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Gianni Infantino, patron de la Fifa et parrain du foot mondial
Challenges.fr
Ce Suisse d’origine italienne savoure son statut de quasi chef d’Etat. Un boss clanique qui a mis l’institution sous sa coupe pour en faire une machine à cash.
« Le football, c’est une affaire de caméra. » Tout le pouvoir du foot réside dans les images, résume Christian Constantin, le truculent président du club suisse FC Sion. Sans elles, pas d’audience, donc pas d’argent. Gianni Infantino a parfaitement compris l’équation, et depuis son accession à la présidence de la FIFA, en 2016, il applique à la lettre cette loi d’airain, sacrifiant avec bonheur de sa personne. « Il est très obséquieux avec les puissants, très fort pour se concilier les bonnes grâces des uns et des autres », estime Jean-Baptiste Guégan, expert en géopolitique du sport.
Complice avec Emmanuel Macron, potache avec Donald Trump, aimable avec Vladimir Poutine et le prince saoudien Mohammed Ben Salmane, l’homme est reçu partout comme un véritable chef d’Etat. Au point de peser sur les grands équilibres géopolitiques de la planète.
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En août 2018 avec Donald Trump, à la Maison-Blanche, à Washington. De Trump à Poutine en passant par Macron, le patron de la Fifa a su s’adapter pour plaire aux grands de ce monde. Crédit: Douliery Olivier/ABACA
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Sa dernière réalisation : la désignation sans coup férir de l’Arabie saoudite comme seul pays hôte de la Coupe du monde en 2034, faute de combattant, après le retrait de l’Australie et de l’Indonésie. La nouvelle a été annoncée par un communiqué laconique de la Fifa le 31 octobre dernier. Gianni Infantino s’est fendu d’un long post sur Instagram, son mode de communication préféré.
Le choix, qui doit être officialisé dans l’année, s’est fait sans le vote du conseil, composé de 211 représentants de fédérations nationales. Aucune des six grandes confédérations n’a eu son mot à dire, pas même l’UEFA, en Europe, la plus riche et la plus puissante. La méthode Infantino dans toute sa splendeur.
« Je me sens qatari »
L’avocat Thierry Granturco, spécialiste du droit du sport, a vu évoluer les structures de l’instance mondiale du football depuis le couronnement de son nouvel empereur. « L’homme est diaboliquement intelligent, analyse-t-il. Il sait qu’aucun pays ne pèse dans la Fifa, et qu’aucune grande confédération ne peut s’opposer à lui : en contentant tout le monde, il avance dans ses projets. »
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Le 15 mars 2023 avec le président du Rwanda, Paul Kagame, au 73e congrès de la Fifa, à Kigali. Solidement implanté, la patron du foot a été réélu facilement pour un troisième mandat. Crédit: Anadolu/Afp
Pour beaucoup, la Fédération internationale de football tient désormais entre les mains d’une seule personne. Un homme qui n’hésite pas à s’installer à Doha avec femme et enfants pour superviser personnellement l’organisation de la Coupe du monde au Qatar, en 2022, très décriée. Et à monter au créneau, à la veille du coup d’envoi, pour en défendre l’éthique : « Aujourd’hui, je me sens qatari ; aujourd’hui je me sens arabe ; aujourd’hui, je me sens africain ; aujourd’hui, je me sens gay ; aujourd’hui, je me sens handicapé ; aujourd’hui, je me sens un travailleur migrant. »
Mais qui est vraiment Gianni Infantino ? Il naît le 23 mars 1970 à Brig, gros bourg du Valais, en Suisse, voisin de la petite ville de Viège, le fief de Sepp Blatter, son prédécesseur à la Fifa. Ses parents y avaient immigré dans les années 1960. Son père, Calabrais, travaillait à la compagnie des wagons-lits, tandis que sa mère, originaire de Brescia, tenait un kiosque sur le quai n°1 de la gare de Brig.
Il était prêt
Une enfance tranquille et très protégée au sein du clan familial, comme l’a décrit un documentaire de la Radio télévision suisse, en décembre 2019. Deux sœurs aînées qui veillaient jalousement sur leur petit frère, « il picolo ». Un cousin aujourd’hui coiffeur avec lequel il partageait sa passion pour le foot, la Squadra Azzura et l’Inter Milan en particulier. Gamin, il jouait au FC Brig, sans jamais montrer de talents particuliers. Il passe finalement plus de temps dans la lecture des journaux sportifs trouvés au kiosque de la gare. Les petites et grandes histoires du ballon rond le passionnent.
A l’époque, un jeune Suisse commence à faire parler de lui dans les arcanes du football : Sepp Blatter, son compatriote valaisien, devenu secrétaire général de la Fifa en 1981, puis président en 1998. Infantino a compris quelle trajectoire il devait suivre. « Il a dû y penser en se rasant lorsqu’il était secrétaire général de l’UEFA », entre 2009 et 2016, commente Jean-Loup Chappelet, ancien secrétaire général du Centre international d’études du sport (CIES), fondé en 1995 à Neuchâtel par Sepp Blatter pour former les futurs cadres du sport business. C’est là que le besogneux Infantino a fait ses premières armes, comme juriste, avant de rejoindre le département juridique de l’UEFA, la plus puissante et la plus riche des confédérations mondiales. Quand Michel Platini est élu patron du foot européen, en 2007, il devient rapidement son bras droit, son homme de confiance. Il est patient.
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En mai 2007, avec Sepp Blatter, alors président de la Fifa, et Michel Platini, à Athènes. Infantino est devenu l’homme de confiance de Platini au sein de la puissante fédération européenne UEFA. Crédit: Pierre Lahalle / Presse Sport
Son heure arrive en 2015, avec la mise à l’écart de Sepp Blatter, compromis dans une affaire de corruption, puis de Michel Platini, empêtré dans une histoire de « paiement déloyal » : une somme de 2 millions d’euros versée par Blatter, sans accord de la Fifa. Il a fallu trouver une candidature dans les instances de l’UEFA. Et c’est alors qu’il a révélé tout son potentiel diplomatique et politique. « Il n’avait peut-être pas cette ambition au départ, mais il a su saisir les opportunités, décrypte Christian Constantin. Il a bénéficié de la naïveté de Platini et su se placer dans le bon wagon pour sauter dans la locomotive au bon moment. »
Comme Sepp Blatter avant lui, Gianni Infantino n’était pas favori lors de son élection en 2016. Mais comme lui, il était prêt. Les trajectoires des deux hommes sont comparables en de nombreux points, à commencer par leur lieu de naissance, dans le Valais. Pourtant tout les sépare. « On n’est pas à 8 ou 10 kilomètres l’un de l’autre, on est à mille lieues l’un de l’autre », insiste Sepp Blatter dans un documentaire suisse. « Blatter est un Valaisien de souche, Infantino est un immigré », insiste Jean-Loup Chappelet. Peu de temps après son élection, il avait emmené sa maman visiter le Pape… Des racines différentes pour des stratégies distinctes.
Une nouvelle Coupe du monde des clubs
Le successeur de Blatter a su agréger une équipe : « son mode de fonctionnement ressemble à celui des clans calabrais, il s’entoure de lieutenants », témoigne un ancien cadre de la Fifa. Souvent d’anciens de l’UEFA, de préférence des Italiens. Ceux qui ont travaillé avec lui le décrivent comme « un monstre de travail, très centralisateur, adepte du micro-management, un peu complotiste ». Il possède un certain sens de l’humour, à la différence de Blatter. Et contrairement à son prédécesseur, qui connaissait les noms et les problèmes de tous ses collaborateurs, « Infantino ne s’intéresse pas aux gens, c’est à peine s’il connaît les noms des managers qui l’entourent », raconte un bon connaisseur de l’organisation. C’est un homme de terrain, au contact avec les patrons de fédérations, ses électeurs, qu’il sait contenter.
Et jamais les Coupes du monde n’avaient été aussi rentables. Jamais les recettes de la Fifa n’avaient été aussi élevées et jamais elle n’avait reversé autant d’argent aux fédérations nationales : 2,8 milliards de dollars l’an dernier. Entre 2019 et 2022, les revenus de l’association ont atteint 7,5 milliards de dollars, contre 5,6 milliards sur la période 2015-2018. Prévision sur le cycle 2023-2026 : 11 milliards. La recette de Gianni Infantino est simple : augmenter le nombre de compétitions et accroître les sources de revenus, notamment en Asie et particulièrement dans le Golfe. « Il est en recherche permanente de croissance à redistribuer à ses électeurs, il croit que tout s’achète », observe Jacques-Henri Eyraud, ex-président de l’OM.
Parmi les succès, il peaufine une nouvelle Coupe du monde des clubs, plus lucrative, dont la première édition se tiendra à l’été 2025. Il a surtout obtenu le passage de 32 à 48 équipes à partir du prochain Mondial de 2026 organisé aux Etats-Unis, au Canada et au Mexique. La manœuvre permet d’augmenter les droits de retransmission télévisés, qui constituent 60 % du chiffre d’affaires de la Fifa. « Il s’est greffé dans le monde du foot en tant que gestionnaire, il en a fait une bête de guerre économique », déplore l’avocat Thierry Granturco, qui résume la pensée de nombreux fans : « A force d’ajouter des matchs, on fait baisser le niveau, on rend la compétition plus fade, mais on la vend mieux. »
Son moteur n’est pas l’argent
Gianni Infantino ne trouve plus grand monde pour discuter ses choix. Il a su faire le vide autour de lui en écartant ses opposants. Une commission d’éthique avait été mise en place en 2015, pour nettoyer l’institution après les affaires de corruption sous l’ère Blatter. « Il a vidé la structure de son pouvoir, en virant deux de ses présidents », dénonce le professeur de droit suisse Mark Pieth.
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Le 26 février 2016, au congrès extraordinaire de la Fifa, à Zurich, en Suisse. Il profite des déboires de Platini pour se faire élire président de l’organisation. Crédit: Michael Probst/AP/SIPA
Il a aussi provoqué le départ de Domenico Scala, en 2016, peu après son élection. L’ancien patron du comité d’audit voulait protester contre un amendement poussé par le nouveau patron, qui ôtait toute indépendance aux comités d’éthique et d’audit. Ce grand coup de balai lui a permis d’éviter d’être suspendu en interne lors de sa mise en accusation par la justice suisse, en 2020, pour ses rencontres secrètes avec le procureur général Michael Lauber, chargé d’enquêter sur les histoires de corruption au sein de l’institution.
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Pour Mark Pieth, Infantino n’est pas si différent de Blatter : « Les deux sont despotiques, mais Blatter était un grand seigneur. Infantino est un dictateur qui veut s’enrichir le plus rapidement possible. » L’homme peut en tout cas se targuer de ne pas traîner de casseroles : pas de flux financiers suspects ni de compte en banque caché. Il a touché, en 2023, un bonus de 1,66 million d’euros après le succès de la Coupe du monde au Qatar, et son bonus annuel a progressé de 626 000 euros en 2021 et 2022. Cette part variable s’ajoute à un salaire brut annuel de base de près de 2 millions d’euros.
Blatter, lui, percevait un salaire annuel de 3,3 millions. Pour la plupart de ceux qui le connaissent, son moteur n’est pas l’argent. Ce qui le stimule avant tout, c’est le pouvoir, ce statut de chef d’Etat dont il devrait continuer à profiter jusqu’en 2030. Quinze ans de règne, et la certitude d’être accueilli en hôte de marque, en 2034, en terre saoudienne.