Galtier, ascension maîtrisée (Bernard Lions, L'Equipe, 28.04.2013)
Longtemps catalogué adjoint, l'entraîneur stéphanois s'est imposé comme numéro 1 grâce à sa force de travail. Mais aussi à une gestion habile à tous les niveaux.
Saint-Etienne - de notre envoyé spécial (Bernard Lions)
A 46 ans, Christophe Galtier a gagné sa place à la table des grands. Cet automne, au sortir de sa victoire de prestige à Paris (2-1, le 3 novembre), il a été un des rares entraîneurs français invités par Carlo Ancelotti dans son vestiaire. Etre adoubé par ses pairs est devenu son quotidien depuis 3 ans. Quand il n'entraîne pas, cet homme habité du goût des autres échange, d'égal à égal, avec Laurent Blanc ou Didier Deschamps. "J'aime bien parler avec lui car il est à l'écoute et c'est en toute confiance, confie l'actuel sélectionneur des Bleus. "Galette saucisse" est comme moi : il emmagasine, conscient que personne n'a la science infuse. Je ne suis donc pas son mentor et il ne prend pas tout ce que je lui dis comme parole d'Evangile."
Galtier se nourrit auprès des siens. "Et il me bluffe", lâche Jean-Pierre Bernès, son ancien professeur d'anglais au centre de formation de l'OM en 1982, devenu son agent et surtout, son ami. "Jamais, je n'aurais pensé qu'il puisse devenir entraîneur. Deschamps, Battles ou Pedretti (ont Bernès est aussi l'agent), oui. Mais lui..."
Pendant 10 ans, il a tenu le rôle de second auprès de Bernard Casoni, Abel Braga et Javier Clemente à Marseille (décembre 1999-avril 2001), de Gérard Gili à Bastia (2002-2004), d'Alain Perrin enfin, de juin 2004 au 15 décembre 2009, date à laquelle il lui a succédé à Saint-Etienne avec son accord. "Un soir, à Sochaux, on avait évoqué cette possibilité qu'il devienne numéro 1, raconte Alain Perrin. Mais il n'était pas encore prêt. Là, il commençait à avoir envie. Et c'est l'occasion qui a fait le larron. Romeyer (Roland, le président du directoire de l'ASSE) a imposé Christophe pour un intérim avec la chance que, peut-être, il dure." Bernard Caïazzo, le président du conseil de surveillance, lui préférait Luis Fernandez. Mais l'ASSE était bloquée par les indemnités de licenciement à verser à Alain Perrin.
Bernès, également agent de Perrin, a alors proposé un deal au club : tant que Galtier n'aurait pas fait ses preuves comme numéro 1, il garderait son salaire d'adjoint. Après avoir sauvé les Verts de la relégation en mai 2010, Galtier a même renoncé à ses primes de maintien. Il a demandé à ce qu'elles soient reversées au personnel de L'Etrat, le siège de l'ASSE.
"Christophe n'est ni un courtisan ni un homme d'argent", se félicite encore Caïazzo avec des arguments à lui : "C'est un homme, un vrai. Quand les mecs du Sud sont bons, ils sont très bons. Ils ont souvent de l'imagination mais ils ne sont pas rigoureux et travailleurs comme ceux du Nord. Lui a les 2 qualités."
Il est parfois même trop impliqué, aux dires de ses proches. "Il a pris la dimension du métier, qui exige beaucoup de temps et de sacrifices", l'excuse Bernès. Au point de vivre seul dans un appartement de la Cité du design, à côté du stade Geoffroy-Guichard quand sa femme, Régine, qui partage sa vie entre Toulouse et Marseille, n'est pas avec lui.
Mais Galtier s'entoure au quotidien d'un staff qu'il veut proche de lui. Si ce n'est pas le cas, il se sépare de ses seconds. Ce fut le cas d'Albert Rust, l'entraîneur des gardiens, avant le match à Bastia (3-0, le 1er septembre 2012). Fabrice Grange, avec qui Galtier a terminé sa carrière de joueur au Liaoning Fushun, en Chine, en 1999, l'a aussitôt remplacé.
Parfois, l'entraîneur stéphanois ne fait pas de sentiments. "Il est capable d'être à la fois humain et dur dans son management, observe Deschamps. C'est le reflet de son caractère." Et le secret de sa réussite dans le Forez, où il a imposé les petits déjeuners en commun à ses joueurs. Il gère la caisse des amendes et veille au respect de la discipline. Il n'est pas rare d'entendre sa voix claquer sur la plaine de L'Etrat quand un de ses joueurs tarde trop dans le froid après un entraînement.
"Avec son caractère convivial et de gagneur, il a su prendre de la distance et trouver un équilibre", apprécie Alain Perrin. "Habile communiquant, mais pas manipulateur" (Caïazzo), il orchestre les temps de passage devant les médias. Homme de réseaux, il maîtrise la coulisse du football. Cela l'aide à connaître l'homme qui se cache derrière le joueur. Galtier n'a pas hésité à écarter Mustapha Bayal, Sylvain Monsoreau et Boubacar Sanogo la saison passée. En juin, il a annoncé droit dans les yeux à Albin Ebondo qu'il cherchait un joueur confirmé à son poste de latéral droit. Ce dernier a aussitôt résilié son contrat. Il n'en a pas retrouvé depuis. Relégué sur le banc après l'arrivée de Stéphane Ruffier, l'emblématique Jérémy Janot est parti en exil au Mans (L2) et a quitté un vestiaire que Galtier a érigé en sanctuaire. La séparation physique des bâtiments administratifs et sportifs, à L'Etrat, l'y aide. "Le patron des joueurs, c'est Galtier, et personne d'autre", résume Caïazzo, à propos d'un entraîneur prolongé de 3 ans le 16 décembre 2010 (jusqu'en 2014).
Désormais roi en son royaume, "Galette" sait aussi se faire apprécier de ses sujets. "Il a pigé que le football, c'est donnant-donnant", explique Bernès. "Pour être respecté et aimé des joueurs, il faut d'abord les respecter et les aimer." Galtier s'y attache en leur offrant un maximum de liberté dans le cadre fixé. Il dispense ses joueurs de mise au vert et refuse désormais de les expédier en CFA. Avant un match, il préfère aller discuter dans les loges plutôt que de squatter le vestiaire, où la musique remplace ses discours. Après avoir autorisé une virée en karting, il a figuré dans la première scène du Harlem Shake stéphanois. Pourquoi ? "Parce que si c'est un passionné de football, il a besoin de vivre heureux, répond Caïazzo. C'est le but de sa vie."
Charmeur, volontiers chambreur, Galtier sait qu'une vie en harmonie facilite la réussite. Loïc Perrin, son capitaine, confirme : "Avec cette proximité, il maintient tout le monde concerné et cela plaît. Il fait en sorte que tous les joueurs soient bien." Deschamps rappelle : "Il est très important aujourd'hui d'avoir le sens du dialogue et de savoir créer des relations de confiance. "Galette" a également appris que quand ça va bien, ça ne va pas très bien et que quand ça va mal, ça ne va pas très mal."
Il l'a été à ses débuts d'adjoint. Coupable d'avoir agressé l'Argentin Gallardo à la mi-temps de Marseille-Monaco (4-2, le 7 avril 2000), il avait été condamné à 6 mois de suspension. "Cette histoire l'a profondément marqué, confie Bernès. Si elle appartient à son passé, il a toujours ce petit truc dans la tête." Il le pousse depuis à réfréner son esprit sanguin et à reconnaître ses erreurs. C'est ce qu'il a fait au soir de la 2e défaite en 2 journées à Toulouse (1-2, le 18 août) (*).
"Il a été le 1er à se remettre en question, se souvient Loïc Perrin. Très peu d'entraîneurs auraient fait ça. On a apprécié. Puis, il nous a demandé notre avis sur tout et n'importe quoi. Il a bien senti qu'on était un groupe qui a besoin d'affection. Il a modifié sa façon d'agir." Sa démarche a servi d'acte fondateur dans la saison des Verts.
Sa proximité s'accorde avec son caractère pédagogue. Aubameyang confirme : "Quand il m'a demandé de passer à droite pour permettre à Brandao de jouer dans l'axe, j'aurais pu me braquer, c'est sûr. Mais il m'a expliqué son raisonnement. Et il a eu raison. La preuve : ça marche."
Galtier est prêt à tout pour réussir : accepter qu'Aubameyang s'entraîne avec Willy, un de ses deux frères aînés, comme assouplir ses convictions. Après avoir écarté Bayal un an durant, il l'a réintégré pour en faire un titulaire. Le Sénégalais avait pourtant tenu des mots très durs à son égard lors de son prêt forcé à Nancy (janvier-juin 2012). Cyclothymique Galtier ? Pragmatique avant tout.
"Le Marseillais devenu Stéphanois" (dixit Romeyer) a aussi réussi dans le Forez parce qu'il a su s'imprégner des valeurs locales. Il a renoué avec la tradition de club formateur en lançant Ghoulam, Guilavogui, Néry ou Zouma, tous devenus internationaux. "Parce qu'il aime les Verts, le club de sa génération", glisse Bernès. Là où Laurent Roussey, un de ses prédécesseurs (2007-novembre 2008) et pourtant ancien joueur formé au club, s'est égaré à vouloir balayer l'héritage des Verts, lui y puise une force.
Plutôt que de demander aux vigiles de L'Etrat d'écarter Robert Herbin (74 ans), - avec lequel l'ASSE a gagné 15 de ses 17 titres majeurs -, Galtier s'en est rapproché. Il se nourrit de ses critiques, le vouvoie et appelle "M. Herbin" celui qui a bercé son enfance à la télé. Ce respect des anciens l'a également conduit à demander à Dominique Rocheteau, l'ange vert devenu coordinateur sportif du club, de rester à ses côtés avant la finale de la Coupe de la Ligue (1-0 devant Rennes, samedi dernier). Il l'a préparée en pesant ses mots, aidé par un spécialiste de la communication et par la présence d'Alain Michel dit "Puce", son ami d'enfance des Caillols.
Une fois son premier trophée d'entraîneur gagné, il est allé partager la Coupe avec tous les salariés du club. Mais il a gardé le maillot de Beckham qu'Ancelotti lui a offert le 17 mars, à l'issue du nul (2-2) obtenu à Geoffroy-Guichard.
Bernard Lions
(*) Il avait notamment déclaré : "Le seul constat que je peux faire ce soir, c'est que je me suis trompé."
Christophe Galtier
46 ans
Né le 28 août 1966, à Marseille
Carrière de joueur (défenseur) : Marseille (1985-1987), Lille (1987-1990), Toulouse (1990-1993), Angers (1993-1994), Nîmes (D2, 1994-janvier 1995), Marseille (D2 et D1, juillet 1995-1997), Monza (Série B, 1997-1998), Lianing Yuandong (CHN, mars-août 1999)
Palmarès de joueur - Vainqueur : Championnat d'Europe Espoirs 1988.
Parcours d'entraîneur : Marseille (adjoint équipe B, juillet-novembre 1999 ; adjoint, décembre 1999-avril 2001), Aris Salonique (GRE, adjoint, novembre 2001-février 2002), Bastia (adjoint, 2002-2004), Al-Aïn (EAU, adjoint, juin-octobre 2004), Portsmouth (ANG, adjoint, avril-novembre 2005), Sochaux (adjoint, 2006-2007), Lyon (adjoint, 2007-2008), Saint-Etienne (adjoint, novembre 2008-décembre 2009 ; entraîneur principal depuis décembre 2009).
Palmarès en tant qu'entraîneur principal - Vainqueur : Coupe de la Ligue 2013.