En 300 pages, Pape Diouf, qui s'offre naturellement le beau rôle, distribue les bons et les mauvais points. Et surtout quelques uppercuts. Vincent Labrune et José Anigo sont des cibles de choix. Mais aussi des dirigeants passés ou actuels. Certains anciens confrères, devenus un temps les principaux observateurs de son travail, en prennent pour leur grade. En revanche, Robert et Margarita Louis-Dreyfus sont épargnés. L'introduction du livre est consacrée au jour de sa dernière rencontre avec RLD qui devait sceller son départ de l'OM. Une scène poignante.
Aucun dirigeant épargné
Mais quand Pape Diouf règle ses comptes, rares sont ceux qui échappent à la faucheuse. Antoine Veyrat ? Un personnage "insignifiant" et sans "aucune compétence dans aucun domaine" qui ne cessait d'aller "pleurer sous les jupes de son frère, Jacques," le patron du groupe Louis-Dreyfus. Il se souvient de l'ex-DG du club, Thierry De La Brosse avec "sa mesquinerie, sa manigance et sa stratégie". Et n'oublie aucun membre du conseil de surveillance : Saïd Fakhri "n'a jamais joué un rôle majeur", Pierre Dantin et Pierre-Edouard Berger n'ont "aucun influence notable", Regis Rebuffat "un avocat sans affaires à traiter qui ne va que là où ses intérêts personnels l'appellent" et Jean-Pierre Bechter "un béni oui-oui".
Parmi les joueurs, l'ex-boss a un mot pour Hatem Ben Arfa, "un incompris que je comprenais parfaitement", pour Franck Ribéry et "son côté attachant" mais surtout pour Bolo Zenden "le joueur qui m'a le plus impressionné dans son comportement". Diouf raconte qu'il fut choqué par "l'arrogance" d'Alain Boghossian alors qu'il était sa priorité pour succéder à Jean Fernandez en 2006. Il est savoureux d'apprendre que José Anigo militait pour la venue de Didier Deschamps en 2009.
"Bernard Tapie le plus grand président"
Diouf, qui relate sa version du départ d'Eric Gerets, l'arrivée de Didier Deschamps, ses relations avec les supporterts, n'oublie personne... Il rend hommage à son ancien bras droit Julien Fournier et à... Jean-Michel Aulas "l'un des présidents pour lesquels j'ai eu le plus de considération." Bernard Tapie qu'il a connu comme journaliste, agent puis dirigeant est selon lui "le plus grand président de l'histoire de l'OM, et de loin." Sa "seule erreur aura été de revenir à l'OM, en 2001. Bernard Tapie avait perdu la main. (...) Il était revenu par nostalgie plus que par conviction, et cette parenthèse a contribué à écorner le mythe."
Au fil des pages, Pape Diouf évoque aussi son enfance, ses liens très forts avec sa famille et l'Afrique. Son autobiographie est avant tout une ode à Marseille, une ville qu'il chérie tant qu'il n'a jamais voulu la quitter.
Sa dernière rencontre avec RLD
"Dans ce fauteuil de la maison de Zurich, on le voyait lutter contre la souffrance. (...) Je l'ai regardé dans les yeux sans rien pouvoir cacher de ma compassion ni de ma tristesse et j'ai seulement prononcé ces mots banals : "Robert, ça va quand même ?" Mais il a secoué la tête, et de sa voix faible, m'a répondu : "Là, c'est compliqué, maintenant... Je crois que c'est fini."
"J'étais venu pour débattre de l'avenir du club, arracher à son propriétaire un nouvel arbitrage, mais la faiblesse extrême dans laquelle la maladie l'avait plongé m'a ôté toute envie de parler de l'OM avec lui. Il n'avait plus la force de combattre ; je n'aurais pas eu l'indécence de le faire pour l'OM et encore moins pour moi-même."
Vincent Labrune
"C'est lui qui initiait les articles et les déclarations de Robert, parlant en son nom sans que l'intéressé ne lui demande. Je savais que ce bonhomme là était complètement en travers de moi et qu'il n'aurait de paix que le jour où il parviendrait à m'évincer."
"La bataille a été d'autant plus intense qu'il balançait toutes les informations, tous les mensonges, en se cachant derrière la mention "l'entourage de Robert Louis-Dreyfus". Il était la source unique et servait ses intérêts. Ce qu'on a appelé improprement une "science de la communication", à son sujet, n'était pour moi qu'une monumentale escroquerie morale, une profonde saloperie."
José Anigo
"Un jour de 2006, j'ai été convoqué chez Robert Louis-Dreyfus avec José Anigo. J'avais appris l'objet de cette convocation : des bruits parvenus à l'oreille de RLD laissaient entendre que le club était malfamé, gangrené par de mauvaises fréquentations et que José en était responsable. (...) J'ai vu RLD en premier, et il m'a annoncé qu'il voulait remercier José. J'ai répondu à Robert que nous travaillions très bien ensemble, que tout ce qu'on lui avait rapporté était faux, que José n'était pas celui que l'on dépeignait et que s'il se séparait de lui, il devrait se séparer également de moi parce que je ne pourrais pas rester. J'ai donc sauvé sa tête une première fois. Ce n'était pas la dernière."
"Je suis persuadé, aujourd'hui encore, que si José avait très clairement défendu notre travail d'ensemble et refusé de fissurer notre bloc, nos opposants auraient été dans l'impasse. Je pense qu'ils lui ont tourné la tête le soir même de mon éviction. Autant dire les choses clairement : on lui a proposé un salaire multiplié par deux et sans doute s'est-il dit que l'OM était sa vie."
Didier Drogba
"Je lui ai tendu une feuille de papier avec les chiffres en question (l'offre salariale de Chelsea). Son premier réflexe a été de pointer l'index sur la feuille en disant : "Pape, avec ces sommes-là, je ne peux pas rester, je suis obligé de partir..."
"J'en ai souvent discuté avec Didier. Je lui ai toujours dit qu'il ne gagnerait rien à revenir à l'OM. J'estime même qu'il mérite que cette mythologie du retour impossible reste intacte."
L'épisode Jack Kachkar
"Un jour, sur le papier, on avait constitué une équipe avec des joueurs comme Rooney, Cambiasso, Zanetti et bien d'autres grands noms du football européen. (...) Il demandait : "Combien il doit coûter celui-là ?" Je lançais : "Oh celui-là, au moins 20 millions d'euros..." Kachkar tranchait : "C'est bon, c'est bon." On aurait dû filmer la scène, vraiment. C'était irrésistible."
"Je suis quasiment convaincu qu'il était effectivement venu pour prendre le club, avec des gens derrière lui prêts à investir de l'argent à l'OM. (...) Les enquêtes sur lui, pendant cette période étrange, ont fait reculer les gens ou les capitaux douteux qui étaient derrière lui. Ils ont pris peur."
Christophe Bouchet
"Bouchet lui (ndlr : Robert Louis-Dreyfus) avait écrit à peu près : "Ce qui vous arrive aujourd'hui, Robert, vous ne le méritez pas, d'autant que c'est Pape Diouf, l'apprenti sorcier, qui est derrière tout ça, cherchant et suscitant toutes ces controverses contre vous." Quand j'ai lu ça, le téléphone a failli me tomber des mains et j'ai compris définitivement Christophe Bouchet. Je lui ai envoyé un message incendiaire. Je lui ai écrit que parler de saloperie en ce qui le concernait était un euphémisme, que son masque était tombé."