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WISSAM BEN YEDDER
Une soirée, deux versions
« L'Équipe » a enquêté sur les événements qui ont conduit à la mise en examen en août pour « viol, tentative de viol et agression sexuelle » du capitaine de l’AS Monaco. L’attaquant international, placé sous contrôle judiciaire, nie toute contrainte et conteste les faits reprochés.
C’était un début de soirée comme l’été en offre tant sur la Côte d'Azur. Du monde, du soleil, de la chaleur, la plage.
Lundi 10 juillet, au lendemain d’un premier match amical avec Monaco
(1-1 face à l’Union Saint-Gilloise), après une matinée d’entraînement et à la veille d’une journée de repos, Wissam Ben Yedder déconnecte, lui aussi, au milieu des touristes.
Sans se douter que la nuit qu’il s’apprête à vivre serait encore au centre des discussions et de son avenir trois mois plus tard.
Depuis, le parquet de Nice a ouvert une enquête préliminaire puis une information judiciaire et Ben Yedder a été mis en examen pour « viol, tentative de viol et agression sexuelle » et a versé un cautionnement de 900 000 euros pour éviter
la détention provisoire (voir par ailleurs).
La police judiciaire locale s’emploie à reconstituer les événements, que L’Équipe a retracé grâce à des éléments recueillis depuis plusieurs semaines.
Rembobinons jusqu’à ce 10 juillet.
Le soleil n’a pas encore disparu derrière l’horizon. Il est environ 21 heures sur cette plage de Saint-Laurent-du-Var (Alpes-Maritimes) jouxtant l’aéroport niçois et Wissam Ben Yedder, accompagné de son frère Sabri, ne passe pas vraiment inaperçu sur le bord de mer. Tee-shirt et pantalon foncés, sneakers aux pieds et bob sur la tête, l’attaquant international français (19 sélections, 3 buts) enchaîne les photos et autographes.
Parmi les témoins de la scène, deux jeunes femmes, que nous appellerons Louise et Ambre (*), sont intriguées par cette célébrité à proximité. Elles finiront par faire connaissance avec la fratrie, un peu plus loin et un peu plus
tard. Le quatuor sympathise. Louise a 18 ans, Ambre 19 ans. Toutes deux sont originaires d’une autre région, actuellement en lycée hôtelier et de passage dans le Sud-Est pour un stage estival, chacune au sein d’un établissement différent dans une ville voisine de la côte.
Recruté par l’ASM à l’été 2019 contre environ 40 millions d’euros, Wissam Ben Yedder s’apprête, lui, à démarrer sa cinquième saison sur le Rocher, où il est devenu le troisième meilleur buteur de l’histoire du club (103 réalisations). Mais
le natif de Sarcelles (Val-d’Oise), âgé de 33 ans, ne traverse pas la meilleure période de sa carrière. Il a bouclé la saison passée en dents de scie, entre manque de réussite (2 buts sur les dix dernières journées, 5 défaites) et écart sanctionné (il n’a pas fait partie du groupe à Angers pour avoir séché une réunion). Ce à quoi s’ajoutent des difficultés d’ordre personnel : il est en instance de divorce et son permis de conduire lui a été retiré.
Aux policiers, les Ben Yedder assureront que les jeunes
femmes connaissaient parfaitement leur destination
Depuis quelque temps, son frère cadet Sabri, 25 ans, est présent à ses côtés, tantôt chauffeur, tantôt compagnon de soirée.
À Saint-Laurent-du-Var, le courant passe bien avec Louise et Ambre. D’un commun accord, la bande file au centre commercial attenant, une petite heure durant, pour jouer à une borne d’arcade de basket. Une partie de bowling, aussi.
L’ambiance est au beau fixe. Wissam se rapproche de Louise, Sabri d’Ambre. Tous repartent vers le parking et la voiture du joueur, le même SUV blanc utilisé lors de ses allées et venues à l’entraînement.
C’est alors que la soirée bascule. Tandis que les deux jeunes femmes auraient envisagé d’être ramenées à leur logement, les frères prennent la route opposée, vers Monaco et Beausoleil, où ils ont loué un Airbnb depuis plusieurs jours.
Aux policiers, ils assureront qu’elles connaissaient parfaitement leur destination.
À bord, entre deux gorgées de whisky coca, les rapprochements se seraient poursuivis. Selon des sources concordantes, Louise dénonce le fait que Wissam Ben Yedder l’aurait incitée à de premiers attouchements pendant quelques
secondes. Lui évoque une initiative qui venait d’elle et qui se serait prolongée plusieurs minutes.
À partir de ce trajet, deux versions semblent s’opposer au sujet de cette soirée, aux souvenirs parfois flous, d’un côté comme de l’autre, aux intentions apparemment divergentes et à l’atmosphère de plus en plus confuse. Car tout prend
une autre ampleur une fois à l’intérieur du studio de Beausoleil, à 23 heures passées.
Toujours d’après des sources concordantes, Louise reprocherait d’abord à Wissam Ben Yedder de lui avoir imposé d’emblée, sur le lit, un acte sexuel oral. Un acte dont elle n’aurait pas eu envie, aurait-elle déclaré aux enquêteurs, mais qu’elle aurait exécuté sous l’effet de la peur. Elle se serait ensuite opposée à Ben Yedder pour ne pas qu’il aille plus loin. Elle aurait répété « non » à plusieurs reprises avant que l’attaquant, qui se serait montré insistant, ne renonce à avoir une relation sexuelle.
Énervé et frustré, le footballeur aurait alors tapé contre le mur puis brisé un verre sur la terrasse. Plus tard, Wissam Ben Yedder aurait formulé de nouvelles avances à Louise dans la salle de bains, qui auraient été de nouveau refusées. De
son côté, Ambre aurait confié avoir eu plusieurs relations sexuelles avec Sabri Ben Yedder, à divers moments et endroits, sans son accord. Ce dernier, mis en examen pour « viol et agression sexuelle », soutient qu’elle n’a jamais manifesté son refus.
Les deux femmes quittent le studio dans la nuit, seules et sans résistance, plus de deux heures après leur arrivée, pour rentrer en VTC. Elles parlent immédiatement de ce qu’elles viennent de vivre à des proches. Autant de témoins importants
qui ont d'ores et déjà été entendus par les enquêteurs, lesquels cherchent à corroborer le récit des plaignantes et l'état de détresse décrit dans leur plainte.
C’est le lendemain, de retour au travail, qu’elles confieront leur récit à leurs supérieurs, puis à la police. Les plaintes suivront et la fratrie Ben Yedder sera convoquée par la police judiciaire le 8 août, la semaine de la reprise de la Ligue 1, pour deux jours de garde à vue.
Il a dû s’expliquer sur des textos échangés avec
son frère pendant les faits
Les deux frères nient en bloc la contrainte, affirment n’avoir forcé personne et jurent que tout s’est passé naturellement. L’accès de colère, Wissam Ben Yedder le reconnaît sans ambages et affirme qu’il s’agissait de frustration. Il nie en revanche toute violence verbale ou physique dirigée à l’encontre des jeunes femmes.
Les enquêteurs cherchent aussi à approfondir le contexte dans lequel ont eu lieu ces relations sexuelles et les intentions des Ben Yedder avant même de monter dans l’appartement de Beausoleil.
Selon nos informations, l’attaquant aurait ainsi dû s’expliquer sur des textos échangés avec son frère pendant les faits.
L’ambiance a-t-elle pesé sur les deux jeunes femmes qui affirment qu’elles n’envisageaient pas, initialement, d’avoir des relations sexuelles avec les deux hommes, puis qu’elles n’ont pas osé quitter l’appartement ? Toutes deux auraient
confié aux policiers que Wissam Ben Yedder et son frère avaient joué de leur statut et de leur influence supposée pour les impressionner, participant ainsi à créer un climat oppressant. De nouvelles auditions sont prévues dans les prochaines
semaines et des confrontations devraient suivre pour éclaircir le déroulé des faits.
Et répondre à la question centrale de ce dossier : les frères ont-ils exercé une contrainte morale sur les deux jeunes femmes avec qui ils voulaient avoir des relations sexuelles ?
« C’est un dossier extrêmement sérieux, qui n’est pas, comme on pourrait le dire, un dossier qui consiste à opposer une parole contre une autre, mais des preuves matérielles contre des propos de circonstances, convenus et sans surprise », estime Me Guillaume Carré, l’avocat de Louise.
« Mon client conteste les faits qui lui sont reprochés et réserve ses explications à la justice, oppose Me Hasna Louzé, qui défend Wissam Ben Yedder.
En ce qui me concerne, je suis soumise au strict respect du secret professionnel et je ne peux pas, non plus, commenter une affaire en cours. »
Même réaction chez Me Laure Diu-Lambrechts, conseil de Sabri Ben Yedder
: « Mon client conteste fermement les faits qui lui sont reprochés. En ma qualité de conseil, je suis soumise au secret de l'instruction de sorte que je ne peux pas vous apporter de précisions sur les différents points évoqués. »
Me Denis Del Rio, avocat d’Ambre, n’était pas disponible pour nous répondre, tandis que le procureur de la République de Nice, Damien Martinelli, n’a pas souhaité communiquer.
L'Équipe