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OM : Marcelo Bielsa, "c'est le Che Guevara du football"
Pour Omar Da Fonseca, Marcelo Bielsa est le "Che Guevara du football".
Il le revoit en train de faire un footing, lentement, sur une petite piste située derrière l'hôtel où l'Albiceleste séjournait, à Maracaibo, au Vénézuela. L'anecdote remonte au début des années 2000, mais Omar Da Fonseca, aujourd'hui consultant pour beIN Sports, s'en souvient comme si c'était hier. "C'était l'après-midi. Il faisait chaud et humide, raconte l'ancien international argentin. Il devait faire 45 degrés, ses joueurs se reposaient et lui était là, tout seul. Il transpirait comme un saucisson dans une boîte à gants ! Il suait. Je ne sais pas trop si il courait en fait. Comme il est un peu enveloppé, il marchait plutôt..." L'ex-attaquant du PSG, Monaco et Toulouse (entre autres) pourrait passer des heures à parler de Marcelo Bielsa, un technicien qu'il apprécie tout particulièrement. Un entraîneur à part, "un personnage, qui met toujours en avant le côté collectif du football". Décryptage.
Le personnage : "Il ne vend pas de la fumée"
"Marcelo ne vit pas dans la parano, comme beaucoup trop d'entraîneurs à mon goût. Il n'a pas peur de ce que peuvent dire les autres. Il a toujours le recul nécessaire. Pour lui, le plus important, c'est le public. Et les seules personnes qu'il faut satisfaire, ce sont les spectateurs ! C'est un mec passionné, même s'il vient d'un milieu aisé. Son frère (Rafael, ancien ministre des affaires étrangères de l'Argentine, ndlr) est très reconnu. Il a une culture, il a été à l'école, il a toujours côtoyé la société éduquée, dans un pays où la différence des classes était encore beaucoup plus marquée à notre époque. Il garde constamment en tête les valeurs de la vie. Je l'ai toujours dit : c'est "le Che Guevara du football" ! Ce n'est pas quelqu'un qui va vendre de la fumée. Il a des concepts, des références, il donne des explications. Parfois, il fait des phrases un peu bizarres, mais je l'aime beaucoup. Quand il parle, on dirait qu'il est électrique, il s'applique, mais il va vite. Il donne l'impression de tout faire différemment des autres. En match, c'est un gueulard, un mec qui fait les cent pas. À l'entraînement, il hurle, je ne sais pas comment il va faire pour le français. Il faut qu'il apprenne un peu la langue, parce que, parfois, il lance de ces phrases ! Quand il était en Argentine, il mettait souvent en avant les valeurs de la famille, les privilèges..."
Ses équipes : "Elles véhiculent des émotions"
"Il préconise un football avec de l'ambition, de la générosité, du mouvement. Pour lui, c'est très clair : ce n'est pas parce qu'un arrière latéral se retrouve dans une position d'avant-centre ou d'ailier qu'il ne doit pas savoir dribbler ou centrer. À Bilbao, il avait un joueur qui s'appelait De Marcos. Il le faisait jouer arrière latéral, milieu offensif... Comme Matias Fernandez, le petit Chilien (qu'il a dirigé en sélection, ndlr). Il aime ce style de joueurs qui ont une polyvalence et une activité telles qu'ils peuvent jouer dans des positions différentes. Il n'y aura jamais deux lignes de quatre et deux mecs devant. Hors de question... Il veut qu'il y ait du surnombre, que les joueurs viennent de l'arrière. Ses équipes pratiquent un football dynamique, on a l'impression que les mecs courent plus, qu'ils n'ont aucune retenue. Les latéraux montent cinquante fois par match ! À Bilbao, pendant deux ans, le public ne s'est jamais ennuyé. En Ligue 1, une équipe peut marquer seulement quarante buts et finir dans les cinq premiers. Ailleurs, ça n'arrive pas. Quand j'entends que le plus important, c'est de ne pas encaisser de but... En Argentine, si un entraîneur dit ça, on lui retourne la bagnole ! Le football doit véhiculer des émotions. C'est le cas des équipes de Bielsa. Quand il va perdre 3-0, il dira qu'il s'est trompé, qu'il aurait dû faire un changement avant... Il se remet en cause, il sait faire son autocritique. En France, je n'ai jamais vu ça."
Ses adjoints : "Il se met à leur hauteur"
"Il en a toujours deux ou trois, comme Claudio Vivas et Diego Reyes. Ce sont des serviteurs, mais il se met toujours à leur hauteur. Ils sont tous dans la même équipe. Ils commencent à 8 h et sont toujours là à 22 h... Ils regardent des matches, des vidéos, ils ont leurs ordinateurs portables, ils expliquent toutes les actions, montrent par exemple aux joueurs la façon dont il faut se rendre disponible pour créer le surnombre."
Ses choix : "Pour lui, tout le monde est égal"
"Souvent, à égalité de condition technique, il va toujours faire prévaloir le joueur qui fait plus d'efforts physiques, qui sait quand c'est quand c'est le bon moment pour aller au bon endroit... À Bilbao, il aimait bien Toquero, qui était une espèce de roue de secours pour l'attaquant, un joueur un peu rustre, mais qui avale des espaces, qui propose des appels... Quand Bielsa est arrivé, il a aussi dit d'entrée à Javi Martinez (aujourd'hui au Bayern Munich) : "Toi, tu ne joueras pas milieu". Pour lui, le milieu doit être dynamique, avoir une rapidité de transmission et de déplacement. Un joueur comme Javi Martinez est très bon techniquement, mais il lui a fait comprendre qu'il l'utiliserait en défense centrale, alors qu'il venait d'être champion du monde. Il met en avant le côté collectif, il préfère qu'il n'y ait pas de vedette. Les mecs qui ont trop d'importance, ça ne lui plaît pas. Pour lui, tout le monde est égal."
Ses entraînements : "Pas de demi-mesure"
"Ce n'est pas lui qui s'adapte aux joueurs, ce sont eux qui sont obligés de s'adapter à lui... Il ne fait pas dans la demi-mesure. Il donne les conditions : on s'entraîne le matin, 2 h ou 2h30, on fait la sieste, et on attaque à nouveau l'après-midi. Il oblige les joueurs à regarder leurs matches, tous ensemble, quand ils partent au vert. Il ne veut pas qu'ils se retrouvent dans les chambres, parce qu'il dit qu'ils téléphonent ou qu'ils jouent à la Playstation. Il leur donne une feuille et chacun doit choisir le meilleur joueur, la meilleure action... Il les implique tout le temps. Il a un côté scientifique, il étudie, il est au courant de tout concernant ses joueurs, leur date de naissance, leur parcours, leur poids, il sait lors de quels matches ils ont marqué... Il connaît leurs aspects morphologiques. Quand il était en Argentine, il pouvait dire : "Lui, il frappe ainsi parce que son muscle est comme ça". Dans les conférences de presse, tout le monde le prenait pour un fou ! Il valorise ses joueurs, repère leurs points forts, leurs points faibles. S'il voit que Dja Djédjé, par exemple, doit progresser sur les centres, il lui dira : "Toi, tu viendras l'après-midi faire 300 centres !" S'il trouve que Morel doit s'améliorer en défense, il lui fera faire des tacles, des un-contre-un... C'est un mec précis."