Aliadière : "Dans mon esprit, je suis anglais" (Patrick Dessault, FF, 19.02.2013)
Après Arsène Wenger, l'ex-Gunner est le Français qui a passé le + de temps en Angleterre avant de signer à Lorient. Il témoigne donc en connaissance de cause.
"Je devais cirer les pompes de Suker"
"En 1999, quand j'ai débarqué à Arsenal, je disais bonjour à tout le monde en serrant la main. Ca ne se fait pas là-bas et, rétrospectivement, quelle honte ! J'ai certainement eu l'air con quand je montais dans le bus et que je tendais la main, j'entendais les gars rigoler dans mon dos. A Clairefontaine, c'est le 1er truc que j'ai appris. En Angleterre, ça ne se fait pas. On se dit juste morning. En France, les jeunes ne cirent pas les chaussures des joueurs de l'équipe première, eh bien, à Arsenal, si. Du moins, à mon époque. Quand je suis entré dans le vestiaire, il y avait mon nom et, à côté, 3 autres noms dont celui du Croate Davor Suker. Avec mes 2 bouts d'anglais, j'ai demandé ce que cela signifiait et on m'a dit que je devais leur cirer les pompes après chaque entraînement. Heureusement, Davor n'aimait pas que quelqu'un d'autre le fasse à sa place. Autre chose m'a marqué : la 1ere saison, comme j'avais 16 ans, je ne m'entraînais pas avec les pros, et quand j'ai vu qu'en octobre, novembre, on se préparait toujours en short et tee-shirt, j'avais froid. Pas de gant, pas de bonnet, pas de sweet, pas de doudoune ou de bas de survêtement j'en piuvais plus, et comme je suis frileux... Les pros, eux, étaient bien couverts. J'ai demandé à mon agent d'appeler Wenger pour lui dire que ça n'allait pas. Ce n'était pas un caprice, juste une nécessité, mais c'était une forme d'éducation "à la dure" et à l'anglaise des jeunes. Aujourd'hui, c'est terminé."
"Des fois, je me suis demandé où j'étais !"
"En dehors du foot, j'avais ma structure française avec mes grands-parents ; en fait, ils ne sont restés que 6 mois avec moi, car ils ne se sont pas acclimatés. Après, je me suis démerdé, même si je n'étais pas censé rester tout seul. Je ne l'ai dit à personne. Bien sûr, mes parents, qui étaient au courant, étaient un peu inquiets. Tout seul, dans une grande ville comme Londres ! Au départ, j'ai eu du mal, car je ne parlais pas la langue. J'étais très timide quand j'étais jeune, méfiant et à la limite du sauvage ! Des fois, je me suis demandé où j'étais. Peu d'échange ou pas. C'est sur le terrain que l'apprentissage s'est fait. Comme j'y marquais 3 ou 4 buts en jeunes, chaque week-end, ç'a aidé le rapprochement."
"L'an dernier, je me sentais comme un étranger !"
"La mentalité anglaise m'a séduit d'entrée. Tu ne te sens jamais regardé, épié. Tu peux avoir un truc jaune fluo sur la tête, personne ne va y faire attention et surtout tu ne seras pas jugé. J'ai plein de tatouages sur le corps, mais jamais je n'en auras eu en restant en France. Avec mon esprit étriqué de Français, c'est inimaginable. A Paris, pourtant ouvert à beaucoup de cultures, il suffit que je porte un vêtement qui sorte de l'ordinaire pour qu'on se retourne sur moi ou mon épouse, anglaise. A Londres, personne ne fait attention à nous, pourtant on n'est pas du tout excentriques, mais on n'est simplement pas comme les autres. Alors, oui, dans mon esprit, je suis anglais ; à la limite, en France, je me sens comme étranger, même si j'ai retrouvé mes repères de Français de souche. L'Angleterre me manque, c'est mon pays. J'ai envie de rentrer chez moi, à Londres, ma résidence principale, et le dimanche, je regarde les matches anglais sur Sky Sport."
"Keown, les anciens me mettaient des taquets"
"Entre 1999 et aujourd'hui, le foot et son environnement en Angleterre ont évolué. Et pas forcément en bien. Le respect, par exemple, qui était une valeur essentielle à la fin des années 90, ne l'est plus tant que ça. Les jeunes, moi, en l'occurence, nous vénérions les joueurs de l'équipe première. J'avais une boule dans le ventre rien qu'à l'idée de les voir, de les côtoyer, de leur dire bonjour et, bien sûr, d'être leur coéquipier en Premier League. Quand le boss de la réserve venait me voir et me disait qu'aujourd'hui j'allais m'entraîneur avec les pros, sous les ordres d'Arsène, avec Dennis Bergkamp ou le défenseur Keown, c'était l'angoisse assurée. Contre Keown au marquage, il me mettait des taquets pour m'apprendre le métier en Angleterre. J'ai été élevé à la dure. A la fin, j'étais le dernier à partir après avoir ramassé tous les ballons, porté tous les plots. Quand j'en parle avec Ludo (NDLR : Giuly), il me dit que c'était pareil pour lui, à Lyon. Mais c'était déjà dans un autre siècle. En revanche, plus tard, quand je suis devenu adulte et que je suis parti à Middlesborough, il n'y avait déjà plus ce respect-là vis-à-vis de l'ancien, il n'y avait rien à leur dire. En 6, 7 ans, c'est devenu différent. C'est la société qui a évolué très vite... Mais, globalement, je trouve qu'en Angleterre le respect est plus sensible qu'en France."
"L'odeur du sang se fait plus forte, tu te prends au jeu..."
"A l'INF Clairefontaine, la philosophie se résumait à "toi et le ballon", des passes, des bons contrôles, pas de pression, donc. Quand je me retrouve à Arsenal, c'est un autre monde. Direct, au premier entraînement, on m'a mis 2 tacles. C'est quoi ce foot ! C'est tout sauf une légende. Ce n'est pas pour t'impressionner, c'est simplement le foot anglais qui est comme ça. C'était ça, avant, c'est toujours ça, aujourd'hui. D'ailleurs, le public t'encourage à tacler, tu le sens dans sa respiration qui monte doucement. Car un stade respire et il t'encourage à tout prendre, la jambe, le ballon, le gazon. L'odeur du sang se fait plus forte et toi, tu te prends au jeu. Je m'y suis fait et j'aime ça. Quand le ballon est 50-50 entre 2 mecs, avec le public derrière toi, tu perds la tête et tu fonces. Tu deviens un con d'Anglais, tu n'y vas jamais pour blesser, simplement pour montrer que tu es le patron. C'est dur à faire entendre ça à un Français. C'est curieux, mais l'esprit anglais flotte là-desssus et même l'apport des étrangers n'y a rien changé. Même à Newcastle : ils auront beau recruter 30 Français, c'est cet esprit qui sera le + fort, car ce sont les supporters, eux, anglais, qui dictent le foot qu'ils aiment. Et pas un autre. On n'éduquera jamais ce public."
"Au début, à la cantine, je mangeais des sandwiches"
"Tu es obligé de te fondre dans la vie anglaise, à tous les niveaux. Maintenant, il y a des limites. La cantine du centre, quand je suis arrivé à Londres, c'était des sandwiches que tu faisais toi-même, avec du jus tiède. Aujourd'hui, c'est super à Colney. La 1ere saison, c'était encore une bouffe à l'anglaise. Désormais, il y a un chef, sous la direction de Wenger qui a développé cet aspect-là. La nutrition est devenue importante. En 1999, les Anglais mangeaient au MacDo du coin. La nourriture et la boisson demeure encore un problème. Même si les coaches étrangers et les grands clubs soulignent l'importance de la diététique, les jeunes continuent à aller au pub. A Londres, ça s'améliore, mais dans le nord de l'Angleterre, comme à Middlesbrough, où tout est + anglais, il y a moins de retenue, moins de barrière. Moi aussi je vais au pub, mais comme je n'aime pas l'alcool, je carbure au Coca. Ce sera long avant que les sportifs tirent un trait sur la bière. Les traditions demeurent, comme partout. Le Sunday Rost en famille en est une : moi, dans ma belle-famille, j'y ai droit. C'est du poulet dans leur sauce à eux. J'aime."
"J'ai appris le "fighting spirit"
"Cet engagement qu'il y avait quand je suis arrivé s'est adouci avec le foot + technique amené par les étrangers. Même les Anglais se sont rendu compte d'eux-mêmes qu'il en allait de leur intérêt. Mais l'un n'empêche pas l'autre, c'est même l'idéal. Moi, j'ai appris ce qu'on appelle le "fighting spirit". Le spectacle est devenu aussi moins primaire et le spectateur anglais apprécie cet aspect du foot du continent. J'adore cette approche. J'amène ça à Lorient, je ne lâche jamais. Se battre, aller presser l'adversaire, c'est devenu une seconde peau. Si je perds un ballon, c'est impossible que j'aille seulement me replacer. Je vais au pressing, je ne peux pas me désintéresser d'un ballon à 2 mètres de moi. J'ai appris cet état d'esprit assez vite, avec les jeunes du centre d'Arsenal. C'est LA base. Tu l'attrapes très vite, car il suffit de regarder tes coéquipiers. Tu es le seul à te replacer, il y a quelque chose qui cloche. En contrepartie, il y a une période d'agressivité à maîtriser. Ne pas tomber dans l'excès inverse, en faire trop. Se forcer à faire quelque chose peut te conduire à mal le faire."