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Une lettre de Bernard Tapie
Le Monde
A la suite des articles " Le lieutenant Fratani règle ses comptes avec Tapie ", " Devant la maison de Le Pen, je sonne et j'annonce : “M. Tapie” " et " A l'OM, matchs achetés et psychotropes " (Le Monde du dimanche 3-lundi 4 mars), nous avons reçu de Bernard Tapie le courrier suivant :
" Avant l'ouverture du procès du 11 mars sur l'arbitrage d'Adidas, le bal des ragots et des faux scoops est ouvert. Chaque jour ou presque, une nouvelle “révélation” tombe pour convaincre les juges que je suis la malhonnêteté incarnée. Pourquoi tant de haine ? Qui est derrière tout ça ? Je ne peux croire au hasard.
Dans votre numéro daté des 3 et 4 mars, vous consacrez quasiment deux pages aux médisances proférées par M. Fratani, un de mes anciens collaborateurs marseillais. Votre journal a eu l'amabilité de titrer qu'il réglait ses comptes avec moi, mais à aucun moment vos rédacteurs ne lui ont demandé d'apporter quelque preuve que ce soit pour étayer les graves accusations qu'il porte contre mon honneur.
D'abord, mon accusateur vous “raconte” une prétendue visite secrète à Jean-Marie Le Pen entre les deux tours des législatives de 1993 pour mettre au point des arrangements électoraux. Une rencontre que je démens, malgré une soudaine révélation de ce dernier qui prétend aujourd'hui que cette rencontre aurait eu lieu, je rappelle qu'il s'agit d'une énième version. Cette histoire ressort régulièrement avec des détails, des dates, des personnages différents.
Si j'avais voulu rencontrer Jean-Marie Le Pen en 1993, ce que je n'ai pas fait, j'y serais allé tout seul, au lieu de m'embarrasser d'un témoin ou en me faisant conduire par un chauffeur que je n'ai jamais eu. C'est un homme facile d'accès que j'ai souvent eu l'occasion de croiser, au restaurant du Parlement européen. Il n'a pas peur de moi et je n'ai pas peur de lui. Mais cette nouvelle fable, rédigée comme un “vrai” polar, est si croquignolesque qu'elle peut, vingt-cinq ans plus tard, à ma grande surprise, faire un gros titre du Monde.
Ensuite, autre accusation, j'aurais mis sur pied une vaste “entreprise de corruption” à l'Olympique de Marseille. Mon détracteur fait état d'une caisse de 5 à 6 millions utilisée chaque saison pour permettre à Jean-Pierre Bernès, le directeur général du club, d'acheter les matchs. Quand on sait le rôle essentiel qu'a joué celui-ci en dénonçant à sa façon l'affaire OM-VA, on ne l'imagine pas marcher dans une telle combine. De plus, il faut bien mal connaître le monde du football pour croire qu'une telle manœuvre fût possible dans un club comme l'OM qui était continuellement contrôlé par la justice, le fisc, les autorités du football.
Ces contrôles continuèrent après mon départ et ils ont même valu une mise en examen pour abus de bien social à mon successeur, Robert Louis-Dreyfus, alors qu'il avait mis plusieurs millions de son argent personnel dans l'OM ! Dans un club de ce niveau, il est à peu près impossible de sortir la moindre somme d'argent sans justificatif.
L'affabulation sur cette prétendue “caisse” est ridicule et, en plus, insultante pour l'OM. Si le club marseillais a écrit l'une des pages les plus glorieuses du football français en étant le seul club français à avoir gagné la Ligue des champions en 1993, ce n'est pas en achetant les matchs, personne ne peut le croire, mais grâce à une équipe qui devint rapidement l'une des meilleures du monde. Emouvant fut l'hommage de Didier Deschamps au club marseillais, après la victoire de la France à la Coupe du Monde, en 1998. Ancien -capitaine de l'OM, celui qui était alors capitaine de l'équipe de France crut bon de m'associer à cette victoire en rappelant à quel point le club que j'ai présidé avait changé les mentalités et les ambitions du football français, en recrutant les meilleurs : Chris Waddle, Basile Boli, Fabien -Barthez, Jean-Pierre Papin, Carlos Mozer, Enzo Francescoli, Abedi Pelé.
Enfin, et il s'agit là d'une auto-accusation, M. Fratani prétend avoir corrompu lui-même un arbitre pour un match entre l'OM et le Paris Saint-Germain. Pas de nom, pas de date, pas de lieu. Même pas un élément qui permettrait d'accréditer cette affaire. Nous sommes là dans de la fantasmagorie pure ! Qu'importe la vérité, pourvu que ça fasse un titre. “Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose”, disait Beaumarchais. Je vais demander à la Ligue française de football de s'associer à moi pour porter cette affaire devant la justice afin de savoir de quel arbitre il s'agit.
Je suis finalement triste et touché car, avec Fratani nous avons longtemps entretenu des relations amicales. C'est Gaston Defferre qui me l'a présenté quand je suis arrivé à Marseille, “ville compliquée et dangereuse”, disait-il. Il m'avait conseillé de le prendre auprès de moi, car il avait les -codes et me permettrait d'éviter des rencontres fortuites avec des gens “infréquentables” qui avaient souvent pignon sur rue.
M. Fratani fut, d'une certaine façon, mon garde du corps “moral”. Il a joué ce rôle avec savoir-faire et je n'ai toujours eu qu'à me féliciter de sa présence à mes côtés, l'ayant même choisi comme attaché parlementaire. Je n'oublierai jamais le beau livre qu'il a publié en 2009 pour nous défendre avec force, l'OM et moi, à propos de l'affaire OM-VA : Le mot d'ordre était : liquidons -Tapie !.
Aujourd'hui, il réécrit l'histoire à l'envers, car nos relations se sont gâtées quand j'ai repris le groupe La Provence. Il croyait que j'aurais avec La Provence la même relation que Gaston Defferre avec Le Provençal, qui était au service de la mairie. Moi, je respecte l'indépendance des journalistes et je laisse travailler la rédaction. J'aurais pu lui expliquer mieux les choses. C'est sans doute un peu ma faute s'il a rejoint la meute avant que ne sonne l'hallali qui serait programmé. Soit dit en passant, ma surprise fut grande quand j'ai appris, dimanche matin, que le parquet avait cité au procès l'un de ses meilleurs amis comme témoin à charge. Je me frotte les yeux et attends avec impatience les “révélations” passionnantes que cette personne ne manquera pas de faire. Passons.
A quelques jours du procès, quand la machine à délation va-t-elle cesser de mouliner ? En attendant, je me battrai jusqu'au bout, je compte rester vivant jusqu'à mon dernier souffle. "