinki en triomphant de la Yougoslavie en finale (2-0). Auparavant l’Italie (3-0), la Turquie (7-1) puis la Suède (6-0) avaient été mises au supplice. Aux médailles d’or furent ajoutées l’année suivante la Coupe internationale européenne (ou Coupe Dr Gerö), un ancêtre en miniature de l’Euro mettant aux prises la l’Italie, la Suisse, l’Autriche, la Tchécoslovaquie et la Hongrie. En finale, à Rome, la Squadra Azzura fut une nouvelle fois battue et sur le même score.
Restait aux Magyars à se mesurer aux inventeurs du jeu, les Anglais, isolés dans leur île mais convaincus de leur superbe et de leur domination. Le 25 novembre 1953 fut organisé un des innombrables matches « du siècle » de l’histoire du football. Les Lions, qui n’avaient jamais été vaincus sur leur sol par des continentaux, s’inclinèrent lourdement (6-3) à Wembley devant plus de 100 000 supporteurs effarés. Une revanche fut programmée à Budapest en mai 1954. Elle ne fit qu’amplifier le verdict : 7-1 pour les Hongrois. La France de Raymond Kopa devait regretter de ne les avoir jamais affrontés.
LE DÉSASTRE DE BERNEAussi, pour la Coupe du monde 1954 qui débutait en juin, les observateurs étaient-ils unanimes : le trophée Jules-Rimet ne pouvait échapper aux mains du major – et capitaine – Puskas. Ni la Corée du Sud (9-0) ni même le futur vainqueur, l’Allemagne de l’Ouest (8-3), ne firent illusion au premier tour. A l’inverse des Uruguayens qui, en demi-finale, contraignirent les Hongrois à d’humiliantes prolongations (4-2).
Avant la finale, au stade du Wankdorf de Berne, on ne doutait de rien quand bien même Puskas claudiquait depuis la première rencontre face aux Allemands. Au Nep, le « stade du peuple » à Budapest, les socles étaient déjà prêts à accueillir les statues des héros. Ailleurs, le tokaj était prêt. Et fut débouché quand, après seulement huit minutes, les Hongrois, maîtres du ballon, eurent déjà inscrits deux buts.
Mais la pluie battante annonçait l’imminence d’une intervention divine, ou d’une catastrophe, selon le camp. Les favoris ne devaient plus connaître la moindre réussite. Ils furent en revanche rapidement rejoints au score. A cinq minutes du coup de sifflet final, Helmut Rahn leur porta le coup de grâce.
Helmut Rahn marque le but de la victoire contre la Hongrie de Ferenc Puskas (3-2), en finale de la Coupe du monde 1954, à Berne.
Pour la République fédérale d’Allemagne, cette victoire valait renaissance après la chute du nazisme et marquait la conscience d’une identité ouest-allemande. Pour la Hongrie, soumise au régime policier du stalinien Matyas Rakozi, un jour noir. Il fallut désigner un ou des coupables. Au premier rang de l’accusation se trouva sans surprise la défense, et notamment le gardien Gyula Grosics, bientôt écarté du Honved et de la sélection avant d’être réhabilité. Finalement, Sebes perdit sa place en juin 1956 pour être remplacé par son assistant Marton Bukovi, le tacticien du MTK à qui l’on devait le 4-2-4.
Le Onze d’or reprit pourtant ses bonnes vieilles habitudes en enchaînant aussitôt 19 nouveaux matches sans défaite – et seulement trois nuls. En septembre 1956, il s’imposa (1-0) au stade Lénine de Moscou en infligeant aux Soviétiques leur premier revers à domicile. L’URSS entendait pourtant prendre la relève au titre de meilleure équipe du camp socialiste. Moins de deux mois plus tard, un événement dramatique mit brutalement fin à l’épopée magyare : le 4 novembre 1956, les chars russes entraient dans Budapest pour écraser l’insurrection populaire.
TROIS TRANSFUGESLe Honved disputait cette saison-là la Coupe d’Europe des clubs champions. Au premier tour, il affrontait l’Atletic Bilbao. Après une courte défaite (2-3) au Pays basque, le retour, prévu le 20 décembre, fut déplacé au stade du Heysel à Bruxelles. Il se conclut par un match nul (3-3) et une élimination. Les joueurs, sous l’impulsion de leur entraîneur Bela Guttmann, refusèrent de rentrer au pays, en dépit des menaces de leur fédération, et organisèrent une tournée pour lever des fonds en Italie, en Espagne et au Portugal. La FIFA condamna cette initiative en leur interdisant d’utiliser le nom Honved.
Trois devinrent des transfuges. Czibor signa avec la Roma, avant de rejoindre Kocsis à Barcelone. Convoité par les plus grands clubs, Puskas ne devait porter le maillot du Real Madrid qu’en 1958. Le Onze d’or se disloqua. Il n’existait plus en 1958 lorsque la Hongrie s’avéra incapable de franchir en Suède le premier tour lors de la Coupe du monde. La voie du déclin était tracée pour le football national mais il ne fut précipité que dans les années 1970.
En cette funeste année 1956, Buzansky avait joué son dernier match en sélection. En 1960, il mit un terme à sa carrière de footballeur pour prendre les commandes d’entraîneur de son club de Dorogi. Loin d'une gloire inachevée et du chaos du monde.
Bruno Lesprit
Journaliste au Monde
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