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Bazardé du centre de formation du PSG, fâché avec la sélection ivoirienne, longtemps considéré comme un joueur moyen de ligue 1 et catalogué fort caractère, Brice Dja Djédjé révèle cette saison avec l’OM de Bielsa tout son potentiel. Mais a quel prix? Car si le latéral droit olympien est le plus gros
bénéficiaire de l’intensive méthode de son entraîneur, il en est sans doute aussi la première victime. Depuis, il dort tout le temps, partout, à toute heure. Avec une prédisposition pour les fauteuils de son home cinéma.
La première rencontre constitue, bien souvent, la clé d’une belle relation. Le 7 juillet dernier, Marcelo Bielsa dirige son premier entraînement à La Commanderie. Le soleil tabasse les corps. Et l’entraîneur argentin en rajoute une couche. A la stupéfaction des joueurs, Brice Dja Djédjé en tête: “Le mec, c’est un fou. Pour cette première séance, il nous avait organisé un 7 contre 7 sur grand terrain. Les gens ne se rendent pas compte...” Dans les faits, une telle configuration se traduit par d’inlassables séries de sprints. Et les joueurs de football n’aiment pas la course a pied. Les visages sont creusés, des grognements s’élèvent. "Il me disait de courir étouffé, même si j’avais déjà du mal a revenir, confie le latéral droit. Il me connaissait, il avait vu mes matchs a Evian. Pour dire a quel point il est fou de foot”. Après une demi-douzaine d’allers-retours, le moteur cale. Brice baisse les bras, reprend son souffle. “Je pouvais plus respirer, sourit-il. C’est là où c’est parti. Là où il m’a hurlé:’CARAMBA DJA DJÉDJÉ"
“Me rapprocher de Daniel Alves"
Huit mois plus tard, Brice Dja Djédjé n’a pas cessé de courir et l’OM bataille pour le titre en ligue 1. Si les mauvaises langues arguent que la direction olympienne le recrute, en janvier 2014, dans le seul but de forcer Kassim Abdallah à partir, Dja Djédjé est devenu l’un des piliers de l’édifice de Marcelo Bielsa.
Au prix de gros efforts. “Le coach nous met parfois deux entrainements par jour. Et le jour suivant, on a foncier. II faut faire un minimum de kilomètres en vingt minutes, sinon tu recommences le lendemain", détaille l'Ivoirien, fraichement douché, en sirotant un diabolo pêche au bar d’un Novotel de zone industrielle, Une méthode qui ne bouscule finalement pas trop ses habitudes. “J’ai toujours été sérieux à ce niveau. Je pars tout le temps en dernier de l’entrainement. Même après les matchs. Je reste avec les kinés, je me fais masser”. Dja Djédjé ne craindrait donc pas l’overdose.
“Les jeunes d’aujourd’hui, ils aiment les jeux, traîner sur Internet, avance Sidney Govou, son ex-compagnon de chambre à Evian Thonon Gaillard. Brice aime le foot, le travail. T’as des joueurs qui veulent être Cristiano Ronaldo, mais qui ne veulent pas bosser... En Haute Savoie, où il évolue entre 2010 et 2014, ses anciens coéquipiers se rappellent d’un mec qui venait a l’entraînement à vélo. “Je te dis pas combien de fois je me suis gamellé avec la neige”— avec une éthique quasi protestante du football: travailler plus pour jouer plus. Forcément, il faut récupérer. "Il dormait sur Ia table de massage du kiné, chambre Aldo Angoula, défenseur central de l’ETG. Normalement, c’est les vieux qui se font masser, non?” La sieste, un art de vivre: “Je peux en faire de 13 heures a 18 heures. Personne ne me derange. Ma femme, elle sait.” Dja Djédjé s’est fait construire une salle de cinéma dans sa nouvelle maison, à quelques pas du centre d’entrainement Robert-Louis-Dreyfus, mais rien n’y fait: “Si je me mets devant un film,je dors.” Et quand il ne roupille pas, ii passe son temps a regarder du foot a la télé. “Quand j’étais petit, j’avais la chaîne du câble, Noos. J’ai toujours regardé beaucoup de foot car je savais que je voulais faire ça.
Je suis fan de Daniel Alves. Je pense qu’en travaillant, je suis capable de me rapprocher de lui. Les centres, les frappes, les coups francs. il sait tout faire. C’est pour ça que je reste à la fin des entraînements.” Derrière le travail, l’ambition donc. Grande, sous son mètre 70: “Dans ma tête, je me dis que le mec qui est a côté de moi faut que je le bouffe. Au niveau du mental, je progresse. Je vise toujours la perfection.”
“Va te faire foutre, me casse pas les couilles"
Travailler les cuisses, c’est bien. Travailler le mental, c’est moins facile. Le 29 octobre, 16e de finale de coupe de la ligue, Rennes-Marseille, route de Lorient, 63e minute de jeu. Brice Dja Djédjé s’écharpe avec Paul Georges Ntep. Calmé par ses coéquipiers, l’Olympien se fait sermonner depuis le banc par André-Pierre Gignac. Le lendemain, à la cantine, le joueur de 24 ans refuse de serrer la main de son attaquant. Une incartade vite pardonnée par Marcelo Bielsa. Mais Brice Dja Djédjé n’a pas totalement digéré : “C’est un manque de respect, assure-t-il.
J’ai revu les images. II vient vers moi et il me fait ça il mime l’index qui tape la tempe, ndlr). C’est pas possible. J’en voulais plus a Gignac qu’à Ntep. Si l’altercation est anecdotique, elle révèle quelque chose de plus profond: Dja Djédjé est fatigué qu’on le prenne pour une pipe. Pour un joueur bof-bof. “Si vous remarquez bien, one ne parle jamais de moi, souffle-t-il. Quelques que soient mes performances.”
L’histoire de Dja Djédjé serait celle d’un chronique manque de considération. Né en Côte d’Ivoire, formé au Paris Saint Germain, dans la même promotion que Mamadou Sakho, ii entre dans le métier en recevant une lettre recommandée... pour l’informer qu’il n’est pas retenu dans l’effectf professionnel du PSG.
“J’étais au Tournoi de Toulon avec la Côte d’Ivoire. Mais je m’en doutais... Quand on ne te propose pas un rendez-vous de l’année, tu sais très bien que tu vas pas rester.” Libre, il débarque a Evian, au pied des pistes et en deuxième division. Où il gagne sa place. A l’heure de remonter en ligue 1, on lui prédit un retour sur le banc. “A Evian,je suis arrivé à 19 ans pour ëtre la doublure d’un Serbe. Je me suis imposé. Quand on monte en L1, ils recrutent Daniel Wass. Je me suis mis dans la tête que Daniel ne devait pas faire un match a droite. Il a joué en CFA jusqu’à ce qu’il comprenne. Quand je suis arrivé a Marseille, il y avait Rod. Et aujourd’hui, voilà...” Aujourd’hui, Rod Fanni joue en défense centrale.
‘Parfois il ressent une certaine forme d’injustice par rapport aux plus anciens, avance Sidney Govou, qui lui dispense toujours ses conseils par téléphone. Pourquoi il est sous estimé? C’est un truc qui ne s’explique pas. Il y a des joueurs qui doivent toujours se battre, et il en fait partie. Quand il est arrivé a Marseille, il y a des gars qui disaient: ‘C’est qui celui-là?’ Comme il va chercher les choses, il a envie d’être respecté directement comme un ancien.
A Evian, il voulait devenir le boss de l’équipe.” Certains ont essayé de faire des reproches à Brice Dja Djédjé. Ils n’ont pas réessayé. Dans les Alpes, ses coups de sang résonnent encore. Quentin Westberg, gardien de 1’ETG, a passé quelques matchs à regarder Brice Dja Djédjé faire le piston dans son couloir ‘il était jugé toutes les semaines alors qu’il était tout le temps titulaire. Ii fallait qu’il brise ça pour s’imposer. Comment le faire sans être maladroit? Faut parfois savoir dire à un mec de 30 ans: ‘Cours, toi aussi’Ce qu’il ne se prive pas de faire. Sans pincettes, évidemment. “Les mecs me chambrent souvent, souffle Dja Djédjé. Ils se demandent si je ne me pique pas avant les matchs. Parce que quand j’arrive sur le terrain, je bascule. Même Sidney, je l’ai insulté, 'Va te faire foutre, me casse pas les couilles’. A Barbosa, qui m’avait reproché une frappe, j’ai fait: ‘Si t’es pas content, on règle ça sur le terrain.’ Après, dans le vestiaire, il m’a
dit ‘Toi, t’es un fou’.” Un compliment, presque.
Trois chouchous et une photo floue
Après un but de Mario Lemina face a Guingamp, en début d’année, Brice Dja Djédjé rassemble ses coéquipiers, pique le boîtier d’un photographe et immortalise l’instant. La photo? Floue. Mais voilà Dja Djédjé est devenue la mascotte de cette équipe transfigurée sous les ordres d’El Loco Bielsa. Même quand je ne suis pas là, ils me cherchent partout”, atteste-t-il, en connaissance de cause: il a toujours occupé ce rôle. Les premiers mois, a Evian, il prend vanne sur vanne. Même son entraîneur, Bernard Casoni, qui l'a lancé dans le grand bain, s’y met: “Quand il a eu le permis, on l’a tous chambré. II était un peu naïf, il découvrait la vie.”
Le joueur caractériel a le sourire facile, mais il a besoin d’être encadré. Alors, partout où il passe, Dja Djédjé s’entoure des plus vieux: Aldo Angoula, Sidney Govou,André Ayew ou Steve Mandanda. “Mon père était militaire a l’époque, raconte-t-il à demi-mot, timide. Il regardait mes matchs, les filmait parfois et on débriefait. Après,j’ai pris cette habitude de regarder mes matchs. A l’OM,je leur amène une clé USB pour qu’ils me les mettent dessus. Même quand tu fais des mauvais matchs, c’est important de voir ce qui ne va pas.” Ce qui ne va pas? Un mélange de sautes de concentration et d’errements défensifs, pointés du doigt par ses entraîneurs successifs, conscients de son potentiel. “Quand il est arrivé, il a fait deux trois matchs intéressants puis a explosé dans sa tête, se remémore Bernard Casoni. Il a eu des mois difficiles derrière. C’est là qu’il a pris conscience de ses défauts.
Il a écouté les consignes et il a progressé. Au début, il ne respectait pas son rôle. Il pensait que latéral, c’était que de l’attaque. Il ne défendait pas.”
Les temps changent. Ils changent encore plus vite quand c’est Marcelo Bielsa derrière le chronomètre. Au delà d’avoir métamorphosé l’OM et bousculé le football français dans sa petite routine, l’ancien sélectionneur du Chili a surtout entrepris de faire de Dja Djédjé une machine. Pour justifier son exigence, Bielsa cajole le joueur. Après la photo officielle de l’équipe avant le match contre le PSG au Parc des Princes, au mois de novembre, le technicien demande une petite faveur au photographe: “Il voulait faire des photos avec Imbula, Mendy et moi. Les mecs nous chambrent dans le vestiaire parce qu’ils disent qu’il a trois chouchous. Il me cherchait partout, mais je me suis barré” Si Brice a évité la photo gênante, l’essentiel est ailleurs: à Marseille, il retrouve en Marcelo Bielsa une figure paternelle. ‘Comme il le dit souvent: pour devenir un joueur de top niveau, tu dois voir et apprendre de tes erreurs pour ne pas les reproduire. Il y a des trucs que tu ne vois pas, des détails qu’il te montre. Il te demande d’attaquer et de défendre de la même manière: à 100%. C’est un vrai perfectionniste.”
Bref, Brice s’éclate... mais ne peut s’empêcher de pousser un coup de gueule de temps en temps. Après la défaite à Montpellier, après les fêtes, il est le seul à remettre la tactique fétiche de Bielsa, le 3-3-3-1, en question: ‘A chaque fois, on a du mal Imbula est seul au milieu et les adversaires profitent de ça.” Signe que le bonhomme est en confiance. Et qu’il ne compte pas lâcher sa place, gagnée en déversant des torrents de sueur, aussi facilement. Au point de renoncer a la CAN 2015, remportée par la Côte d’Ivoire avec Serge Aurier arrière droit. “Hervé Renard n’a pas été honnête avec moi, il a voulu me la faire à l’envers. Et quoi? Après, tu reviens au club, t’es fatigué, et comme il faut que tu fasses 15000 allers-retours par match, tu risques de te blesser.” Et surtout, de perdre ton poste...
“Putain, c’est un fou, ce mec"
Un poste de latéral droit dont il est devenu la référence du championnat. Surtout depuis qu’il a gommé son plus vilain défaut: sa propension à envoyer des centres sur le Vieux Port. “Quand on travaille les centres, le coach ne nous met qu’un seul ballon. Du coup, t’es obligé de le réussir. ça t’oblige à avoir un esprit de compétiteur. Putain, c’est un fou ce mec, parfois il me dit qu’il fallait que je centre mieux que ce que j’ai fait alors que le centre était bon. Quand je sors des séances vidéo, je dis a Franck Passi, (adjoint de Marcelo Bielsa, ndlr) : en fait, vous voulez me rendre dingue?” Après les centres et les parcours du combattant, les séances vidéo sont en effet l’autre péché mignon de l’homme a la glacière. Une obsession, en fait.
Dja Djédjé sort son smartphone, fait défiler les photos de son album jusqu’à tomber sur le planning d’un jour de match. “T’as des vidéos dons la semaine, mais aussi avant les matchs: 10h30 vidéo, 11h45, vidéo. T’as au moins quatre vidéos le jour du match. C’est des fous. On se lève a 10 heures, t’as encore sommeil et on te met une vidéo. Même les mecs qui ne jouent pas, ils ont des vidéos. Il te met le match, il te met des actions à toi, offensivement, défensivement, t’es avec un laser, tu dois te montrer et tout ça. Il te dit ‘bien’, ‘pas bien, tu dois te placer comme ça, pas comme ça. J’écoute, et dès qu’il finit, je dis que j’ai compris. Si je reste là à parler, on en a pour une éternité. Tassé dans sa chaise en osier, Dja Djédjé passe alors aux aveux. Il est fatigué. “Franchement,j’espère qu’on sera champion. C’est dur mentalement, du coup, ça réagit aussi physiquement.
Putain, vous savez pas...” ça mérite bien un autre diabolo-pêche.