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« Parfois, Tapie m'appelait en pleine nuit »
L'ancien défenseur international allemand évoque les coups de fil incongrus de son président à l'OM. Pour hâter le départ à Bordeaux de son compatriote Klaus Allofs, notamment. De notre correspondant à Munich (All)
Alexis Menuge « Quel est le joueur le plus fou avec lequel vous avez joué ? Jean-Pierre Papin. Il était un peu foufou, toujours à 100 %, sur les terrains et en dehors, et parfois têtu. Une fois, je lui ai expliqué que j'avais contracté une assurance invalidité et qu'il était indispensable, en tant que joueur professionnel, de s'en procurer une, car il y avait toujours un risque qu'un joueur se blesse gravement. Mais il ne m'a pas écouté. Il ne voulait rien savoir.
Le joueur le plus pro ? Didier Deschamps que j'ai eu comme coéquipier au cours de ma dernière saison à l'OM (1989-1990). Il était déjà très pragmatique, il avait le souci du détail et il s'intéressait à tous les aspects tactiques. Le visage de la France lors de la Coupe du monde a été le reflet du joueur qu'avait été Deschamps. Il mérite d'être considéré comme l'un des plus grands techniciens au monde. En l'observant à Marseille, on pouvait se douter qu'il connaîtrait une telle trajectoire comme coach.
Le meilleur attaquant que vous ayez affronté ? Il y en a eu quelques-uns, à commencer par le Monégasque George Weah. À l'époque, il faisait partie des meilleurs avants-centres d'Europe. Il était véloce et techniquement très fort. Yannick Stopyra, qui avait un excellent timing dans le jeu aérien, à Toulouse puis Bordeaux, mais aussi Jules Bocandé, à Nice. Il était rapide, fort dans le jeu de tête et imprévisible.
Le moment où vous vous êtes senti le plus seul ? Lors de ma dernière saison. J'étais blessé, avec une fracture au niveau d'un pied. Je me sentais impuissant. En fait, j'étais là sans être là. Lorsque j'allais mieux, j'avais rejoué avec l'équipe réserve... Mais les essais effectués avec le staff médical n'ont pas été concluants, et j'ai mis un terme à ma carrière à 32 ans. Il fallait être lucide.
“À l'OM, il fallait ramener tous les soirs ses affaires à la maison. Je cirais mes chaussures et ma femme lavait mon linge
Le joueur le plus méchant ? Franchement ? Moi-même. J'inspirais le respect aux attaquants adverses. Avant d'entrer sur la pelouse, je sentais qu'ils se disaient: “Oh non, je ne vais pas me coltiner Förster. ” Contre le PSG en Championnat, au Vélodrome (1-0, le 5 mai 1989), sur une passe en profondeur pour Daniel Xuereb, je l'avais violemment taclé au moment où il touchait le ballon... Le Vélodrome a jubilé comme si nous venions de marquer. C'était aussi mon job d'envoyer un signal fort à mes coéquipiers. Aujourd'hui, une telle scène serait impensable.
L'anecdote que vous n'avez encore jamais racontée ? Il y en a quelques-unes. Par exemple, c'est grâce à moi si l'OM s'est intéressé à Klaus Allofs. Papin réclamait un attaquant de soutien. Jean-Pierre Bernès (alors directeur général du club) m'a demandé si je n'avais pas une idée. J'ai tout de suite pensé à Allofs (alors à Cologne). Nous avons pris un jet privé pour suivre Stuttgart-Cologne (5-1) en Bundesliga, un vendredi soir, et Klaus avait marqué. Quelques jours plus tard, il signait à l'OM.
En avez-vous d'autres? À quelques heures de m'envoler pour le Mexique avec l'Allemagne pour disputer la Coupe du monde 1986, j'apprends que Bernard Tapie est à Stuttgart et qu'il veut à tout prix me voir. Je l'ai invité à la maison et ma femme a préparé un gâteau à la hâte. À ce moment-là, je ne savais pas qui il était, hormis qu'il était le président de l'OM. À peine était-il arrivé en compagnie de Michel Hidalgo (alors directeur sportif de l'OM) qu'il a fumé cigarette sur cigarette avec de grandes bouffées. Il a cherché un cendrier mais il n'y en avait pas et, avant que ma femme ait le temps de lui apporter une petite assiette pour qu'il puisse y écraser son mégot, il l'avait déjà déposé dans la même assiette que... son gâteau. Parfois, aussi, Tapie m'appelait en pleine nuit. Il me disait qu'il fallait convaincre Allofs de rejoindre les Girondins . Tapie voulait Jean Tigana. “Soit Klaus part, soit il ne rejouera plus jamais à l'OM”, m'avait-il dit en substance. J'ai servi en quelque sorte d'intermédiaire. Au final, Klaus est parti à Bordeaux et il y a fait l'unanimité.
Qu'est-ce qui vous a le plus marqué à Marseille ? À Stuttgart, lorsque nous étions dans le vestiaire, notre tenue était déjà préparée et disposée à notre place. À l'OM, il fallait ramener tous les soirs ses affaires à la maison. Je cirais mes chaussures et ma femme lavait mon linge. Avec le recul, ce fut une belle école de la vie. Au final, je me suis vite et bien adapté aux mœurs locales.
Quel est votre plus grand regret ? En y réfléchissant bien, j'en vois deux. Le fait de ne pas avoir suffisamment bien appris le francais. Je maîtrisais les mots clés mais j'étais quelque peu paresseux. Aujourd'hui, lorsque nous passons nos vacances d'été du côté de Narbonne, où nous avons une maison, c'est ma femme qui s'occupe de la communication. Ensuite, je regrette de ne pas avoir acheté la maison d'Andreas Köpke (gardien allemand qui a joué à l'OM de 1996 à 1998) du côté de Cassis. Elle était magnifique et nous voulions avoir une seconde résidence près de Marseille. Je n'en ai pas eu le courage. Et ç'aurait été moins cher qu'aujourd'hui. (Rires.) »
L'Equipe