En 2023, avant d'être mis en examen pour viol dans une autre affaire, Wissam Ben Yedder a payé 1,6 million d'euros pour qu'une femme renonce à porter plainte contre lui. L'argent a transité via le compte de Jérôme de Bontin, ancien président de l'AS Monaco. Le footballeur jure aujourd'hui avoir été manipulé par son entourage.
Avec autant de personnes dans la confidence, il était évident que le secret serait un jour éventé. Que le dossier ressurgirait tel un boulet aux jambes d'un des attaquants français les plus prolifiques encore en activité. L'histoire, sur laquelle L'Équipe enquête depuis des mois, est particulièrement nébuleuse. En février 2023, conseillé par son entourage, dont son agent, le très influent Meïssa N'Diaye, Wissam Ben Yedder a accepté de payer 1,6 million d'euros pour qu'une jeune femme renonce à porter plainte contre lui.
Totalement secret, l'accord a été habillé par des avocats, parmi lesquels l'ancien avocat du prince Albert, pour qu'il ne laisse aucune trace. Le transfert de fonds a eu lieu vers l'étranger, sous de faux prétextes, via la société professionnelle de l'attaquant monégasque et le compte bancaire d'un ancien dirigeant de l'AS Monaco, Jérôme de Bontin, puis justifié a posteriori par une facture suspecte de « droit à l'image » afin que les banques ne tiquent pas devant ce virement douteux...
Une pression intense
L'affaire remonte à septembre 2022. Wissam Ben Yedder aspire à faire partie de la liste des Bleus pour la Coupe du monde au Qatar. L'attaquant et capitaine de l'ASM a planté 25 buts en 2021-2022, finissant juste derrière Kylian Mbappé au classement des meilleurs buteurs de Ligue 1. En juin, il était titulaire avec les Bleus en Croatie (1-1), sa dix-neuvième et dernière sélection (pour 3 buts). Son début de saison est cette fois-ci poussif : il enchaîne sept matches sans marquer et mi-septembre, en annonçant son groupe pour deux matches de Ligue des nations, Didier Deschamps lui préfère Christopher Nkunku.
Son agent, Meïssa N'Diaye, lui envoie alors deux préparateurs physiques chargés de veiller sur sa condition sportive et sa diététique. Le premier, Sallo F., est un ancien basketteur inconnu du grand public. Le second, Ed C. (c'est un pseudo), travaille avec de nombreux sportifs, dont plusieurs athlètes de Meïssa N'Diaye, comme le footballeur Benjamin Mendy. Ed C. poste régulièrement sur ses réseaux sociaux ses entraînements particuliers avec des stars et ses recettes de cuisine équilibrée.
À l'époque, Wissam Ben Yedder n'est pas au mieux psychologiquement. Un influenceur vivant à Dubaï, Marc Blata, sous le coup de plusieurs enquêtes en France, a publié une vidéo prêtant au footballeur des infidélités. L'attaquant a depuis des problèmes conjugaux. Il sort, boit. La pression est intense.
Le dimanche 18 septembre 2022, il ouvre enfin son compteur buts face à Reims. « Je ne suis alors pas dans la meilleure version de moi-même, confie le joueur, qui a accepté de répondre aux questions de L'Équipe, accompagné de sa soeur aînée. J'avais un objectif : faire la Coupe du monde. Mais c'était trop de perturbations. Blata, la préparation physique, etc. C'était trop. Des fois, je regardais la télé, Ed C. me disait : "Bro, il faut aller dormir." J'avais l'impression d'être en internat. »
Le 21 septembre 2022, pour évacuer la pression, Ben Yedder, Sallo et Ed C. sortent dans un bar très branché de Monaco, La Rascasse, fréquenté par de nombreuses célébrités. Les trois hommes y rencontrent Cindy et Olivia (les prénoms ont été changés), deux jeunes femmes de nationalité étrangère parlant à peine français et vivant sur la Côte d'Azur. Le groupe sympathise et prolonge la soirée dans l'appartement d'une des filles. Wissam Ben Yedder, qui ne parle pas anglais, assure avoir flirté avec Olivia dans la cuisine de l'appartement, avant d'en sortir, accompagné de Cindy, avec laquelle il aurait débuté une relation sexuelle - consentie dit-il - à l'extérieur pendant que les autres discutaient dans le studio.
Le footballeur aurait alors senti une tension, Cindy aurait crié et serait remontée dans l'appartement. Des conversations animées auraient ensuite débuté en anglais. Mais Wissam Ben Yedder maîtrisant très mal cette langue, affirme ne pas avoir compris la nature exacte des échanges. La version des faits du joueur est celle d'un flirt puis d'un rapport pleinement consenti, mais les deux filles en ont visiblement une autre, car, sur le chemin du retour en voiture, Ed C. affirme au footballeur qu'elles vont « porter plainte », relate Ben Yedder.
« Je trouve ça bizarre, confie-t-il aujourd'hui. On est tout juste arrivés chez moi qu'elles évoquent déjà de l'argent par message. » Ed C. aurait alors affirmé qu'il fallait « arranger les choses », toujours selon le récit de l'attaquant. Le lendemain matin, ils seraient repartis discuter avec Olivia dans son appartement, Cindy n'est alors pas présente dans la pièce. « Olivia dit que Cindy n'est pas bien, qu'il faut de l'argent. Je me sens coincé », affirme l'attaquant.
Dans plusieurs messages envoyés à Ed C., que L'Équipe n'a pas pu dater avec précision, mais qui auraient été rédigés dans les heures qui suivent les faits, selon une source proche du dossier, Olivia suggère en effet de régler l'affaire financièrement : « All together, with what happened to her and me, she would be satisfied with 3/4, and that's it », lit-on (« Tout compris, avec ce qui nous est arrivé à elle et moi, elle serait satisfaite avec 3/4. Et on en reste là »). 300 ou 400 000 euros ? 3 ou 4 millions ? Les échanges sont flous.
Le joueur refuse de payer
Olivia assure qu'un tel arrangement permettrait d'éviter à Wissam Ben Yedder un énorme scandale (« huge public deal »). Ce dernier refuse de payer. Contactée, Olivia n'a pas répondu à nos sollicitations, tout comme Cindy, qui a temporairement supprimé son compte Instagram après notre premier message.
Wissam Ben Yedder assure l'avoir ignoré le soir des faits, mais toutes deux sont à l'époque des joueuses de l'AS Monaco Football Féminin (ASM FF), l'équipe féminine de Régional 1, gérée par une association depuis des années et qui n'appartient pas à Dimitri Rybolovlev. C'est un fonds d'investissement de Chicago, Peak6, représenté en France par l'homme d'affaires franco-américain Jérôme de Bontin, ancien président de l'AS Monaco (2008-2009), qui a investi à l'été 2021 dans la section féminine, au point d'en devenir l'actionnaire majoritaire.
Objectif : professionnaliser l'équipe et la propulser dans l'élite de la D1 Arkema. Pour Peak6, qui a déjà tenté sans succès par le passé de racheter Saint-Étienne et Bordeaux, il s'agit peut-être également de mettre un pied sur le Rocher en vue d'acquérir l'AS Monaco quand le club arrivera sur le marché. Jérôme de Bontin, est un « ami » du prince Albert, qu'il a connu quand ils étaient tous deux étudiants à l'Amherst College, dans le Massachusetts au carrefour des années 1970-1980. Il se dit « très bon ami de Monaco ».
Wissam Ben Yedder, marié fin 2021 et papa depuis la mi-mai 2022, ne va pas parler immédiatement de cette histoire à ses proches ni à son agent, qui va l'apprendre de la bouche d'Ed C. Après les accusations de viol portées à l'été 2021 contre Benjamin Mendy (il a depuis été blanchi par la justice britannique), l'un de ses joueurs phares, voilà qu'un autre de ses footballeurs vedettes connaît le même sort. Et ce, à quelques semaines du Mondial...
Selon un proche du dossier, Meïssa N'Diaye aurait alors demandé à un de ses hommes de confiance de s'en occuper, un certain Brahim Kinane, gérant de la société Placetude Patrimoine, et gestionnaire de fortune de Ben Yedder et de plusieurs autres footballeurs. Brahim Kinane n'a aucune existence publique ou presque.
Sa non-sélection au Mondial, « un coup psychologiquement »
En poussant les recherches, on découvre qu'avec Meïssa N'Diaye, il a possédé une société, Twin's Holding, dans laquelle ils avaient fait entrer au capital le footballeur William Vainqueur, et qui, semble-t-il, a détenu un temps des participations dans des fast-foods bas de gamme à Choisy et à Orly, dans le Val-de-Marne. Brahim Kinane a aussi donné une interview à Michel Denisot, fin juin 2024, sur la chaîne B Smart, dans laquelle il annonce son association avec un autre gestionnaire de patrimoine, CG Finance.
Il raconte accompagner une trentaine de « familles de sportifs », pour lesquelles il est disponible « au quotidien, sept jours sur sept, nuit et jour pour eux - car dans le monde du sport c'est tout, tout de suite ». Son profil ? « L'éthique et les valeurs avant l'argent, la résilience à toute épreuve », déclare-t-il. « On a des discussions avec Brahim. Je lui dis que je ne veux pas payer. J'ai l'impression d'être menacé. Brahim me répond qu'il faut prendre les devants sur les trucs comme ça », assure Wissam Ben Yedder.
L'attaquant jure que Meïssa N'Diaye lui aurait dit plus tard que « ça commen[çait] à se savoir à Monaco, que c'est remonté à ses oreilles ». Brahim Kinane n'a pas voulu nous répondre : « Je ne vous connais pas. Notre métier est régi par la confidentialité renforcée. » Fin 2022, pendant des semaines, Wissam Ben Yedder assure être resté sourd à tout paiement. Sur le terrain, il ne semble pas pour autant affecté, plantant sept buts et délivrant deux passes décisives sur le seul mois d'octobre.
Mais en novembre, douche froide : le footballeur n'est pas sélectionné en équipe de France. Ben Yedder séjourne à Dubaï pendant la trêve, tout près du Qatar, prêt à sauter dans un avion au cas où. Le 14 novembre, au dernier moment, c'est Marcus Thuram que Deschamps appelle pour en faire son vingt-sixième homme. « Je ne me sens pas inférieur à Thuram. Je crois que j'avais ma place. Mais je sens qu'il y a un truc qui bloque », raconte Ben Yedder.
Le lendemain, Christopher Nkunku se blesse. Mais une nouvelle fois, l'appel ne vient pas et le Monégasque reste sur le carreau. Randal Kolo Muani est choisi à sa place. Le 20 novembre, rebelote : alors que Benzema, de retour de blessure, est forfait, Deschamps décide de ne pas remplacer le Ballon d'Or en titre. Les semaines s'enchaînent. « Tout ce dont j'ai rêvé, c'est de jouer le Mondial. À la place, je le regarde à la télé. Vous prenez un coup mentalement et psychologiquement. J'étais perdu », confie Ben Yedder.
La solution du protocole transactionnel
« Depuis, ce n'est plus la même personne. Il a tourné le dos à tout le monde », déplore-t-on dans son premier cercle d'alors. Le joueur continue néanmoins à empiler les buts en Ligue 1 même s'il perd du temps de jeu et que les relations avec son coach, le Belge Philippe Clement, sont parfois houleuses. Les négociations avec « Cindy », elles, se poursuivent. Brahim Kinane a mis sur le coup un pénaliste parisien, maître Yann Le Bras. L'avocat est connu dans le milieu - il est à l'époque le conseil de Booba et défend la famille de Federico Martin Aramburu, le rugbyman argentin tué en plein Paris en mars 2022 par un militant d'ultradroite.
La jeune footballeuse, elle, s'est attachée les services d'un cabinet d'avocat monégasque et pas n'importe lequel : celui du sulfureux Thierry Lacoste, ancien avocat du prince Albert (il ne l'est plus aujourd'hui après une série de scandales). Wissam Ben Yedder assure ne pas avoir été tenu au courant de ces discussions. « Pourquoi payer alors même qu'il n'y a plus de pression, que la Coupe du monde est passée ? », s'interroge-t-il. « Comme vous pouvez l'imaginer, notre intervention est couverte par le secret professionnel. Je suis désolé de ne pouvoir répondre à vos questions sur ce sujet », nous écrit maître Lacoste.
À une date dont il ne se souvient plus, mais dont il pense qu'elle se situe autour du mois de janvier, le joueur aurait alors reçu un appel de son gestionnaire de fortune, lui disant de se rendre à un rendez-vous, deux heures plus tard, au Monte-Carlo, un hôtel 5 étoiles au coeur de Monaco. Ben Yedder s'y rend avec un de ses frères, « en Lamborghini », se souvient-il. Yann Le Bras l'attend devant l'établissement et l'international tricolore le suit seul dans une chambre d'hôtel.
L'avocat aurait alors branché une visio avec Brahim Kinane pour expliquer ses options au joueur. La robe noire aurait évoqué, lors de cet entretien, la possibilité de porter plainte mais lui aurait recommandé la solution du protocole transactionnel. Une somme est évoquée, négociée depuis des semaines avec les représentants de Cindy et Olivia : 1,6 million d'euros. Le footballeur assure être reparti du rendez-vous sans avoir signé aucun document ce jour-là. Maître Le Bras ne nous a pas répondu.
Le 7 février 2023, une nouvelle affaire éclate : le footballeur risque une peine de prison avec sursis pour avoir fraudé le fisc espagnol, révèle le journal madrilène AS. L'attaquant a suivi de très loin ce contentieux, géré par Kinane, avec un avocat français, Rhadamès Killy (qui le conseillait dans d'autres dossiers de droit à l'image, notamment) et un juriste espagnol.
Mais sa réputation est atteinte. Ben Yedder se livre à sa soeur : « Wissam m'appelle au milieu de la nuit, raconte son aînée, très émue. Il est très perturbé. Il me dit qu'il a mal au ventre. Il me raconte tout. Il me dit que tout le monde, dans son entourage, lui demande de payer. Je lui dis : "Non, quand on n'a rien fait, on ne paye pas." (...) Je lui dis : "Est-ce qu'on t'a proposé de porter plainte ?" Il a peur que son épouse le quitte. » Mais les choses s'accélèrent. Meïssa N'Diaye appelle Wissam Ben Yedder : « Si tu ne payes pas, demain les filles vont porter plainte », lui aurait-il dit.
L'agent aurait ensuite discuté avec sa soeur aînée : « Il me disait que Wissam allait avoir des problèmes, qu'il risquait de se retrouver en prison. Il évoque Benjamin Mendy. Il dit aussi que Wissam ne sait pas très bien s'exprimer », selon le récit de cette dernière. Sous-entendu : il aurait du mal à se défendre en justice. « Il me dit : "Parle à ton frère." Je raccroche et j'appelle Wissam. Il me répète qu'il n'a rien fait (...) Je m'en suis voulu mais je lui ai dit : "Paye." Je le convaincs de payer car j'ai confiance en Meïssa et j'ai peur pour mon frère. Et c'est là qu'il me dit : "OK." Jusque-là, il refusait complètement. »
Le lendemain, Wissam Ben Yedder a rendez-vous au Fairmont, autre hôtel monégasque. Sa soeur aînée lui a donné pour consigne de repartir impérativement avec une copie du document signé. « Je vois un type maigre et fin, ce n'est pas Le Bras », observe Ben Yedder. Il s'agirait en réalité d'un de ses collaborateurs. L'attaquant paraphe le protocole mais repart les mains vides : l'exemplaire doit être séquestré au cabinet de maître Le Bras, lui explique-t-on.
Le « deal » prévoit en échange de la somme de 1,6 million d'euros et une stricte confidentialité, la renonciation à toute action en justice. En clair : c'est le prix pour que l'affaire reste secrète. Cindy estime avoir subi un viol, Ben Yedder nie. Le protocole d'accord précise que la signature de l'accord ne vaut pas reconnaissance de culpabilité. Il garantit juste au footballeur que Cindy ne sera pas à l'initiative d'une plainte ou de révélations aux médias. Une transaction bien surprenante...
« Parole contre parole »
En droit français, le procureur n'est absolument pas tenu par un tel accord qui ne protège en rien son signataire d'éventuelles poursuites pénales. Or, en février 2023, le risque est immense que l'affaire fuite : de très nombreuses personnes sont déjà au courant des faits. « Ça me parle, affirme ainsi Lucas (le prénom a été modifié), qui figure à l'époque dans l'organigramme de l'ASM FF. Mais je ne veux pas du tout apparaître. Ce sont des enjeux qui me dépassent. »
Selon lui, Cindy et Olivia s'en seraient ouvertes à une joueuse de leur équipe qui parlait le français, en qui elles avaient confiance, et qui les aurait aidées dans leurs démarches. Cindy serait ainsi allée à l'hôpital le jeudi 22 septembre, au lendemain des faits, accompagnée de cette joueuse. « Il y a beaucoup de facteurs qui font que je ne peux pas en parler », nous a répondu cette dernière.
La visite à l'hôpital n'aurait cependant rien donné. « Ça ne servait à rien, car il n'y avait rien de spécial », affirme Lucas, qui dit avoir longuement hésité à signaler ou non les faits à la justice. S'il reconnaît qu'un « mauvais comportement » a bien été évoqué devant lui, il affirme ne pas avoir su l'affaire en détails. « C'était parole contre parole. Il n'y avait aucune preuve, à part la parole de la joueuse, et des écrits de l'autre joueuse comme quoi il devait donner une certaine somme d'argent pour qu'elle se taise. »
Lucas affirme même avoir pris l'avis d'un ami avocat, qui lui aurait affirmé que ce n'était pas son rôle de porter plainte, l'affaire s'étant déroulée lors d'une soirée sans lien avec le club. « Je ne pouvais pas le faire à sa place (...) Par la suite, j'ai appris qu'elle voulait pas (porter plainte) », jure encore Lucas.
Pour lui, « tout le monde le sait » sur le Rocher. Les joueuses formaient « un groupe très soudé » et le groupe Peak6, représenté en France par Jérôme de Bontin, a été averti. Selon notre source, celui-ci aurait même pris le dossier en main : « [Il] a dit qu'il mettrait en place un avocat si jamais elle portait plainte. » Interrogé par L'Équipe par téléphone, l'homme d'affaires se montre embarrassé ; évoque un « sujet sensible » dont il ne connaît « ni les tenants ni les aboutissants », « une histoire dont certains ont beaucoup parlé mais dont je ne pouvais pas vérifier la véracité ».
Un accord financier dont il serait l'architecte ? « Je ne suis pas au courant. »« Je ne sais pas qui vous a dit cela mais cela n'a aucun fondement », répond-il. Avec l'avocat Thierry Lacoste, c'est la deuxième fois qu'un proche d'Albert est cité dans cette affaire. Et tout porte à croire que Jérôme de Bontin minimise largement son rôle. Selon nos informations, c'est vers l'un de ses comptes en banque, aux États-Unis, que l'argent destiné à Cindy a transité. Les avocats, maîtres Lacoste et Le Bras, ont aussi émis à son nom une étonnante facture de « droit à l'image » pour justifier le paiement auprès de la banque.
Le gestionnaire de fortune de Wissam Ben Yedder, Brahim Kinane, a ensuite demandé à son client de signer informatiquement l'ordre de virement, émis depuis la société du joueur, WBY Sport Consulting, ce qui pourrait être susceptible de constituer un abus de biens sociaux. Deux semaines après l'émission du virement de 1,6 million d'euros, le groupe Peak6 a annoncé à la surprise générale qu'il se retirait de l'AS Monaco FF après avoir réalisé un investissement total d'environ 500 000 euros.
Contacté, Meïssa N'Diaye fait savoir qu'il n'a jamais rien su de ce montage financier acrobatique et renvoie à la responsabilité de Ben Yedder : « Ce dossier a été géré par les parties, Wissam Ben Yedder et les femmes qui l'accusaient, et leurs avocats respectifs. Je n'ai jamais été en contact avec les plaignantes, et n'ai participé, en aucune manière, à une quelconque négociation. Je ne fais pas de recommandations aux joueurs que j'accompagne sur ce qui ne relève pas de ma compétence, je m'occupe des enjeux sportifs, de leur carrière et de leurs contrats. En tant qu'agent de Wissam Ben Yedder, je me suis battu à 100 % pour défendre ses intérêts sportifs et construire sa carrière pendant plus de dix ans. Pour ce qui concerne l'extra-sportif, Wissam Ben Yedder, à 33 ans, est responsable de ses choix. Et je ne suis plus son agent depuis plusieurs mois. »
De nouvelles frictions entre le joueur et son représentant apparaissent en effet en avril 2023, quand la presse espagnole annonce la condamnation de Wissam Ben Yedder à six mois de prison avec sursis dans l'affaire de fraude fiscale révélée en février. Ben Yedder est furieux. « Je pensais que c'était réglé », dit le joueur à son agent, expliquant qu'il n'a pas reçu le moindre coup de fil de Kinane pour l'avertir.
« Les médias sont des menteurs », le rassure Meïssa N'Diaye. Depuis plus d'une décennie, l'agent et son joueur ont pris l'habitude de parler de tout et de rien, de football, mais aussi de tous les petits tracas du quotidien. Ce jour-là, pourtant, la tension est forte entre les deux hommes.
L'attaquant s'exprime peu, s'isole
N'Diaye propose un rendez-vous avec Pablo Longoria, qui piste son profil pour Marseille. Ben Yedder ne souhaite même pas le rencontrer. Meïssa N'Diaye fait la moue : « Je sens une tension qui n'est pas normale. Elle est en train de parasiter ton football. » Depuis la signature du protocole transactionnel avec Cindy, l'attaquant est très perturbé, y compris à la maison, comme le racontera bientôt son épouse à la police. Le footballeur ferait la fête, passerait peu de temps en famille, se serait fait suspendre son permis de conduire en allant à l'entraînement après avoir découché toute la nuit.
En mai 2023, il quitte le domicile conjugal, laisse son fils à sa femme. Il se méfie aussi désormais beaucoup de son agent et se rapproche d'une avocate, maître Hasna Louzé, à qui il s'ouvre peu à peu. La robe noire doit gérer un potentiel divorce et est également chargée de tirer au clair la situation patrimoniale de son client. Elle découvre un footballeur qui s'exprime peu, très isolé.
Wissam Ben Yedder est complètement assisté depuis plus d'une décennie : il ne gère pas ses revenus. L'application MoneyPitch, qui agrège ses différents comptes, est bien installée sur son smartphone, mais n'est pas reliée aux différentes banques : ce qui y est affiché n'est donc que déclaratif. Il affirme ne pas avoir les codes de ses réseaux sociaux, ni de l'intégralité de ses adresses mail, fait suivre toutes les demandes professionnelles et parfois personnelles qui lui sont adressées à son agent, qui les lui traduit ou lui propose des modèles de réponse.
Dans la nuit du 10 au 11 juillet 2023, deux autres jeunes femmes accusent Wissam Ben Yedder et son frère de rapports sexuels non consentis. Cette fois-ci, nul accord : Wissam Ben Yedder est placé en garde à vue et mis en examen pour viol, pour des faits qu'il conteste.
Il se tourne naturellement vers Hasna Louzé qui lui évite la détention provisoire, via le versement d'une caution d'un million d'euros. L'instruction est aujourd'hui presque terminée, et le joueur et son frère, toujours sous contrôle judiciaire, attendent de connaître leur sort : un non-lieu ou un renvoi devant une cour criminelle départementale. Les liens sont désormais quasiment totalement rompus avec Meïssa N'Diaye.
Comptes bancaires et anomalies
Sa situation conjugale s'aggrave. Maître Louzé fait monter sa consoeur Marie Roumiantseva sur le dossier, plus spécialement chargée de la partie pénale (les accusations de viol). Ensemble, les deux avocates tentent de reconstituer la vie de du joueur de 33 ans, qui gagne 700 000 euros par mois mais qui ne sait même pas exactement où est son argent. Depuis la condamnation pour fraude fiscale et l'affaire du 1,6 million, le joueur ne veut plus en référer à Brahim Kinane et a coupé les procurations que celui-ci avait sur ses comptes.
De longues recherches commencent. Maître Louzé l'accompagne dans des banques où il pense avoir un compte et réclame l'intégralité des relevés. Il dispose de peu de moyens d'information mais va pouvoir s'appuyer sur l'instruction pénale pour viol dans laquelle il est mis en examen.
Les policiers, comme c'est le cas dans chaque enquête, ont interrogé le FICOBA, le fichier des comptes bancaires, et ont établi une liste de comptes appartenant au joueur. Le footballeur va s'en servir pour réitérer ses demandes aux établissements financiers, obtenir les relevés, y compris des comptes qui auraient été ouverts et fermés par son gestionnaire de fortune.
Ses avocates pensent avoir trouvé plusieurs anomalies et ont l'intention de porter plainte. Wissam Ben Yedder a également tenté de récupérer la comptabilité de sa société, WBY Sport Consulting, tenue par un expert-comptable, Didier L. C'est la société de ce dernier qui valide les comptes de l'agence Sport Cover de Meïssa N'Diaye et c'est également à l'adresse de l'expert-comptable, dans le XVIe arrondissement parisien, que de nombreuses sociétés des joueurs de Meïssa N'Diaye sont immatriculées : Nkoudou Sport Consulting, Jean-Kévin Augustin Gestion, Amine Harit Sport Consulting ou encore Michy Batshuayi Sport Consulting.
On trouve enfin à cette adresse des entreprises de gestion de droits à l'image que Meïssa Ndiaye avait créé avec Vincent Labrune, juste avant que celui-ci ne prenne la tête de la Ligue de football professionnel. Didier L. n'a jamais voulu donner à Ben Yedder sa comptabilité, s'y refusant d'abord tout net, avant de prétexter un « bug informatique ». « Les archives physiques ont été rendues au client par le biais de monsieur Brahim Kinane », a-t-il affirmé aux avocates du joueur.
Rupture entre l'agent et son joueur
Fin 2023, alors qu'il réfléchissait à sa prochaine destination après Monaco, Wissam Ben Yedder affirme avoir découvert qu'il était toujours lié à Meïssa N'Diaye, alors qu'il pensait que ce n'était plus le cas. Les avocates du footballeur ont réclamé à la FFF l'intégralité de ses contrats d'agent signés depuis 2012 et les ont fait examiner par une experte en écriture près la cour d'appel de Paris. Les conclusions ne souffrent d'aucune ambiguïté.
Selon le rapport d'expertise graphologique, « le contrat (d'agent) du 1er février 2023 fait à Monaco a été scanné à partir du contrat du 15 février 2019 fait à Séville. Il s'agit donc d'un faux caractérisé par le fait que ces documents ont fait l'objet d'une manipulation bureaucratique. » En clair, il s'agirait d'un grossier copier/coller d'une signature antérieure. Des manipulations semblables auraient eu lieu pour le contrat de 2014 fait à Paris et celui de 2017 fait à Séville avant le transfert vers Monaco.
En mars 2024, le footballeur décide de saisir la justice et obtient d'un juge de l'exécution (JEX) parisien le gel de 4 millions d'euros sur les comptes de l'agent, qui correspondent à la commission que Meïssa N'Diaye a touchée lors de l'arrivée du joueur à l'AS Monaco. Aucun compte bancaire personnel n'étant identifié en France pour Meïssa N'Diaye, la somme est saisie de manière conservatoire sur les comptes de son entreprise, Sport Cover. Wissam Ben Yedder explique au juge que Meïssa N'Diaye aurait instauré « un système de contrôle dans [s]a vie personnelle », notamment en lui imposant les services d'un gestionnaire de fortune, Brahim Kinane.
Est évoquée, sans plus de détails, une « opération particulièrement sensible » de 1,6 million d'euros à l'hiver 2023 (le paiement à Cindy, donc). La réplique est immédiate. Le 19 mars dernier, Meïssa N'Diaye adresse au joueur français une lettre de résiliation unilatérale de son contrat d'agent. Presque concomitamment, l'ancien attaquant de Toulouse reçoit un courrier semblable de Brahim Kinane.
Son agent nie en bloc
Le 3 avril, Meïssa Ndiaye, défendu par la pénaliste Jacqueline Laffont, dépose plainte pour dénonciation calomnieuse. Il dénonce les « accusations totalement fausses » de son ancien client et évoque le « total assistanat » dans lequel celui-ci est plongé depuis des années. Il produit de nombreux échanges qui montrent que Wissam Ben Yedder, malgré les faux allégués, avait parfaitement conscience qu'il était bien son agent.
L'agent a touché 4 millions d'euros de commissions sur le transfert du joueur de Séville à Monaco, en vertu d'une convention tripartite avec le club parfaitement régulière, argue-t-il. Il estime, enfin, que leur relation a été brisée à l'été 2023 au moment où le joueur a été mis en examen pour viol.
« Monsieur Meïssa N'Diaye estimait alors en effet que sa confiance envers le joueur - dont le comportement problématique avec les femmes avait déjà été signalé - était cette fois mise en péril. Il envisageait même d'annoncer publiquement sa décision de mettre un terme à la relation professionnelle », écrit son avocate. Sur « l'opération particulièrement sensible », Meïssa N'Diaye ne s'attarde pas mais assure que Wissam Ben Yedder y a « expressément consenti dans son intérêt personnel », ajoute la pénaliste. Une enquête préliminaire a été ouverte et confiée à la Brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA), selon le parquet de Paris.
Le 16 avril, Meïssa N'Diaye a aussi contesté le gel des 4 millions d'euros sur ses comptes et s'est attaché pour ce faire les services de l'avocat civiliste Rhadamès Killy, qui avait défendu Ben Yedder dans l'affaire du fisc espagnol, et plusieurs dossiers antérieurs. L'audience a été reportée au 22 juillet prochain. L'agent y voit un chantage de son ancien client pour obtenir de l'argent.
Au milieu de ce marasme, Wissam Ben Yedder a de nouveau et en toute discrétion été placé en garde à vue, le 31 mai dernier, cette fois-ci dans le cadre d'une enquête pour violences et menaces ouverte par le parquet de Nice, à la suite d'une plainte déposée en février 2024 par sa propre épouse, avec laquelle il est en instance de divorce, et qui a été placée sous protection par la justice le 11 mars.
Affaire classée et procédure de divorce
Rapport médico-psychologique à l'appui, avec une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à huit jours, cette dernière l'accuse de « menaces de violences physiques », « violences psychologiques sévères », « violences économiques », « insultes », « humiliations », « intimidations »...
Wissam Ben Yedder est ressorti libre, sans qu'aucune charge ne soit retenue contre lui. Contacté dès le 3 juin, le parquet de Nice nous avait répondu le lendemain, le 4, en évoquant « possiblement un classement », censé être tranché « d'ici à la mi-juillet ». Relancé le 4 juillet, le parquet indiquait cette fois pouvoir « apporter une réponse pour la mi-septembre ». Or, selon nos informations, l'affaire a été classée, par manque de preuves, dès le 3 juin.
L'incompréhension règne chez son épouse, qui ignorait le reste des faits jusqu'à peu et dont le dispositif de protection a été récemment retiré, et son avocate, maître Elisabeth Maisondieu Camus. Cette dernière envisage un recours auprès du procureur général ou une citation directe du joueur devant le tribunal.
« Le couple Ben Yedder est séparé depuis le mois de mai 2023. Une procédure de divorce a été engagée et est toujours en cours. C'est dans ce contexte conflictuel que les accusations de l'ex-épouse de mon client ont été proférées. M. Ben Yedder a été longuement entendu par les enquêteurs. Il a pu pleinement s'expliquer et, au regard des éléments de réponse apportés, le parquet a classé sans suite cette affaire », commente l'avocate du joueur, maître Hasna Louzé.
Dernier épisode : alors que maître Le Bras refusait de communiquer le protocole transactionnel (le 1,6 million d'euros dévolus à Cindy) aux nouvelles avocates de Wissam Ben Yedder, ne souhaitant parler qu'à son ancien client, celui-ci s'est finalement déplacé avec une partie de sa famille jusqu'au cabinet parisien. La scène, ubuesque, se serait terminée en vaudeville au moment où la mère de Wissam Ben Yedder aurait décidé de s'emparer elle-même du dossier avant de quitter précipitamment le bureau.
Sur le plan pénal, l'attaquant envisage désormais d'engager à son tour une action en justice. « Les éléments dont on dispose mettent en lumière des faits d'une particulière gravité que les juridictions françaises seront amenées à apprécier. Nous défendrons pied à pied les intérêts de notre client et avons déjà saisi la justice sur un aspect du litige, mais saisirons également les juridictions répressives d'une plainte au pénal. Les joueurs de football sont des citoyens comme les autres et ont droit à la justice », réagissent les avocates du joueur, maîtres Hasna Louzé et Marie Roumiantseva.
Cet été, pour la première fois depuis 2012 et son aventure toulousaine, les discussions pour son avenir footballistique devaient se dérouler sans son agent historique. En février 2023, au moment de signer le protocole transactionnel, les deux hommes, Wissam Ben Yedder et Meïssa N'Diaye, paraissaient encore extrêmement proches. « Je t'aime mon frère <3 », s'écrivaient-ils. « Moi aussi mon frère, jamais seul. »« Jamais, mon frère. »
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