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"Anigo ? Son salaire a été multiplié par 2 pour le décider à rester et son contrat est passé à durée indeterminée. Ca peut aussi influencer..."
Diouf : "Si j'avais voulu, je serais encore en poste"
(FF, 05/03/2013, Pascal Ferré)
+ de 3 ans après son départ, l'ancien président de l'OM sort une autobiographie dans laquelle il règle, aussi, quelques comptes. Le prétexte pour écouter une voix dissonante du paysage footballistique actuel.
Pas facile d'amener le "Pape" à confesse. Au moment où sort sa biographie, on a pourtant tenté de percer la cuirasse de l'ancien président olympien qui, désormais, distille son savoir-faire et son faire savoir lors de conférences organisées aussi bien par l'Etat mauritanien, la ville de Lausanne que l'université de Bruxelles. Désormais en retrait du milieu, celui qui ne veut surtout "pas passer pour un grincheux ni un aigri" s'est posé pendant 2 heures pour la "Bible" du foot.
"- Pape Diouf, dans votre livre, vous avouez enfin...
(Un peu interloqué.) Ah bon ?
- Oui, à propos de votre indéfectible manie pour les circonvolutions sémantiques. "J'ai toujours fait en sorte d'exceller dans la langue de bois que j'essayais de rendre la + attrayante possible", écrivez-vous. Pourriez-vous pour une fois essayer de l'abandonner, l'espace de cet entretien ?
L'art de la langue de bois m'a seulement été imposé par les circonstances et mes responsabilités. Mais ça n'a jamais été une règle de conduite systématique chez moi. Je n'ai pas peur de faire mal, mais je ne cherche pas non + à chaque fois à faire mal.
- Tous milieux confondus, quels sont ceux qui maîtrisent le mieux cette langue de bois ?
C'est un art ancien que les politiques maîtrisent forcément. Comme il y en a beaucoup, je préfererais retenir un sportif qui n'est pas mal dans cet exercice, quelqu'un comme Didier Deschamps. Avec le sourire en +, il sait dire ce qu'il a envie de dire et taire ce qu'il veut.
- Voilà 3 ans et demi que vous êtes parti de l'OM, mais ce n'est que maintenant que sortent des histoires* remettant en cause votre probité. Finalement, n'êtes-vous pas surpris qu'il ait fallu attendre aussi longtemps pour ce genre de remise en cause de votre gouvernance (de 2005 à 2009) à la tête de l'OM ?
Ces écoutes portaient sur plein d'autres choses, mais les extraits qui ont fait le + de bruit, soit peut-être 2 % de l'ensemble, étaient ceux qui me concernaient. Mais il ne s'agissait pourtant que d'un tissu de crasseries, de saletés, de saloperies et d'insanités. D'autant + que l'auteur de ces propos-là, le directeur sportif de l'OM, sait quel souci de transparence et de probité m'animait ans ces dossiers-là avec Julien (Fournier). Il n'aurait d'ailleurs jamais osé faire ce type de déclarations dans le cadre d'un interrogatoire judiciaire.
- Les propos intriguent pourtant, forcément. Comment les expliquez-vous ?
J'en ai une idée. Ils ont été tenus le lendemain d'une intervention que j'avais faite sur le site lephoceen.fr et dans laquelle j'avais dit, après avoir reconnu ses mérites de directeur sportif, qu'il ne fallait peut-être pas confier à José Anigo les questions financières et économiques du club parce qu'on allait peut-être à la catastrophe. Ce propos l'avait vexé, au point donc de se demander pourquoi personne ne venait me demander des comptes à propos du transfert de Nasri... Pourtant, il sait que ce n'est jamais la peur du gendarme qui m'a guidé. Seulement des principes d'honnêteté. Je me souviens de ma 1ere rencontre avec Robert Louis-Dreyfus et d'une phrase que je lui avais dite : "Robert, pour le club, je prendrai tous les risques.... sauf un, le risque pénal !" J'ai toujours recherché la légalité absolue et, autant que faire se peut, la moralité, même si, je l'avoue, on a été parfois un peu moins moral... tout en restant dans la légalité.
- Qu'est-ce qui est le + douloureux à avaler : la suspicion d'un collaborateur alors proche ou l'impression de vous être finalement trompé sur quelqu'un ?
Je ne m'étais pas trompé sur la personne, puisque je ne suis jamais dupe dans mes relations humaines. Le sens du discernement m'a toujours guidé. Je sais sur quoi il ne fallait pas que je l'attende. Je ne regrette pas de l'avoir défendu 2 fois devant l'actionnaire, qui voulait le renvoyer. J'estimais qu'il remplissait parfaitement sa mission. Quant à sa décision de ne pas me suivre lors de mon départ, je ne le blâme pas car on a parfois le droit de faire le contraire de ce que l'on dit. On sait également que son salaire a été multiplié par 2 pour le décider à rester et que son contrat est passé à durée indeterminée. Ca peut aussi influencer. Ce qui fait le + mal, en fait, c'est surtout les traces qui peuvent rester après de tels épisodes, selon le refrain populaire "ah, il n'y a pas de fumée sans feu". Ca, ca me gêne vraiment pour mes proches. Le reste, je suis assez fort et grand pour le supporter tout seul.
- Même pas ébranlé ?
Tous les procureurs, tous les policiers du monde peuvent venir enquêter, ils ne trouveront pas une demi-trace d'un début de malveillance. Au vu de la virulence de mes successeurs dans leur entreprise de démolition de tout ce que j'ai pu faire, s'ils avaient trouvé à mon départ une petite virgule mal placée, ils se seraient empressés de le faire savoir.
- Parmi les personnages visés dans votre livre figure en bonne place, forcément, Vincent Labrune. Vous n'avez toujours pas digéré la perte de la partie de poker menteur face à lui en 2009 ?
Si j'avais voulu être un béni oui-oui, je serais encore en poste. Mais je ne pouvais pas accepter que quelqu'un se cache dans l'ombre pour parler sans arrêt de moi de cette façon, au nom du propriétaire. Simplement parce que je ne voulais pas faire ce qu'il désirait. Moi, l'OM ne m'a pas permis d'exister, j'avais une fonction et une reconnaissance avant...
- Votre erreur n'a-t-elle pas été de croire que vous, l'habile communicant, vous finiriez par venir à bout de cet autre communicant ?
Mais ce n'est pas un communicant ! Un communicant, pour moi, c'est celui qui est devant les micros, pas celui qui est en dessous. Tapie était un habile communicant, mais pas celui dont la technique majeure est d'appeler les journalistes en feignant de leur donner des informations. Ce n'est pas de la communication, c'est de la manipulation. Sa méthode consistant à appeler un journaliste pendant une demi-heure et de lui faire croire qu'il est si important est une manière de lui faire écrire ce qu'il a envie. Moi, journaliste, je ne tombais pas dans ce genre de piège.
- Et si vous étiez encore journaliste, quelle question poseriez-vous à Vincent Labrune ?
Ce n'est pas mon rôle, mais moi-même, je me pose des questions à son sujet. Ainsi, pourquoi pendant longtemps a-t-ill répété que ce n'était pas la présidence de l'OM qui l'intéressait, alors que les faits semblent lui donner tort ? Et puis, pourquoi reprocher à Dassier d'avoir creusé financièrement le déficit du club alors que celui-ci ne faisait rien d'autre qu'exécuter les ordres qui lui étaient donnés, sachant que Dassier n'a jamais dû acheter un seul stylo sans en référer au président du conseil de surveillance ?
- A la place de Labrune, que n'auriez-vous pas fait ces derniers mois ?
Je ne voudrais pas me poser en procureur. Cela dit, le suppporter de base que je suis redevenu ne comprend pas pourquoi l'OM a continué de creuser le déficit financier. Pour bien gérer un clubb, il faut s'appuyer sur le triptyque suivant : bien acheter, bien vendre et bien maîtriser la masse salariale. Quand je vois que Mbia et Lucho ont été surpayés et que les salaires ont été parfois augmentés de manière inconsidérée, ça trahit ces dérives.
- Finalement, quelle est la + grosse différence entre Labrune et vous ?
C'est surtout aux autres de le dire. Mais je n'ai jamais caché que j'étais un président "à la marseillaise", et non "à l'anglaise", ces personnages influents que l'on ne connaît pas, comme lui, il se définit. Moi, quand le club était attaqué, je me mettais devant pour le protéger. A chacun son style.
- L'OM a-t-il encore les moyens d'exister ?
La question est de savoir ce que l'on veut faire de l'OM, où il reste évidemment encore des gens compétents, notamment le staff médical conduit par le docteur Baudot. J'ai lu que la propriétaire du club, que je respecte beaucoup, disait que la stratégie financière du club était bonne et que les 2 derniers matches contre le PSG étaient, eux aussi, bons. Elle est libre d'être frappée de cécité, mais pour ma part, je crois qu'elle a été abusée par un discours erroné et déphasé.
- Dans votre livre, vous avouez que "ce n'est pas facile de ne + être président de l'OM". Qu'est-ce qui vous manque le + ?
Pas les honneurs ni la reconnaissance sociale. Ce qui me manque le +, ce sont ces petits instants forts d'avant les matches. Quand on en est à compter les minutes avant le coup d'envoi, et qu'en entrant dans le vestiaire, je me mettais à croquer dans une pommme, alors que je n'aime pas ce fruit.... Quand je croisais aussi le regard de "Museau" (surnom d'Alain Soultanian, l'un des kinés du club) qui, d'un seul rictus, me disait si ça allait ou pas ce jour-là.
- Finalement, vous attendiez-vous à être oublié aussi vite par le milieu après votre départ ?
Je savais bien que beaucoup de mes anciens collègues ne m'accordaient leur amitié que de manière factice. Et puis, quand on a été président de l'OM, que voulez-vous faire après en France ? Surtout quand on est aussi profondément "marqué" OM, comme je le suis. Je ne me voyais pas débarquer directeur sportif, secrétaire général, ou conseiller d'un président ailleurs. Et puis, pour percer dans les instances, il faut être un homme de réseaux et de lobbying, ce qui n'est pas mon cas.
- Quelles seraient les conditions d'un retour à l'OM ?
Il y en a 2, mais elles me paraissent l'une comme l'autre quasiment improbables. D'abord, il faudrait qu'il arrive un investisseur à la surface financière illimitée et me dise : "Donnons à l'OM une nouvelle dimension européenne !" Là, je pourrais m'engager, avec cette réserve, toutefois : en règle générale, celui qui apporte beaucoup d'argent amène aussi "ses" hommes. La 2nde condition qui pourrait me faire revenir serait de voir tomber le club tellement bas qu'il faudrait aller le ramasser à la petite cuillère. Mais ce n'est vraiment pas ce que je souhaite à mon club.
- Même si vous n'avez quitté le foot qu'il y a un peu + de 3 ans, vous sentez-vous toujours en phase avec son évolution ?
Franchement, je ne me reconnais + trop dans le foot d'aujourd'hui, car j'ai du mal à y retrouver les vertus qui en faisaient le jeu préféré des hommes. Certes, l'amoureux du foot que je suis se ravit de la présence de joueurs tels qu'Ibra, Lavezzi ou Thiago Silva. Mais quand je vois ce qu'est en train de devenir le Paris-SG, je m'interroge. Présenter Beckham en supporter numéro 1 du club, alors que 2 semaines avant il ne savait peut-être même pas que le Camp des Loges existait. Quand je vois ces dirigeants sans aucun lien sentimental ou affectif avec le club, je me dis que le football a changé de nature. Diriger un club n'est pas qu'une reconnaissance publique. (Il marque une pause). On est en train de perdre l'essence populaire qui a toujours escorté le football depuis ses débuts. Quand je vois tout le monde applaudir à ce Paris-là, je me dis que c'est peut-être moi qui suis en décalage, qu'il faudrait que je me mette à la page...
- Pour vous, ce Paris-là n'est donc pas forcément une chance pour la L1 ?
Quelle chance ? Les gens du milieu ne veulent pas déplaire à Paris, aux Qataris. Alors, on salue la L1, regardée dans le monde entier. Mais ce n'est pas la L1 qui est vue, seulement le Paris-SG ! Oui, ponctuellement, nos droits vont un peu augmenter en Asie. Et après le départ de Beckham ? Attention au leurre. Je ne veux pas passer pour un grincheux mais, à l'époque où le Marseille de Tapie dominait le championnat, la compétition restait malgré tout palpitante, car à côté, il y avait une vraie concurrence avec des Monaco ou des Paris. Mais maintenant ? Et puis, c'est aussi la première fois qu'un Etat est actionnaire dans un club. Quand cet Etat-là, de +, finance des extrêmistes dans le désert du Mali, je m'interroge... Les vedettes achetées pour le PSG deviennent pour moi alors très accessoires. C'est la raison pour laquelle je ne suis pas ébloui par ce projet du PSG.
- Le mal du foot français ne résiderait-il pas dans la faiblesse de sa corporation de présidents, pas suffisamment visionnaires, entreprenants et affirmés ?
Il n'y a pas de grands clubs sans grands hommes. Regardez l'histoire : Henri Germain à Reims (1953-1966, puis 1970-1977), Roger Rocher (1961-1981) à Saint-Etienne, Claude Bez (1978-1990) à Bordeaux, Bernard Taie (1986-1994) à l'OM, Jean-Louis Campora (1975-2003) à Monaco ou encore Jean-Michel Aulas (depuis 1987) à Lyon. C'est vrai que ces dernières années, ça manque un peu de personnalités et de caractères. Il faudrait à la tête des principaux clubs français des hommes capables de rallumer la flamme. La politique de la petite phrase entretient aussi la passion et les rivalités. Et ça, ça manque cruellement actuellement.
- Quelle reste votre principale frustration : d'être parti de l'OM sans titre ou sans la totalité de votre indemnité ?
Ni l'un ni l'autre. Un supporter m'a dit un jour qu'il se moquait des titres car les trophées, lui, il ne les touchait jamais. En revanche, il s'éclatait avec l'émotion procurée du temps de Gerets. Un titre, c'est tellement aléatoire : un tir au but contre Sochaux (2-2, 4 tab à 5 en finale de Coupe de France, en 2007) ou un championnat enlevé par Bordeaux (en 2009) emmené par un Gourcuff surnaturel et un Chamakh qu'on n'a plus jamais revus à ce niveau-là ! Quant à l'indemnité, j'ai été payé en totalité (un peu plus de 4 M€ selon nos informations) parce que Margarita Louis-Dreyfus a été très réglo. A ceux qui se sont émus de cette indemnité, je voudrais rappeler que, lorsque j'ai accepté de venir à l'OM, j'ai divisé mon salaire par 3. Et que mon successeur (Jean-Claude Dassier) a tout de suite touché 3 fois ce que je gagnais à l'OM...
- Justement, Jean-Claude Dassier s'apprête à sortir, lui aussi, un livre. Inquiet ?
Dassier, je l'ai surnommé "la mascotte". Il restera ça à mes yeux. J'ai été surpris par son manque de courtoisie lors de son arrivée, comme lorsqu'il exigeait des télés de ne pas me montrer dans les tribunes lors des retransmissions au Vélodrome.
- Un jeu pour finir : quelle question aurait posée le journaliste Pape Diouf à l'ancien président de l'OM pour conclure cet entretien ?
(Il réfléchit longtemps) Etes-vous fier de tout ce que vous avez fait jusque-là ? N'avez-vous rien à cacher de moins avouable ?
- Et alors ?
La seule chose dont je ne suis pas fier concerne peut-être certaines choses qui se sont passées dans ma vie intime. J'ai sans doute sacrifié ma vie de famille. Pour le reste, je n'ai aucun cadavre derrière moi.
* Dans un extrait d'écoute téléphonique révélé voilà peu, on entend José Anigo, lors d'une conversation avec l'agent Philippe Piola, s'interroger : "Quand on vend Nasri 16 M€, je ne m'explique pas tellement comment il reste 10 M€ dans les caisses du club. Comment ils ont fait, MM. Diouf et Fournier ?" Un différentiel (de quelque 5 M€) effectivement versé au joueur et justifié, plus tard, par un accord passé entre l'OM et Nasri au moment de la prolongation de son contrat avant son départ pour Arsenal. Un procédé destiné à éviter que le minot ne parte vers l'Angleterre en rachetant seulement sa dernière année de salaire, comme l'arrêt Webster l'y autorise.