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Après une première partie de saison presque parfaite, l'OM glisse dangereusement au-delà de la zone Ligue des champions. Touche t-on là aux limites de la méthode d'«EL Loco», cet entraîneur incapable de sacrifier ses idéaux de beau jeu sur l'autel du résultat ?
S'il était devant son écran pour regarder le récent OM-PSG, Oscar Scalona, ami d'enfance de Marcelo Bielsa, a sans doute eu une impression de déjà vu. Celle de voir un Bielsa enferré dans ses principes, rétif à tout renoncement, quand bien même l'enjeu semblait valoir la chandelle d'une conversion –ne serait-ce que furtive– au pragmatisme. L'OM menait au repos (2-1) et geler ce résultat aurait valu de l'or pour la bande à Gignac. A sept journées du terme de la saison, les Phocéens seraient repassés devant l'ennemi parisien, et un proche avenir radieux aurait scintillé à l'horizon...
Marcelo Bielsa est un dogmatique. Pour lui, la fin ne doit jamais justifier l'emploi de certains moyens. «El Loco» n'a donc pas demandé aux siens de se recroqueviller, de garer le bus devant la surface ou au moins de se montrer un brin plus conservateurs. Ses joueurs devaient continuer à produire: du jeu, des offensives, des opportunités. Résultat: le PSG finira par renverser la situation (3-2) et à commencer à mettre fin aux espoirs de titre olympiens. Pour l'entraîneur argentin, une unique voie mène à la victoire et… à la défaite, tout du moins pour les équipes qu'il dirige.
Voilà ce que déclarait, en septembre dernier dans SoFoot, Oscar Scalona à propos de matches décisifs disputés par les équipes de Marcelo Bielsa:
«J'ai eu exactement le même sentiment à chacune de ces rencontres [il évoquait alors les finales d'Europa League et de Coupe du Roi disputées, et perdues, par Bilbao en 2012, ndlr]. Je souffrais, je priais pour que Marcelo renonce à ses principes l'espace d'une soirée, que ses joueurs balancent de longs ballons pour faire sauter la pression adverse. Mais non, ses équipes étaient à son image: géniales, merveilleuses, authentiques, mais incapables de changer. La rigidité et l'exigence de Marcelo finissent par le trahir, et poussent ses équipes au suicide.»
Autrement dit, ce qui fait le succès de Bielsa, l'audace de ses options tactiques, son exigence sans répit –pour ses joueurs comme pour lui-même– ou cette obsession pour une récupération expresse du ballon, provoque aussi sa perte. L'héroïsme de ses équipes connaît trop souvent des épilogues tragiques.
S'il étudie au microscope chaque adversaire, Marcelo Bielsa n'a rien d'un entraîneur caméléon. Quels que soient la météo, le lieu ou le nom de l'adversaire, ses équipes devront toujours tout mettre en œuvre pour accaparer le ballon et passer la majeure partie du temps dans le camp de l'opposant. Pour Bielsa, avoir l'initiative du jeu est un principe non négociable. «La seule façon dont je comprends le football est d’exercer une pression constante, jouer dans le camp adverse et avoir le contrôle du ballon», dit-il.
Option offensives irréductibles
Les options offensives irréductibles d'«El Loco» sont l'un des moteurs de la fascination qu'il génère, à Marseille, au Chili ou en Espagne. Chez Bielsa, il y a du romantisme, mais aussi une conviction plus rationnelle, qu'il partage notamment avec Pep Guardiola, qu'une équipe maître du ballon voit notoirement augmenter ses possibilités de ressortir gagnante au bout des 90 minutes. «Il n'y a pas de chemin plus court et agréable [vers la victoire] que la beauté du jeu», avait-il déclaré en 1999 lors d'une conférence de presse de la sélection argentine, qu'il avait prise en mains l'année précédente.
Lors de la première moitié de saison, l'OM a enthousiasmé pour la qualité de son football. Au-delà des bons résultats obtenus, Bielsa a apporté un supplément d'âme à une équipe qui avait oublié les vertues de la création collective depuis trop longtemps. Le déclin de la courbe des résultats olympiens après le titre honorifique de champion d'automne, à partir du mois de janvier, n'a toutefois pas conduit «El Loco» à faire évoluer notoirement son système ou sa méthodologie. Sa connaissance érudite du football lui sert à décrypter comme personne un match, mais pas à proposer un large éventail d'alternatives à ses ouailles.
A Marseille, comme à peu près partout où il est passé, Bielsa a rechigné à modifier son onze-type, même après plusieurs contre-performances de l'un de ses éléments –on peut penser à Florian Thauvin–, car le choix de ses hommes a été le fruit d'un travail d'évaluation si profond qu'il ne peut être remis en cause subitement. Bielsa s'est aussi refusé à modérer ses options tactiques radicales quand son équipe peinait à créer le danger et se trouvait trop facilement mis en difficulté sur ses arrières. Il a aussi résisté à aligner un duo d'attaque, quand Michy Batshuayi a émergé, et aurait pu prêter main forte à Gignac, comme il envoyait batailler Gabriel Batistuta seul en pointe alors que l'Argentine réclamait le soutien d'Hernan Crespo. Cette saison, «El Loco» a reconnu que le débat sur la possibilité d'associer Crespo à Batistuta le tourmentait encore. «Cela fait 15 ans que je réfléchis sur ce sujet. Tous les Argentins vous parleront mal de moi à ce sujet», avait lâché l'entraîneur de l'OM en conférence de presse.
Rigide dans ses convictions, Bielsa n'a pourtant rien d'un entraîneur arrogant, allergique à toute autocritique. Au contraire, le natif de Rosario s'impute chaque défaite et son examen d'une déroute peut même tourner à l'autoflagellation. Mais c'est dans les limites de ses commandements footbalistiques qu'elle se déroule. Car une victoire d'épicier n'intéresse pas Marcelo Bielsa. «El Loco» veut voir le beau gagner sur la laideur, sur la frilosité, sur les petits calculs. A défaut de tolérer la défaite, il accepte le prix à payer pour son choix éthique, pour ne pas trahir ses idéaux. Les équipes de l'ex-sélectionneur du Chili et de l'Argentine ne sont pas loin de former des ensembles messianiques.
Un petit mois avant le match charnière face au PSG, le rigide Marcelo Bielsa avait fait preuve d'une inhabituelle flexibilité. En conférence de presse, il confia que ses joueurs s'étaient lassés de son exigence et qu'il avait accepté une certaine forme d'«autogestion» de son groupe. «La semaine dernière, j’ai dit ''rejet''. Aujourd’hui, je dis ''autogestion''», expliqua Bielsa. Pour les partisans modérés de l'entraîneur argentin, il s'agissait d'une lueur d'espoir. D'une once de pragmatisme qui pouvait aider à couronner d'un titre de champion de France avec l'OM le grand travail de fond opéré par l'Argentin, notamment dans la maximisation du potentiel, parfois insoupçonné, d'une bonne partie de ses joueurs.
«Reconnaissance de mon travail dans l'échec»
A 58 ans, Bielsa n'était toutefois pas prêt à faire sa révolution, comme le mit en évidence cette déclaration de Steve Mandanda dans la foulée du coup de sifflet final d'OM-PSG:
«On était au marquage individuel, donc les joueurs parisiens dézonaient forcément, il suffisait d'un joueur en retard pour qu'apparaisse des trous dans la défense, voilà, c'était les consignes, on les a respectées, mais en face il y avait des joueurs de qualité et on savait qu'il y aurait des brèches.»
Cette déclaration ressemblait à une critique à mots couverts du système défensif audacieux mis en place par Marcelo Bielsa pour ce match capital. L'option d'«El Loco» a fonctionné pendant 45 minutes héroïques des Marseillais, mais l'absence de plan B a semblé condamner les Olympiens à finir par subir la supériorité technique des Parisiens.
Pour les apôtres de Saint Bielsa, comme l'ont surnommé des supporters, de Santiago à Marseille, le technicien est un bloc. Quel que soit le résultat final, il faut accepter la noblesse des moyens employés par l'austère entraîneur. Quand il officiait comme sélectionneur de l'Argentine, la rigidité de ses principes de jeu, de ses choix tactiques, mais aussi dans le choix de ses hommes, avaient en partie creusé la tombe de l'Albiceleste, éliminée dès le premier tour du Mondial 2002. Reste que si la sélection s'était présentée en favorite de la compétition, c'est aussi pour le grand travail effectué en amont par «El Loco». «Je célèbre et valorise cette décision, déclara t-il après sa reconduction –il quittera son poste en 2004 sur une finale de Copa America perdue sur le fil et un titre olympique à Athènes. Pour moi, il s'agit du plus grand succès de ma carrière sportive, car il s'agit d'une reconnaissance de mon travail dans l'échec.»
Pour Bielsa, le processus importe davantage que le résultat. L'Argentin s'érige contre le culte de la victoire. Voilà le discours qu'il tenait à des élèves du lycée de Rosario où il avait étudié, alors qu'il était sélectionneur de l'Albiceleste:
«J'insiste sur le fait qu'il vaut mieux être prestigieux que populaire, que le chemin parcouru est plus important que le succès que l'on rencontre ou non au bout de celui-ci, […] qu'il faut laisser entrer l'information qui irrigue notre côté noble et bloquer celle qui stimule nos bas instincts.»
Non, pour Bielsa, l'important n'est pas les trois points...
«Géniales, mais incapables de changer»
Depuis le match face au PSG, Marseille s'est encore incliné à trois reprises. Une défaite face à Bordeaux, avant tout imputable à un manque de réussite, une autre face à Nantes, où son groupe a paru lessivé, et une face à Lorient, en encaissant cinq buts à domicile. La quatrième place de Gignac et consorts est désormais très menacée; quant à une très hypothétique troisième, qualificative pour le tour préliminaire de la Ligue des champions, il faudra compter sur des résultats favorables et une victoire lors de la 36e journée contre Monaco, une équipe mieux armée.
Mais l'on peut déjà parier que pour Marcelo Bielsa, une seule voie pourra mener Marseille vers un triomphe: celle de l'audace, de l'orgie offensive et de la pression tout-terrain. Quitte à ce que ses équipes finissent par ressembler à des commandos suicides. A des équipes «géniales, merveilleuses, authentiques, mais incapables de changer», comme le dit Oscar Scalona.