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Affaire OM : pourquoi les dirigeants sont soupçonnés d’abus de biens sociaux
Achats de joueurs à un prix surévalué, reventes à perte, durées de contrats et prolongations abusives, salaires disproportionnés et primes indues… L’Olympique de Marseille est à nouveau dans le viseur de la justice. La mise en examen, le 16 septembre, de Jean-Claude Dassier, président du directoire de l’OM de 2009 à 2011, pour abus de biens sociaux, association de malfaiteurs, faux et usage de faux au préjudice du club, révèle la nouvelle orientation de cette enquête conduite par les juges Guillaume Cotelle et Christine Saunier- Ruellan.
Jeudi 1er octobre, Antoine Veyrat, l’ancien directeur général, était auditionné, à son tour, par les magistrats. Ouvert le 20 juillet 2011 sur des soupçons de racket d’agents de joueurs par des membres du grand banditisme corso-marseillais, le dossier s’apparente de plus en plus à une affaire de malversations financières présumées.
Placés en garde à vue en novembre 2014, plusieurs dirigeants de l’OM ont clairement démenti être victimes d’extorsions. Quatre années d’investigations discrètes laissent aujourd’hui supposer que l’OM ne serait pas l’oie blanche victime de voyous mais une nouvelle fois rattrapé par ses vieux démons. Au palais de justice, on parle même d’une affaire OM saison 3, référence faite aux dossiers similaires ayant conduit à la condamnation de dirigeants du club en 1998 sous l’ère Tapie et en 2007 alors que l’OM était dirigé par Robert Louis-Dreyfus (RLD).
150 gigaoctets de données informatiques
Lors d’une perquisition le 16 janvier 2013 dans les locaux du club, 80 dossiers papier et 150 gigaoctets de données informatiques ont été saisis. Leur analyse laisserait supposer des « liens ambigus entre des membres du milieu, fédérés autour de Jean-Luc Barresi [sulfureux agent de joueurs], et les institutionnels du club eux-mêmes, ayant pour conséquences des prises de décisions contraires à l’intérêt du club », lit-on dans un rapport d’enquête.
Les policiers ont analysé l’environnement fiscal, social, bancaire et téléphonique d’une soixantaine de personnes et de 110 sociétés. Ils ont décortiqué 740 comptes bancaires sur une période allant de janvier 2007 à mai 2014. Pour dix-huit transferts ou prolongations de contrats suspects, l’OM aurait inutilement déboursé 55 millions d’euros.
Les transferts de Mamadou Niang, Loïc Rémy, André-Pierre Gignac, Lucho Gonzalez, Stéphane Mbia, Alou Diarra, Charles Kabore, Fabrice Abriel ou encore Vittorino Hilton da Silva ont été disséqués. Les enquêteurs en concluent qu’ils ont été « achetés à des prix trop élevés et souvent revendus à perte ». Ainsi, l’attaquant Loïc Rémy a coûté 13 millions d’euros au club en 2010. Lors du mercato 2012, Tottenham faisait une offre à 25 millions, les dirigeants marseillais estimant sa valeur marchande à 20 millions. Il était pourtant cédé en janvier 2013 pour 9,975 millions au club de Queens Park Rangers.
« La blessure du joueur en mai 2012 et ses moins bonnes performances au début de la saison 2012-2013 ne semblent pas justifier totalement la chute brutale de sa valeur commerciale », estiment les enquêteurs. Ces derniers déduisent une série de surévaluations à l’achat et de sous-évaluations à la revente, en se basant sur deux outils pour fixer la valeur marchande des joueurs, le site allemand Transfertmarkt et le Centre international d’étude et du sport.
Achats surévalués
Charles Kaboré a été vendu au club russe FC Kouban Krasnodar 900 000 euros alors que sa valeur marchande était estimée à 5,08 millions et qu’en 2012, le club l’évaluait entre deux et trois millions. A l’occasion de l’achat d’André-Pierre Gignac – 18 millions en août 2010 – le président du FC Toulouse s’était étonné que la négociation avec le directeur général de l’OM ne dure pas plus de quinze minutes au téléphone pour un tel montant.
Achats surévalués mais reventes à perte aussi… « Les dirigeants de l’OM ont fait preuve d’une particulière générosité avec les clubs qui leur ont vendu leurs joueurs, avec les joueurs, les agents de joueurs. A l’inverse ils apparaissent comme de piètres négociateurs avec les clubs auxquels ils ont cédé des joueurs », écrivent les enquêteurs.
Sont aussi visées « des durées de contrats et des prolongations abusives ». C’est le cas de Cyril Rool dont le contrat avait été signé pour deux ans alors qu’il était âgé de 34 ans. Antoine Veyrat, alors directeur général, a reconnu une erreur expliquant que tout s’était passé très vite et qu’il n’avait pas cherché « à ergoter plus que ça » avec Jean-Luc Barresi, l’agent du joueur, « au vu de sa réputation, pour ne pas avoir affaire avec lui trop longtemps ». Le joueur n’avait joué que deux matchs en un an et, ont calculé les enquêteurs, « il a donc coûté 1 409 000 euros par match joué, en prenant en compte ses salaires, primes et le montant de l’indemnité versée au départ à l’OGC Nice ».
Néfaste à la santé financière du club, cette gestion soupçonnée de ruineuse aurait eu « pour principale finalité le souci de combler les exigences financières des agents de joueurs, véritables bénéficiaires » de la fraude présumée. « C’est comme ça dans le foot, c’est comme ça à l’OM », se serait défendu Jean-Claude Dassier qui, à l’issue de sa mise en examen confiait à l’AFP : « Au fond, on nous reproche d’être complices d’agents de joueurs qui se comportent mal. Mais il est difficile de se sentir responsable de ce que les agents font de leur argent ».
Les enquêteurs estiment que des rémunérations d’agents officieux ont transité par les joueurs ; d’autres sommes ont été versées à des agents de joueurs sans aucune contrepartie. Ce serait le cas lors du transfert de Loïc Rémy en janvier 2012 ou de la négociation de la prolongation du contrat de Benoît Cheyrou. Même si l’Olympique de Marseille s’est constitué partie civile dans ce nouveau dossier, la « vraie victime » pourrait être en réalité l’actionnaire principal Eric Soccer, la société de feu RLD, contraint à consentir un prêt de 4 millions d’euros en septembre 2010 et deux autres prêts d’un montant global de 20 millions en juillet 2011 pour combler les pertes du club.
L’enquête porte aussi sur « les libéralités de l’OM aux associations de supporteurs ». Depuis les années 1980/1990, le club leur délègue la vente d’abonnements, un système qui représenterait un manque à gagner annuel pour le club de 900 000 à un million d’euros. Dans le sillage des récents incidents en marge du match OM-OL, le club procède actuellement à la renégociation de ce système.