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OM, le retour de flamme
Un Vélodrome agrandi et métamorphosé, un coach devenu une icône, un titre de champion d'automne et la Ligue des champions qui s'échappe à la fin, l'OM a connu une année incroyable. Des témoins privilégiés racontent.
Samedi dernier en soirée, les 59 533 spectateurs du Stade-Vélodrome ont beaucoup applaudi. D’abord, la victoire face à Bastia (3-0), la 21e de la saison. Ensuite, l’aguerri trio Ayew-Gignac-Fanni en partance. Puis, l’idole du lieu, Marcelo Bielsa, ému et guère avare en embrassades. Restait l’essentiel : champion d’automne à la veille de Noël, l’Olympique de Marseille a glissé au classement tout au long de l’hiver, quittant le podium à six journées de la fin pour échouer à la quatrième place. Pourtant, aucune colère audible dans les travées de l’enceinte marseillaise, redevenue la plus bouillante du pays avec sa nouvelle configuration. Car, en quelques mois, le show Bielsa a réveillé Marseille. Par ses mystères, le coach argentin a intrigué. Par son absolutisme, il a subjugué, comme le 4 septembre 2014 où il met K.-O. le président Vincent Labrune : «? Le bilan du marché des transferts est négatif. Je crois que le président m’a fait des promesses qu’il savait intenables. Aucun joueur n’est arrivé sur ma décision.? » Surtout, Bielsa a prôné un jeu ouvert (trop ?), généreux, sans cesse porté vers l’offensive. À douze reprises, l’équipe a inscrit trois buts ou plus dans un match de Ligue 1 et a fini la saison avec 76 buts. Il faut remonter au début des années 1970 pour trouver une attaque marseillaise plus prolifique. Il y eut plusieurs crashes retentissants, des parties où l’équipe sombrait à trop vouloir pencher vers l’avant. Pas suffisamment pour que le public marseillais se lasse des inspirations d’el Loco.
« ?LES GENS PARLAIENT DE NOUVEAU FOOTBALL DANS LE MÉTRO ?»
MOUSSA MAASKRI
Comédien, a grandi à Marseille ; acteur dans le film «?la French?» et «?FRAT?», nouvelle création de Canal + ; habitué du Vélodrome depuis l’enfance ; 52 ans.
« ?Cette saison, l’OM est redevenu le club des Marseillais. Ces derniers mois, je suis passé par tous les niveaux d’émotion : les joueurs m’ont déçu, ils m’ont fait plaisir… Ils m’ont fait du bien, ils m’ont fait du mal. Avec des défaites incompréhensibles, comme contre Caen à domicile (2-3) alors que nous menions 2-0, et des victoires à l’arraché, telle celle face à Monaco (2-1) qui m’a donné envie de casser le stade tellement j’étais heureux. On veut des matches comme ça, y compris le 2-3 subi face au PSG en avril, alors qu’on mène deux fois au score. À la fin, je n’avais plus d’ongles à force de m’accrocher à mon siège. Marcelo Bielsa a ranimé la flamme, aidé par un Vélodrome redevenu un écrin pour le foot. Cela faisait très longtemps que je n’entendais plus les gens parler football dans le métro. Je suis à fond d’accord avec lui quand il dit que, l’essentiel, ce sont les émotions. Parfois, on est malheureux, on n’en dort pas la nuit… C’est la passion, il faut en payer le prix. Je ne veux pas d’un club comme le Lyon d’Aulas, qui sent le clinique et l’aseptisé. Cette saison, je me suis régalé ! Bielsa les a fait jouer au foot. André-Pierre Gignac a été formidable, montrant sa passion pour ce club. À l’inverse, (Florian) Thauvin est passé à côté de quelque chose. Quand tu as le talent d’être le descendant de Magnusson, Francescoli et Waddle, vas-y, bouffe la pelouse ! La saison prochaine peut être triste. J’ai peur de l’après, des départs de Ayew, Gignac, Fanni et autres. Je crains que Bielsa paie ce qu’il a dit à Vincent Labrune en début de saison. Ces deux-là n’ont pas la même philosophie du foot. Mais ce goût de l’incertitude, les Marseillais aiment ça. ?»
«? BIELSA N'EST PAS DOCILE, MARSEILLE ADORE ÇA ?»
LUDOVIC LESTRELIN
Sociologue ; maître de conférence, spécialiste de Marseille, auteur de « l’Autre public des matches de football, sociologie des supporters à distance de l’OM » ; 36 ans.
«? Marcelo Bielsa et l’OM, ça fait sens depuis le premier jour ! Il colle à l’OM, à la fois dans l’esprit des Marseillais mais aussi dans celui des innombrables supporters qui vivent loin de la Provence. Depuis longtemps, le club manquait d’un personnage qui l’incarne sur la scène médiatique. Avant Bielsa, Élie Baup, ce n’était ni Marseille ni l’OM, et José Anigo avait épuisé son crédit d’autochtone par ses diverses accointances. Quant à Didier Deschamps, il était raccord sur le plan sportif, mais pas sur le plan de l’anticonformisme et était vu comme un produit de la nomenklatura. Malgré les bons résultats, le puzzle n’était pas complet. Bielsa est singulier, ce qui est fondamental dans un club et une ville qui laissent une grande place à l’étranger. Cet amour pour lui est à rapprocher de celui reçu par l’Anglais Chris Waddle lors de son passage à Marseille (1989-92). Lui aussi était spectaculaire et différent, avait de l’humour et affichait une vraie proximité avec les gens. La proximité affichée par Bielsa est fondamentale. Il est visible en ville et, encore récemment, il a arrêté sa Citroën à la sortie de l’entraînement pour signer des autographes. Qu’il conduise une Citroën et pas un bolide, comme tant de gens dans le football, a fait triper les gens sur les forums ! Autre point commun : Bielsa n’est pas docile. Marseille adore ça. En début de saison, l’Argentin a remis le président Labrune à sa place. Ce jour-là, il a marqué son territoire et a fait basculer la ville de son côté. Pas étonnant que les supporters usent de mots religieux à son sujet. Il suscite tellement d’affect, il est devenu un saint laïc. Ces débats permanents, c’est très marseillais. Dans quinze ans, on se souviendra de son passage. Entre lui et Marseille, c’est de l’ordre du romantisme. Le public lui trouvera toujours des excuses. ?»
« ?IL AURAIT FALLU ÊTRE PLUS MATURES ?»?
ROD FANNI
Défenseur de l’OM depuis 2010, en fin de contrat ; 33 ans.
«? La saison qui vient de se conclure me laisse très, très amer. Nous n’avons pas été aidés par certaines décisions d’arbitrage, mais nous avions les moyens de faire mieux que la quatrième place. Du début à la fin du Championnat, l’équipe a eu la possession du ballon et n’a jamais refusé le jeu, consentant beaucoup d’efforts. Nous avions les arguments sportifs pour finir plus haut, mais il aurait fallu être plus matures et plus attentifs dans nombre de situations de jeu. Notre passage à vide a été trop long et nous a contraints à courir après le retard accumulé en début d’année. Je ne saurais dire si cette chute de régime est venue d’une cassure vis-à-vis du coach. Il y a eu la fatigue. Nous nous sommes posé des milliards de questions pour trouver la solution… Nous avons retrouvé des ressources en fin de saison, mais ce fut trop tardif pour espérer une place sur le podium. Ma mise à l’écart du groupe pro en début de saison m’a fortement touché. À l’époque, je me suis accroché et j’ai fini par gagner la confiance du coach. Pour l’heure, je n’ai aucun indice pour me projeter à l’OM la saison prochaine. Je considère que le match de samedi dernier face à Bastia était mon ultime match avec Marseille. Une page se tourne à l’OM. Des joueurs très attachés à la région et au club sont sur le départ. André-Pierre Gignac et moi sommes nés tout près, à Martigues. André Ayew a été formé à l’OM. Pour prendre le relais, je vois Romain Alessandrini, qui est natif de Marseille. Il a cet amour du maillot, ce sens du contact. C’est un battant qui a gagné ses galons auprès des supporters par son attitude. Quant à l’avenir de l’OM, c’est assez flou. Je ne cherche plus trop de logique. La troisième place en Ligue 1 aurait permis à l’équipe d’essayer d’accrocher une place en Ligue des champions, une compétition qui rapporte beaucoup d’argent et attire les recrues. Je ne sais pas trop ce que la propriétaire va décider. De l’argent va-t-il être à nouveau injecté ? En tout cas, il faudra des moyens financiers pour soutenir la progression des résultats.? »
«? JE PRÉFÈRE ÇA À GAGNER LE TITRE DANS UN CIMETIÈRE COMME À PARIS? »
GHISLAIN
Membre du collectif de supporters San Marcelo de Marseille ; 29 ans.
« Bielsa est une forme de saint, car il a ressuscité l’équipe ! D’où le nom de notre collectif qui s’inscrit dans la mouvance Bielsa No se Va (Bielsa, ne part pas), qui a pris de l’ampleur depuis le printemps en raison de la crainte des supporters de le voir quitter le club. Certains de nos membres sont littéralement amoureux de lui. Il a ramené le souffle au stade après une saison 2013-14 catastrophique. Pour certains matches, il y avait moins de 15 000 spectateurs. Depuis un an, rien ni personne n’a pu m’empêcher d’aller au Vélodrome. Tout le monde est derrière Bielsa, car c’est un bosseur et un partisan de l’offensive. Il prend tout sur ses épaules, ne balance pas ses joueurs et évite toute polémique gratuite. Lui, c’est le jeu avant tout. Il faut féliciter Vincent Labrune pour son choix de l’été dernier. Maintenant, il a intérêt à le conserver et à allonger le chéquier, sinon il risque sa tête. Bielsa a démontré son talent, il faut lui donner les pleins pouvoirs afin qu’il recrute des Sud-Américains qui ont sa grinta. Je serais dégoûté s’il nous quittait. On pardonne tout à Bielsa, même les défaites à domicile face à Caen, Lorient ou le PSG. Même finir quatrième de L?1, c’est bien car on s’est régalés. Je préfère çà à gagner le titre dans un cimetière comme à Paris. »
« ?UNE ABSENCE DE PATRONS À TOUS LES NIVEAUX ?»
BERNARD BOSQUIER
Ancien joueur de l’OM (1971-74) ; 42 sélections ; 72 ans.
« Un truc me stupéfait ! Faute de savoir si Bielsa reste, le président a préparé la saison prochaine à l’aveuglette. Autre exemple de gestion ratée : André Ayew et André-Pierre Gignac partent libres et le club se prive d’une rentrée d’au moins 20 M€. Il aurait fallu les convaincre de prolonger il y a un ou deux ans avec une clause de départ en 2015. La propriétaire doit apprécier. Il manque un directeur sportif rodé au métier pour gérer ces dossiers. D’autant que, depuis que Marcelo Bielsa a mis Labrune à dix kilomètres, les deux hommes ne se parlent guère. Cette saison, l’équipe a manqué de cadres de caractère. Quelqu’un capable de dire à Florian Thauvin de lâcher la balle et de mieux gérer ses efforts. Ce jeune a le niveau pour être en équipe de France, mais il veut trop en faire, c’est de son âge. Le club possède d’excellents jeunes –Thauvin, Imbula, Lemina, Mendy, Batshuayi, etc. –, mais ils ne peuvent pas tout faire à eux seuls. Cette absence de patrons dans le jeu s’est aussi manifestée au sujet de la tactique déployée par Bielsa. C’est bien beau de réclamer du marquage individuel à outrance, mais quand je vois un arrière latéral comme Brice Dja Djédjé suivre son attaquant sur l’aile opposée en laissant un grand espace libre dans sa zone, je trouve ça fou ! Personne ne prenait l’initiative de la compensation tactique. La méthode Bielsa a marché quatre mois environ, car les gars suivaient ses consignes à la lettre. Puis, un, deux ou trois joueurs ont lâché, tellement les consignes étaient exigeantes. Il y a eu des coups de mou physiques. Alors, l’édifice s’est écroulé. Comme les entraîneurs adverses ne sont pas des mauvais, ils ont vu comment déséquilibrer l’OM. Bielsa s’est trop obstiné dans le marquage individuel et a tardé à comprendre que la discipline n’est pas la même en France qu’ailleurs.?»
« L'OM N'A PAS DE STRATÉGIE DE LONG TERME »
LIONEL?MALTESE
Économiste ; maître de conférences à l’université Aix-Marseille ; 37 ans.
«? Cette saison, Vincent Labrune avait choisi une stratégie claire mais risquée : se focaliser sur le sportif pour attraper la Ligue des champions et ses 30 millions d’euros de recettes supplémentaires, ce qui reléguait l’économie de long terme au second plan. En choisissant Marcelo Bielsa, il misait sur la post-formation. C’était cohérent : cet entraîneur est connu pour faire progresser ses joueurs et lancer des jeunes. Le but était d’arriver dans les deux premiers du Championnat, tout en élevant la valeur du capital joueurs. À un penalty près à Bordeaux et un but refusé contre Lyon, cela aurait pu marcher. Sportivement, c’est un échec. Et si l’OM revend ses pépites – Thauvin, Imbula, Payet… – à des tarifs modérés lors du mercato, ce sera aussi un échec économique… Cette saison se terminera sur un déficit de l’ordre de celui de l’an dernier (12,5 millions d’euros), qui sera encore comblé par l’actionnaire, Margarita Louis-Dreyfus. Le problème est que l’OM ne mise que sur une ou deux ressources qu’elle ne contrôle pas : les droits télé et la revente de joueurs. Si cela ne marche pas, il n’y a pas d’autres recettes pour trouver l’équilibre que de tailler dans les coûts. Vincent Labrune devient un contrôleur de gestion : il a décidé d’un salaire plafond, 200 000 euros par mois environ, et compense les déséquilibres avec le départ de trois joueurs, dont deux aux salaires importants, Gignac et Ayew. L’économie se situe autour des 8 millions d’euros par saison. Ce qui est dommageable avec Ayew, c’est qu’il a été formé au club et aurait dû rapporter une plus-value. Le danger maintenant, c’est le décrochage. Le budget restera-t-il au-dessus des 100 millions d’euros ? Cela dépend de l’actionnaire, car, pour ce qui est des recettes supplémentaires, on plafonne. Marseille s’est fait doubler dans presque tous les domaines par le PSG : taux de remplissage, droits télé, sponsoring… Il n’y a pas de partenaire miracle en approche, le merchandising est au taquet. L’OM ne reste premier que sur la fréquentation, avec plus d’un million de spectateurs cette saison. Le nouveau Stade-Vélodrome est un plus, mais n’appartient pas au club. Sa location (4 M€ par an) ampute la marge. Le point positif, mais qui n’était pas forcément prévu par la direction, c’est que Marcelo Bielsa et son jeu spectaculaire ont ranimé la passion perdue ces dernières années. Cela fait plus de billetterie, plus de merchandising, plus de couverture médiatique. L’économie de l’OM devrait se développer autour de ce concept d’émotion. Bielsa l’a catalysée, le rôle des dirigeants est de la transformer en recettes. Même s’il a un salaire de 300 000 euros et que son staff coûte cher, se priver de lui serait une grave erreur… Économiquement, le pire pour l’OM serait de perdre la passion.? »