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La Ligue 1 a-t-elle une culture mercato ?
Le mercato estival est officiellement ouvert depuis un mois. Et comme à son habitude, il ne soulèvera pas des montagnes en L1. Pas de prise de risque, de surprise, de folie. Mais qui es-tu la cellule de recrutement française ?
Au Bayern, chez les deux Manchester, à Chelsea, Arsenal, au Barça, à l'Inter Milan, bref, chez les plus grosses cylindrées d'Europe, le schéma pyramidal est clair. Le président lâche les pépètes, le coach fait part à la cellule de recrutement de ses besoins, et les recruteurs s'activent pour proposer des noms. L'entraîneur valide ensuite ou non les cibles, en corrélation avec le président. Les échanges sont fluides, simples, directs, et le mercato de l'année courante est préparé et anticipé quelques années à l'avance. Ainsi, pour les grandes formations d'Europe, ce mercato saison 2015 a été prémédité depuis 2013, voire 2012, en fonction de la fin de contrat de certains joueurs, ou de leurs envies d'ailleurs. « Les saucissons ne poussent pas sur les arbres. Les grands clubs, quand le mercato d'été arrive, ils ont déjà leurs cibles en tête depuis deux ans. À Saint-Étienne, leur recruteur, David Wantier, a été intronisé seulement depuis mi-mai. Tu crois qu'il a eu le temps de cerner avec Galtier les manques de l'équipe, ou bien même d'avoir eu le temps de prospecter ? », balance Gilles Favard, conseillé spécialisé dans le recrutement de joueurs. David Wantier n'est en réalité pas un recruteur assermenté. L'homme est agent sportif licencié auprès de la Fédération française et n'est là que pour « une mission temporaire concernant le recrutement », selon le communiqué officiel du club. « La solution de facilité pour les recruteurs et les clubs qui n'ont pas les moyens de faire de longs déplacements, ou tout simplement pas envie, c'est de demander aux agents de joueurs. Mais c'est jamais bon, parce que les agents de joueurs ne sont pas super objectifs », surenchérit Paul Fischer, recruteur à l'AS Nancy Lorraine (seul recruteur salarié d'un club à avoir répondu à notre requête, ndlr).
Cellule dormante, cellule fantôme
La France a-t-elle une culture du recrutement ? Réponse : pas vraiment. « Le recruteur, c'est un type déconsidéré en France. On n'a pas la culture du mercato ici, déplore un recruteur voulant rester anonyme. Y a deux-trois très bons recruteurs en France. Ce sont des mecs qui ne bossent pas dans les clubs et qui ont des sociétés de conseils justement pour être indépendants », cite Favard. Leurs noms ? Gérard Batlles, père de Laurent, François Brisson ou encore Gilles Favard, rare personne à avoir considéré le prêt de Jonathan Kodjia en début de saison dernière, comme une grosse erreur du Stade de Reims. « Moi, je m'estime heureux de bosser à Nancy parce qu'ici, on a notre mot à dire. Même si nous ne sommes que deux à travailler à plein temps et qu'on officie pour un club de Ligue 2, ce qui veut dire qu'on limite nos déplacements, je connais d'autres collègues qui n'ont pas cette chance », sait Paul Fischer. En Ligue 1, mis à part Lorient, Guingamp, Lille et Monaco, où des Portugais ont repris l'affaire, aucun club de Ligue 1 n'aurait de cellule de recrutement avec une réelle marge de manœuvre. « T'as des clubs qui n'en ont carrément pas. Regarde Toulouse par exemple. Ils n'en ont plus depuis que Dominique Arribagé est arrivé à la tête du club. Avant, c'était lui qui était en poste », souffle Gilles Favard. Aujourd'hui, seul Ali Rachedi, directeur sportif, continue de s'occuper de la cellule de recrutement du TFC. Interrogé récemment sur le sujet en conférence de presse, Olivier Sadran a vaguement laissé entendre que les choses ne bougeraient pas dans un futur immédiat : « Dominique (Arribagé, ndlr) faisait partie du staff, mais il n'en fait plus partie. Donc ça sous-entend qu'au fur et à mesure de la saison, on va réfléchir pour dimensionner cette partie-là du Toulouse Football Club. »
Le problème majeur viendrait des présidents, bien moins fortunés que la majorité des clubs anglais, espagnols, italiens ou encore allemands, et donc plus enclins à intervenir. Combien ne jouent-ils pas la quasi-totalité de leur économie tous les week-end, dans les travées de leurs stades ? L'exemple de Gervais Martel ou encore de Jean-Raymond Legrand est flagrant. « Dans la quasi-totalité des clubs en Ligue 1, ce sont les présidents qui font le mercato. Parce qu'ils s'imaginent que comme c'est leur club, ils peuvent choisir les joueurs. T'imagines, toi, le président du Bayern faire l'équipe ? », tape du poing Gilles Favard. Dans de telles conditions, la cellule de recrutement devient un intermédiaire gênant entre l'ego du président et l'ego du coach, d'ailleurs souvent en conflit. « Une cellule de recrutement influente, ça enlève forcément du pouvoir au coach et au président. C'est un contre-pouvoir peu désiré en Ligue 1 », analyse notre source.
James Rodríguez, Gradel et un borgne
Les déboires structurels de Ligue 1 ont forcément des répercussions sur le recrutement. Et qui dit déboires dit anecdotes. « Un jour, je reçois un appel de François Brisson qui revenait d'un voyage en Amérique du Sud. Il était allé superviser un tournoi de jeunes. Il me dit qu'il a repéré un jeune Colombien très intéressant. François, c'est un mec qui voit les mecs... Bref, c'était James Rodríguez. » Une confidence à son confrère que Brisson ne prendra même pas la peine de proposer à des clubs de Ligue 1, peu aux faits et peu enclins à la prise de risque. « Quand j'ai commencé le métier de recruteur, j'étais aussi naïf que vous. Je pensais que le président, le coach et moi, on travaillerait ensemble sans souci et de manière limpide. Mais t'es vite ramené à la réalité », se souvient le recruteur anonyme. Gilles Favard en a encore sous le paillasson. À l'époque où son ami Gérard Batlles bosse comme recruteur à Sochaux, ses dirigeants veulent un attaquant. Alors joueur de Leeds United, en D3, puis D2 anglaise, Max-Alain Gradel est surveillé de près par Batlles. Ce dernier le conseillera aux dirigeants de Sochaux. Leeds en réclame seulement deux millions d'euros. Mais à la toute dernière seconde, la direction refuse d'investir et préfère se baser sur son noyau de joueurs existant. En parallèle, Galtier, qui connaît bien Gérard, l'appelle et lui fait part de ses besoins d'un attaquant polyvalent pouvant dépanner sur une aile. Batlles lui conseille Gradel, et Galtier le prend les yeux fermés. « C'est comme ça que ça marche en Ligue 1 malheureusement. Les coachs ne pensent qu'à s'accrocher à leur poste et prennent un minimum de risques. »
Et Nantes a failli signer un borgne
Dans le paysage hexagonal, Jocelyn Gourvennec fait office d'exception. Le coach breton est allé chercher Christophe Mandanne et Claudio Beauvue pour pas un rond en division inférieure. « On se marrait avec mes collègues. Moi, j'avais carrément dit que si Beauvue ne jouait pas un jour en Ligue 1, j'arrêterais tout, ironise Favard. Tu te rends compte ? À un moment donné, quand le gars jouait à Châteauroux, le mec valait 300 000 euros ! C'est là que vous voyez que Guingamp a du flair. » Nantes, club dans lequel Gilles Favard a officié, a depuis quelques semaines ajouté à sa cellule de recrutement William Ayache, Bernard Blanchet et Olivier Monterrubio. Soit trois anciens joueurs. « La direction a fait ça pour faire plaisir aux supporters, mais en attendant, Nantes a failli signer un borgne l'autre fois. Il faut bien comprendre qu'avoir été joueur ne vous donne pas forcément des dons pour le recrutement. D'ailleurs, les meilleurs recruteurs ne sont pas souvent d'anciens joueurs. » Après Ivan Klasnić, délesté d'un rein, Nikolaj Thomsen, borgne de l'œil droit, aurait pu signer pour 2 millions d'euros à Nantes sans que les Canaris s'en aperçoivent. « Ça se savait dans le milieu. Je pense qu'à la dernière minute, Nantes a été averti et lui a fait passer un test oculaire », se désole le recruteur. Un drôle de transfert qui aurait pour le coup bien coïncidé avec le manque de discernement de ses acteurs.