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Bielsa comme une ombre
L'OM a repris depuis plus d'une semaine sans Marcelo Bielsa, son entraîneur, attendu à Marseille dans les prochains jours. La situation, pas banale, est beaucoup commentée à l'extérieur mais elle n'inquiète pas le club.
L'OM AVAIT DÉJÀ mis un temps fou la saison dernière à officialiser la venue de Marcelo Bielsa, qui avait manqué la reprise pour « raisons personnelles », dixit le club à l'époque. Cette année, l'entraîneur argentin fait durer encore un peu plus le suspense. Les discussions avec ses dirigeants sur sa prolongation de contrat d'un an (plus un an en option) ont traîné et el Loco n'est parti en vacances que le 16 juin dernier sans signer son nouveau contrat. Depuis, tout Marseille retient son souffle. Les joueurs et le staff ont repris sans lui le 22 juin. Pas de panique : ils ne devraient pas tarder à le revoir, même si personne n'est capable de donner la date exacte de son retour. En début de semaine prochaine, le groupe sera au complet avec la reprise des internationaux. Si Bielsa n'est toujours pas là, il sera temps de s'inquiéter vraiment.
QUE FAIT-IL EN ARGENTINE ?
La dernière fois que l'on a vu Marcelo Bielsa, vendredi dernier, il se trouvait à Rosario, sa ville d'origine. « Nous avons pris un café ensemble et discuté pendant près de deux heures, raconte Armando Garrido, un ami de quarante ans. Lorsqu'on se voit, on parle de nos enfants, de nos souvenirs de Newell's, il me demande des nouvelles de gens du club et on échange sur l'actualité de l'équipe. Mais jamais je ne me permettrais de le questionner sur sa situation à Marseille. » Plus tard dans la journée, el Loco a partagé un asado (grand barbecue) avec José Falabella, le parrain d'une de ses filles, et quelques amis, dans la fraîcheur de l'hiver austral. Une photo de lui en compagnie de deux supporters leprosos (surnom de Newell's Old Boys) a circulé sur Twitter la semaine dernière, mais depuis, pas de nouvelles de l'entraîneur olympien. Et aucun indice sur la date de son retour en France. Il se repose vraisemblablement dans sa résidence champêtre de Maximo Paz, à 80 kilomètres au sud de Rosario, où il a l'habitude de se retirer pour méditer. C'est là qu'il s'était isolé en 2002, dans la foulée de la campagne désastreuse de l'Argentine en Coupe du monde. C'est également dans ce cocon perdu au milieu de la pampa que Pep Guardiola était venu rencontrer le sage avant de se lancer dans sa carrière d'entraîneur.
Y A-T-IL UN RISQUE QU'IL NE PROLONGE PAS ?
Infime. Mais qui le sait vraiment ? Pas grand monde. À tous les acteurs du mercato qu'il rencontre en ce moment, Vincent Labrune, selon plusieurs témoignages, apparaît « serein » sur cette question. Certes, le président marseillais ne va pas confier son anxiété aux agents des joueurs convoités. Ce n'est pas la meilleure façon de les convaincre de rejoindre l'OM. Mais en privé, avec ses proches, Labrune tient exactement le même discours. Il n'a pas l'entraîneur argentin en direct. Mais el Loco n'ignore rien des affaires de l'OM. Jan Van Winckel, son préparateur physique et homme de confiance, fait le lien entre le technicien sud-américain et le dirigeant olympien. Le Belge l'informe de tous les sujets, que ce soit la préparation des joueurs actuellement en stage en Espagne ou l'avancée du mercato marseillais. C'est sur ce point qu'un léger doute existe. La question salariale a été réglée il y a plusieurs semaines. Bielsa, qui touchait environ 300 000 euros brut mensuels la saison dernière, sera augmenté. Mais le fait qu'il n'ait pas encore signé sa prolongation peut être vu comme un moyen de pression sur ses dirigeants. Après la vague de départs (Gignac, Ayew, Morel, Payet, Imbula et Fanni, qui n'a toujours pas prolongé), Labrune est conscient maintenant qu'il doit lui donner des garanties sportives dans les prochains jours. Son coach aimerait un groupe au complet à son retour. Ce ne sera pas le cas. En même temps, la situation de flou qu'il entretient sur son avenir n'aide pas dans les discussions sur certains dossiers. Les arrivées définitives de Lucas Ocampos et du défenseur Karim Rekik (Manchester City, voir par ailleurs) devraient le rassurer sur la bonne volonté de ses dirigeants.
POURQUOI SES DIRIGEANTS LE LAISSENT-ILS FAIRE ?
Parce que le vrai maître à bord, c'est lui. Alors que son avenir était encore plus flou, même sa patronne, Margarita Louis-Dreyfus, était venue lui faire des courbettes en avril dernier pour lui demander de rester une saison de plus. La démarche a touché Bielsa, comme il l'a avoué, sans pour autant le faire dévier de sa ligne de conduite : il veut tout maîtriser et ne rien se laisser imposer. Depuis les premières négociations entre lui et le club phocéen, en avril 2014, l'Argentin dicte le timing. La seule fois où il s'est laissé déborder, le jour de l'arrivée de Matheus Doria, un joueur dont il ne voulait pas, l'OM a compris le sens de son surnom, el Loco. Sa colère, lors de la fameuse conférence de presse du 4 septembre dernier, avait valeur d'avertissement. Depuis cet épisode, plane la menace d'un départ précipité à la moindre contrariété. Bielsa sait en jouer pour obtenir ce qu'il veut. Ce scénario serait une catastrophe pour l'image du club et pour Labrune, alors que la majorité des supporters voue un culte immense au personnage. Lors des nombreuses réunions depuis le mois de mai, le président marseillais a dit oui à toutes ses exigences, que ce soit en termes de salaire ou de recrutement, où le club s'active exclusivement sur des joueurs faisant partie de la liste transmise par l'Argentin. Mais ce dernier n'est pas fermé non plus. Il a compris les difficultés financières du club et ne s'est opposé à aucun départ pour l'instant, même ceux qui n'étaient pas forcement prévus à la base (Payet).
COMMENT SON ABSENCE EST-ELLE PERÇUE À L'OM ET À L'EXTÉRIEUR ?
En Espagne, où ils sont en stage jusqu'à aujourd'hui, on ne peut pas dire que les Marseillais soient très préoccupés par le sujet. L'absence de Bielsa n'empêche personne de travailler et de dormir. Surtout pas les joueurs, qui s'entraînent consciencieusement matin et soir, selon le programme concocté par l'Argentin et ses adjoints. On est donc loin de l'autogestion. En son absence, son véritable relais dans le staff est son préparateur physique, Jan Van Winckel. Accompagné de Pieter Jacobs, un nouvel adjoint, on peut le voir travailler ses données très tard sur son ordinateur. Tous les soirs vers 23 heures, une réunion, conduite par le Belge, a lieu avec l'ensemble du staff pour débriefer la journée et préparer la suivante. Franck Passi s'est aussi investi en rencontrant les joueurs un à un, pour des entretiens informels. Le retour du big boss est prévu en fin de semaine ou au début de la semaine prochaine quand son groupe, privé jusqu'au 6 juillet de ses internationaux (Mandanda, Nkoulou), sera au complet. En attendant, son absence fait beaucoup parler à l'extérieur. « C'est comme si vous faites une rentrée des classes et que vous n'avez pas la prof », a déclaré José Anigo, l'ancien directeur sportif du club marseillais, aujourd'hui entraîneur de l'Espérance Tunis. Rolland Courbis, son meilleur « ami » chez les entraîneurs français, n'a pas manqué non plus de glisser une petite pique sur le sujet avant-hier, lors de la reprise de Montpellier. Cette saison, Bielsa va encore faire beaucoup parler la Ligue 1.
Le Chili en parle tout le temps
Le souvenir de Marcelo Bielsa est encore vivace en pleine Copa America, tant son travail avec l'équipe nationale (2007-2011) a modifié les mentalités.
DEPUIS presque trois semaines, chaque soir de victoire chilienne, des milliers de supporters se retrouvent Plaza Italia, en plein coeur de Santiago. La Roja est célébrée, Eduardo Vargas, Alexis Sanchez ou Arturo Vidal acclamés mais, de temps en temps, surgit un maillot floqué Bielsa, ou un drapeau à la gloire de « San Marcelo ». Ici, personne n'a oublié le passage de l'Argentin au Chili, dont il fut sélectionneur d'août 2007 à février 2011. Au-delà des résultats (qualification pour la Coupe du monde 2010 et défaite en 8es de finale contre le Brésil, 0-3), Bielsa a changé les mentalités et la façon de travailler des internationaux. Fidèle à sa légende, il connaissait les moindres faits et gestes d'une centaine de joueurs locaux avant d'accepter de signer son contrat, comme le rappelle Harold Mayne-Nicholls, alors à la tête de la Fédération chilienne (ANFP), qui négocia son arrivée. « On est arrivés chez lui à Rosario vers minuit, et on a discuté jusqu'à trois heures et demie du matin, raconte-t-il. Il savait absolument tout ce qui se passait dans notre football, c'était sidérant. Au moment de se souhaiter bonne nuit, il nous donne rendez-vous au lendemain, 8 heures. On lui a fait remarquer que ça faisait un peu juste. Il a dit, O.K., 8 h 45 alors ! » Domicilié au centre d'entraînement Juan Pinto Duran, le Clairefontaine chilien, qu'il fait rénover en profondeur, Bielsa impose vite sa méthode et son exigence. Un passionnant documentaire, Ojos rojos (les Yeux rouges), aisément visible en ligne, retrace la campagne qualificative pour le Mondial sud-africain. Le Chili impressionne par son jeu et son audace, et Bielsa par son emprise sur son groupe. Le pays l'adopte, malgré son mutisme légendaire. Fin 2010, en conflit avec ses nouveaux dirigeants à l'ANFP, il laisse entendre que son départ est inéluctable, et il l'officialise en février 2011. « Je considère les trois ans passés ici comme un cadeau de la vie, explique-t-il, au bord des larmes. Je suis fier et reconnaissant d'avoir vécu sur cette terre. Je sais pertinemment que je suis le grand perdant de cette affaire. Je tiens à remercier du fond du coeur les footballeurs et le peuple chilien. »
SON ANCIEN ADJOINT : « C'EST QUELQU'UN DE TRÈS SPÉCIAL, OUI, MAIS IL N'A ABSOLUMENT RIEN D'UN FOU »
Claudio Borghi, son successeur à la tête de la Roja (2011-12), s'agaçait d'être toujours comparé à Bielsa et de voir son travail peu considéré, pas forcément à tort. Nommé en 2012 et toujours en poste, Jorge Sampaoli est lui un « Bielsista » de la première heure, au point qu'il y a quelques années, il écoutait pendant ses joggings des conférences de presse de Bielsa. « La Roja actuelle doit-elle beaucoup à Marcelo ? Tout est relatif, pondère Mayne-Nicholls. N'enlevons pas à Sampaoli le mérite de son travail. Il est de la même école de pensée mais, tactiquement, l'équipe a pas mal évolué. En revanche, ce qui est sûr, c'est que l'héritage de Bielsa est palpable dans l'état d'esprit des joueurs. Ils n'ont plus peur de personne. »
Consultant pour une télévision chilienne, Luis Bonini, adjoint argentin et préparateur physique de Bielsa pendant vingt et un ans et notamment avec la Roja, suit de près son mentor à Marseille. « C'est une idole aussi là-bas, non ? Il laissera une trace très forte, comme partout où il est passé. Ici, il a généré une adhésion incroyable. C'est quelqu'un de très spécial, oui, mais il n'a absolument rien d'un fou. C'est d'abord un homme très éduqué, et qui donne absolument tout pour son club ou sa sélection. »
Auteur d'un récent livre sur les subtilités tactiques de Bielsa (los 11 caminos al gol, éditions Sudamericana), le journaliste chilien Eduardo Rojas assure que l'héritage de l'entraîneur argentin dépasse de loin le cadre du terrain. « Quand on voit l'affaire Vidal (*), aussitôt les Chiliens pensent à ce qu'aurait fait Marcelo dans cette situation. Son héritage, c'est aussi de savoir qu'on ne peut pas gagner à n'importe quel prix. » Mayne-Nicholls abonde. « J'ai vu ce qu'il a laissé comme trace à Rosario, au Mexique, à Bilbao, et ici c'est pareil. Ça dépasse les résultats, la tactique. Quand son équipe joue, elle transmet des principes, des valeurs, explique l'ex-président de l'ANFP. Marcelo n'est jamais revenu au Chili depuis son départ en 2011. Mais dès qu'il se passe quelque chose d'important dans ce pays, et je ne parle pas seulement de foot, tout le monde se demande, “mais comment aurait réagi Bielsa ?”. Ça situe la portée de son action.
En Argentine, une empreinte indélébile
L'ancien sélectionneur national (1998-2004) n'a jamais cessé de susciter l'admiration de ses compatriotes.
« VOUS N'IMAGINEZ PAS le degré de folie que Bielsa génère ici. Il ne se passe pas un jour sans que j'entende parler de lui, de l'héritage qu'il a laissé à Newell's ou de ce qu'il réalise à Marseille. Plus les années passent et plus il devient une légende. Quand les gens le croisent, ils se comportent comme s'ils se retrouvaient face à une divinité. » Dirigeant de Newell's Old Boys, Armando Garrido ne tarit pas d'éloges sur le technicien, qu'il fréquente depuis ses débuts sur le banc des équipes de jeunes du club. Cette saison, les supporters de NOB n'ont pas manqué une rencontre de « l'Olympique », le seul qui vaille à leurs yeux, comme s'il s'agissait du FC Marcelo Bielsa. Tous rêvent qu'un jour celui-ci vienne se rasseoir sur le banc du stade qui porte désormais son nom. En toute discrétion, le coach argentin a financé la construction d'un hôtel au sein du complexe sportif de Bella Vista, à hauteur de 1,6 M€. Le bâtiment, où le Newell's Old Boys dirigé par l'ex-Monégasque Lucas Bernardi effectuera ses mises au vert, sera inauguré en fin d'année. Sa philosophie de jeu, son intransigeance et son humanité ont marqué à jamais ses compatriotes.
« C'est sans doute l'entraîneur le plus compétitif et le plus passionné que j'aie connu, estime le journaliste Ezequiel Fernandez Moore. C'est un véritable amateur de football dans un monde de millionnaires. Il aime le club qu'il dirige et le défend plus que quiconque, ce qui le rend sympathique pour les supporters. Il démontre au quotidien qu'il est plus fou qu'eux. »
Pour ceux qui ont suivi la carrière espagnole de l'actuel entraîneur de l'OM, il jouit toujours d'une grande popularité au-delà des Pyrénées.
PLUS D'UN AN après son départ de Bilbao, la presse espagnole a continué de suivre la carrière de Marcelo Bielsa, la saison dernière, dans un Championnat, la Ligue 1, qui ne passionne pourtant pas au-delà des Pyrénées. Mais Bielsa a marqué les esprits, pour ses deux saisons sur le banc de l'Athletic plus que pour son éphémère passage à la tête de l'Espanyol Barcelone, en 1998, juste avant de prendre les rênes de la sélection argentine.
Comme à l'OM, la connexion entre Bielsa et le public de San Mamés est l'un des traits les plus marquants de son mandat à Bilbao. Le 5 juin 2013, lors de la cérémonie organisée pour les adieux au vieux stade San Mamés, les supporters basques chantaient encore « Bielsa quédate » (Bielsa reste), alors que son départ était acté. « S'il revenait, les gens d'ici seraient enchantés », assure Arkaitz Aramendia, qui suit l'Athletic pour le journal basque Deia. Les supporters, chez lesquels le souvenir des deux finales (Ligue Europa et Coupe du Roi) du printemps 2012 est encore vif, sans doute, mais, au club, c'est moins sûr. Deux ans de relations intenses et parfois orageuses avaient épuisé les dirigeants. Au début de sa seconde saison, Bielsa s'en était ainsi pris publiquement, dans une conférence de presse d'une heure, un épais dossier sous le bras, à l'entreprise chargée des travaux de rénovation du centre d'entraînement et, indirectement, à la direction du club. « Le président l'avait convoqué pour une réunion qui aurait pu se terminer par son limogeage ou sa démission, raconte Aramendia. Mais les supporters, les deux finales et la qualité du jeu de l'équipe le protégeaient. » Chez les joueurs, qui disent toujours du bien de lui aujourd'hui, la lassitude fut patente lors de la seconde saison, passée dans le bas du tableau et terminée à la 12e place. Pour le remplacer, le président, Josu Urrutia, avait alors fait appel à un entraîneur plus souple, Ernesto Valverde, avec lequel l'Athletic vient de terminer 4e puis 7e de Liga. L