LA « MÉTHODE BIELSA » à Marseille, c'est un peu l'inverse de celle du mythique Jack Kachkar, le faux repreneur du club en 2007 : on en a beaucoup entendu parler avant, mais ni les journalistes ni les supporters ne l'ont jamais vue. Entraînements à huis clos, quinze minutes ouvertes aux médias (à une seule reprise et sans lui), pas de conférence de presse... Le bonhomme ne s'est pas embarrassé avec le protocole depuis son arrivée fin juin.
Il faut dire que l'Argentin cultive le goût du secret. Y compris avec ses dirigeants. Si les échanges avec Vincent Labrune ont été nombreux entre avril et mai pour mettre en place son mode de fonctionnement très pointilleux, Marcelo Bielsa a prévenu son président : « Le reste du temps, on ne se verra pas beaucoup. » Mystérieux, « el Loco », « le Fou » (son surnom), est aussi très méfiant, tendance « el Parano ». « Je n'ai confiance en personne même pas en mes adjoints », a-t-il d'emblée prévenu ses joueurs. Ce n'était pas des paroles en l'air. La veille du déplacement en Autriche, où l'OM affrontait Leverkusen en amical (4-1, 19 juillet), le technicien, âgé de cinquante-neuf ans, a piqué une grosse colère contre son staff, médusé.
Mécontent du travail fourni pendant la dernière séance, il a laissé tous ses adjoints à Marseille, sauf le préparateur physique belge Jan Van Winckel, francophone et relais des joueurs pour tous les petits tracas quotidiens. Alors que le nom de Gabriel Heinze circulait au mois de mai pour prendre un poste à l'OM, un agent argentin, fin connaisseur des deux personnalités, nous expliquait : « Gabi Heinze a envie de profiter de sa retraite et de sa famille. Je ne le vois pas pour l'instant venir s'embêter à bosser avec Bielsa, qui est capable de l'appeler à 4 heures du matin pour parler boulot. »
Ce n'est pas une légende, d'ailleurs. Lors des séances vidéo, certains joueurs ont remarqué des horaires de dernière modification des fichiers très tardifs...
Dur parfois avec ses collaborateurs, auxquels il donne beaucoup de responsabilités lors des entraînements (notamment à Pablo Quiroga et Javier Torrente), le nouvel homme fort olympien sait se montrer inversement calme, posé et précis avec ses joueurs lors des mises en place ou lors des nombreuses séances vidéo durant lesquelles il peut séquencer son analyse en découpant les matches par tranches de cinq minutes.
« VOUS AVEZ BIEN BOSSÉ, ALLEZ BOIRE DES BIÈRES »
Quand Bielsa a un message à faire passer, il le fait pour l'instant en douceur. Soit en réunissant ses troupes en cercle autour de lui. Soit directement à l'intéressé, images à l'appui, car tous les entraînements sont filmés et analysés dans le local vidéo, « le bureau de la NASA », comme on l'appelle parfois en interne, et qu'occupait l'ancien directeur sportif, José Anigo, auparavant.
Lors des matches amicaux, il est arrivé à Bielsa de hurler sur certains, pas assez concernés à ses yeux par le travail de repli défensif, l'une de ses obsessions. Mais il sait aussi se montrer très souple. « Vous avez bien bossé, allez boire des bières jusqu'à 4 heures du matin et après-demain, on se remet au travail », a-t-il dit en substance à son équipe, après la victoire en amical contre Benfica à Clermont (2-1, 23 juillet). Un geste apprécié par les joueurs, priés de dormir au centre Robert-Louis-Dreyfus à leur retour d'Autriche après la première rencontre de préparation.
Avant cette série de matches amicaux, Bielsa, qui possède les clés du centre Robert-Louis-Dreyfus – et ce n'est pas qu'une métaphore –, avait mis en place un cycle d'entraînements sur quatre jours : arrivée la veille au soir à la Commanderie, deux nuits sur place avec doubles séances quotidiennes le matin et en fin d'après-midi, dodo à la maison puis un retour vers 13 heures le troisième jour pour une séance, et enfin un jour de repos.
Avant chaque entraînement, les joueurs, affûtés comme jamais pour certains, sacrifient au rituel de la pesée. Les séances, souvent spécifiques pour les lignes défensives et offensives, sont plus longues que la saison dernière, mais, parfois, les exercices ne sont pas si compliqués. Pour mettre en place son jeu basé sur la possession du ballon, Bielsa a tenu d'abord par exemple à travailler les contrôles sur les passes fortes. L'Argentin veut des transmissions « laser » pour gêner le travail défensif de l'adversaire.
« LES JOUEURS SE ‘‘CAGUENT'' DESSUS. À MARSEILLE, ON N'A JAMAIS AUTANT TRAVAILLÉ DEPUIS VINGT ANS », SELON UN PROCHE DU CLUB
Avec lui, le moindre détail compte, comme lorsqu'il change volontairement les joueurs de position aux entraînements pour mieux les sensibiliser aux exigences de chaque poste.« C'est comme si les joueurs avaient changé de club », souffle-t-on en interne. « Bielsa a modifié beaucoup de choses, c'est vrai, ajoute un proche de l'OM. Mais la vérité, c'est que les joueurs se ‘‘caguent'' dessus. À Marseille, on n'a jamais autant travaillé depuis vingt ans ! »
Ce travail a commencé visiblement à porter ses fruits en matches amicaux, où l'OM s'est montré collectivement très cohérent jusque-là (*). Mais le vrai test sera évidemment le 9 août, à Bastia, pour la reprise de la Ligue 1. Cette exigence vis-à-vis de son groupe peut-elle fonctionner sur la durée ? Son mode de gestion autocratique ne finira-t-il pas par lasser ses dirigeants ? Ce sont toutes les questions que pose la méthode Bielsa. Et là, il faudra un peu plus de temps pour y répondre.
VINCENT GARCIA (avec BAPTISTE CHAUMIER)
Son staff
L'objectif du président VINCENT LABRUNE
Un été de promesses
IL FAUT se souvenir de l'atmosphère insurrectionnelle en tribunes, début avril contre l'AC Ajaccio (3-1) au Vélodrome, et de l'ambiance délétère sur le terrain, à peu près toute la saison dernière, pour mesurer le chemin parcouru par l'OM en quelques mois. Aujourd'hui, les supporters marseillais sont déjà – tous ou presque – fanatiques de Marcelo Bielsa, le nouvel entraîneur. Et les joueurs, transfigurés par les nouvelles méthodes d'« el Loco » (voir par ailleurs), semblent avoir décidé, enfin, de jouer en équipe. L'image qu'ils renvoient durant cette campagne de matches amicaux (3 victoires, 1 nul) est celle d'un collectif et ça faisait plus d'un an – depuis la première saison d'Élie Baup en 2012-2013 – qu'on n'avait pas vu ça à Marseille.
Cette tendance ne présage en rien de la saison qui vient mais c'est déjà un bon préalable à une réussite sportive même si – ne l'oublions pas, dans l'euphorie ambiante –, le palmarès de Bielsa n'est pas celui de Carlo Ancelotti ou de José Mourinho. Avant de penser à des titres, sa mission sera d'abord de remettre un peu d'ordre dans la maison, de structurer ce club si particulier et d'arriver à tirer enfin le meilleur d'un effectif où le mélange de jeunes talents et de vieux briscards a été explosif, dans le mauvais sens du terme, la saison dernière. Un objectif sur lequel Baup, limogé en décembre, et José Anigo, son successeur jusqu'à la fin de saison, s'étaient cassé les dents. « Vous allez enfin arrêter d'écrire que mes jeunes sont nuls !, se délecte Vincent Labrune, le président olympien, qui assure déjà le service après-vente. On a mis en place un système comme il y en a dans tous les plus grands clubs européens. »
Mais le commissaire Bielsa n'est pas venu uniquement pour faire la police et il est attendu au coin du bois sur les résultats, alors que le club ne disputera pas de Coupe d'Europe pour la première fois depuis dix ans. Les milieux de semaine vont être un peu tristounets à Marseille et l'ambition est évidemment de revenir très vite fréquenter le gratin européen. Par rapport à l'histoire du club, bien sûr, mais aussi pour soulager son portefeuille, amputé cette saison des 30 M€ environ de recettes générées par la C 1.
En recrutant Romain Alessandrini (5 M€) et la nouvelle pépite belge Michy Batshuayi (7 M€) en début de mercato, Labrune a pris tout le monde de court, après avoir pleuré toute la fin de saison sur l'état de ses finances. Il n'a pas réussi ces deux coups par magie mais en demandant, comme beaucoup de ses prédécesseurs, une rallonge d'environ 20 M€ à sa patronne, Margarita Louis-Dreyfus. MLD s'est exécutée pour assurer à la fois le recrutement et le passage devant la DNCG en juin. La propriétaire de l'OM demandera des comptes en retour.
Labrune en première ligne
Pour l'instant, seul Florian Raspentino a été vendu à Caen pour un montant dérisoire (environ 500 000 euros). La cession de Jordan Ayew, qui a filé à Lorient, ressemble à une opération blanche car Labrune a demandé à son ami Loïc Féry d'annuler sa dette pour le transfert, l'été dernier, de Mario Lemina (soit environ 4 M€). Le départ imminent de l'icône locale, Mathieu Valbuena, pour le Dynamo Moscou (voir par ailleurs), devrait rapporter 7 M€ et économiser un très gros salaire. Il en faudra d'autres. André Ayew ? Nicolas Nkoulou ? Steve Mandanda ? Dimitri Payet ? Les joueurs marseillais coûtent très cher, surtout en salaire, et leur cote à l'étranger n'est pas extraordinaire.
Entre ceux qui ne veulent pas partir (Payet) et ceux qui ne trouvent rien, la mission est difficile pour Labrune, qui s'active comme un fou depuis le mois de mars sur ces dossiers, mandatant des agents aux quatre coins de l'Europe, de la Russie à QPR, en Angleterre. Après des négociations difficiles pour le loyer du Stade-Vélodrome (voir par ailleurs), le président de l'OM est proche du burn-out, comme il le confie en privé. Cette saison, il envisage de donner plus de poids à Philippe Pérez, son directeur général, envoyé au feu sur le dossier du stade, et à Luc Laboz, son directeur de communication. Mais si le nouvel OM de Bielsa, à qui il a confié, seul, les clés du club, échoue, Labrune ne pourra pas se cacher derrière eux.
VINCENT GARCIA (avec BAPTISTE CHAUMIER)
Les quatre punis
Ce sont ceux sur lesquels Marcelo Bielsa, qui a analysé tout son effectif sur vidéo, ne compte pas cette saison. Dès la reprise, ils ont été priés de s'entraîner en marge du groupe professionnel avec Thomas Fernandez, le coach de la réserve olympienne. Si Florian Raspentino a été transféré à Caen et Saber Khalifa prêté au Club Africain, en Tunisie, les bannis sont désormais au nombre de quatre : Rod Fanni (32 ans, sous contrat jusqu'en 2015), Modou Sougou (29 ans, 2015), Foued Kadir (30 ans, 2016) et Billel Omrani (21 ans, 2016). Et les offres de transferts ne se bousculent pas. Fanni, le latéral droit et international français, pourrait être libéré de sa dernière année de contrat. Sougou, lui, n'a qu'une offre de prêt de l'Évian-TG, mais l'OM se refuse à payer une partie de son salaire comme le demandent les dirigeants haut-savoyards.
Pour l'instant, pour ne pas se mettre à la faute, on n'entend pas beaucoup ces joueurs, mais nul doute que la plupart d'entre eux ne vivent pas très bien cette mise à l'écart. Si le club ne trouve pas de solution pour eux, il sera obligé de les réintégrer au groupe pro à la fin du mercato. Mais rien n'empêche Bielsa de les envoyer jouer en CFA 2 toute la saison... V. G.