par fourcroy » 20 Aoû 2019, 11:30
C'est plus compliqué que ça.
Les "Oh hisse, enculé" et autres "cet enculé d'Eyraud" sont des expressions qui véhiculent indiscutablement de l'homophobie sans pour autant être utilisées de manière homophobe, même inconsciemment. Le camarade Betsamee les utilise, je les utilise (enfin, pas le premier, mais le deuxième), et nous ne sommes pourtant pas homophobes. C'est la même problématique que pour l'écriture inclusive. Quand on utilise le masculin-qui-l'emporte comme neutre, on ne pense pas à mal en général, mais cela véhicule et imprime dans les esprits des stéréotypes sexistes qui influencent les représentations. C'est inconscient, mais c'est documenté et il ne suffit pas de dire "ah, mais moi, je ne bats ma femme que quand elle le mérite" pour s'en dédouaner.
Mais il y a autre chose, que Rouiller ne perçoit pas.
Les stades sont des lieux où sévit la violence symbolique. Cela fait partie du spectacle, c'est aussi une catharsis. Aux armes peut difficilement passer pour une reformulation de Que le meilleur gagne... Il n'en reste pas moins que la catharsis est quelque chose de positif ; mieux vaut une violence symbolique et une guerre fantasmée dans le supportariat qu'une violence réelle. Bon an, mal an, l'OM en est un bon symbole : au stade, on est tous Marseillais et l'on met un peu de côté ses autres marqueurs identitaires.
Il existe un très bon bouquin d'Eva Cantarella, Selon la nature et la loi, la bisexualité dans le monde antique, qui analyse l'homosexualité et la bisexualité dans la Grèce et la Rome antiques. La difficulté que nous avons à la penser vient de ce que la dichotomie (hétéro / homo) contemporaine n'est pas celle de l'Antiquité, centrée sur l'opposition actif / passif. Même en Grèce, contrairement à l'image d'Epinal, l'homosexualité n'est favorablement considérée que dans un cadre assez restreint, celui de l'homme adulte et de l'adolescent (ce qui, aujourd'hui, est le comble de l'abjection). L'homme mûr homosexuel passif est moqué.
La Rome antique valorise encore davantage l'homme actif. Et la sexualité est interprétée, fondamentalement, comme une affaire de soumission, l'actif soumettant le passif. On pourra remarquer en passant que la femme étant anatomiquement passive — la question n'étant pas celle de l'initiative, mais trivialement, celle du truc qui rentre dans le machin — est, par essence, dévalorisée. Le viol de guerre, sur victime féminine, mais aussi masculine, est une pratique courante et acceptée.
Aujourd'hui, cela a survécu, sauf que c'est considéré comme un crime de guerre. Aux XXè et XXIème siècles, le viol de masse est utilisé comme une arme de guerre pour humilier, déshumaniser et soumettre l'adversaire. Les acclamations sodomites des stades en sont une forme symbolique. Et c'est en fait bien plus violent que de l'homophobie. Après, reste à voir si la catharsis aristotélicienne est encore acceptable. A l'évidence, elle n'est pas politiquement correcte.
"La société de surconsommation, fruit d'un capitalisme dérégulé, relève d'une logique compulsionnelle dénuée de réflexion, qui croit que le maximum est l'optimum et l'addiction, la plénitude." Cynthia Fleury