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Son smartphone ne cesse de carillonner. Depuis la débâcle de l'OM vendredi soir face à Rennes (2-5), Pape Diouf est sollicité par les médias de la France entière. L'ancien président olympien (2005-09) a choisi La Provence pour donner sa vision de la situation périlleuse dans laquelle est plongé le club qu'il chérit tant. "Redevenu un supporter de base, je pense avoir le droit d'exprimer mon avis", lance-t-il.Toujours très populaire auprès des fidèles du stade Vélodrome (nombreux sont ceux qui espèrent son retour), le Sénégalais observe le déclin de l'Olympique de Marseille avec beaucoup d'inquiétude. Pour lui, le responsable de ce fiasco regrettable se nomme Vincent Labrune."Michel est une victime", insiste-t-il. Entretien.
L'OM a été corrigé par Rennes vendredi. Que vous inspire une telle humiliation ?
Pape Diouf : Beaucoup de tristesse. Je pense que le titre de La Provence était assez éloquent en cela, puisque le fameux "Honteux" qui a succédé à cette parodie de foot et à ce résultat désastreux était tout à fait de circonstance. Mais, au fond de moi, ce résultat et cette situation ne me surprennent pas dans la mesure où, et j'ai déjà eu l'occasion de le dire, l'OM souffre d'abord et avant tout d'une vraie mal gouvernance. Ça se voit dans les pores du club.
Les supporters réclament haut et fort le départ de Margarita Louis-Dreyfus et de Vincent Labrune. Les comprenez-vous ?
Je les comprends et j'irais même presque jusqu'à dire que je souscris à cette demande. Leur colère est plus que légitime. Souvenons-nous des périodes Roussier, Marchand et même Bouchet, avec qui je n'irais sans doute pas en vacances mais qui avait, lui, un esprit d'entreprise. Ces gens-là ont été décriés bruyamment pour bien moins que ça... J'ai été parfois étonné de la léthargie des supporters, comme j'ai été surpris des propos récents du président qui, dans votre journal, disait qu'il y avait une forme de pacification et de rationalisation.
À l'OM, en interne, on sous-entend fréquemment que la contestation serait poussée par des anciens comme vous. (Il coupe) Cela ferait sourire si ce n'était pas aussi minable comme argument. J'ai autre chose à faire. Les supporters peuvent tout à fait en témoigner. Nos relations sont réduites à leur plus simple expression. Je n'ai ni le temps, ni l'envie, ni le caractère, ni la personnalité pour me mettre à orchestrer les choses dans l'ombre. Les gens me connaissent, si j'ai quelque chose à dire, je le fais publiquement, comme je l'ai toujours fait depuis que j'ai quitté l'OM.
En tant qu'ancien président, mais surtout en tant qu'amoureux de l'OM, êtes-vous inquiet pour l'avenir du club ?
Forcément, on a peur. Au point, presque, de repenser au début des années 80, lorsque l'OM était redescendu en D2 et que certaines bonnes volontés s'étaient manifestées pour créer le comité de sauvegarde du football de haut niveau à Marseille. Avec le sourire, je me demande aujourd'hui s'il ne faut pas repenser à cette forme de sursaut. Les choses vont vite. À un moment donné, on croyait que l'OM serait en mesure de se battre pour jouer les premiers rôles. Maintenant, il n'est pas farfelu de penser qu'il vaut mieux regarder derrière.
Comment l'Olympique de Marseille a-t-il pu tomber si bas ?
Je le redis : c'est un problème de mal gouvernance. Pour que les choses aillent bien dans un club, il faut les trois entités suivantes : une direction forte, qui sait où elle va, qui sait qu'elle ne navigue pas à vue, un staff technique compétent et des joueurs déterminés qui savent qu'il y a effectivement un pouvoir fort au-dessus d'eux. Or, aujourd'hui à l'OM, ces trois entités ne sont pas en symbiose, c'est clair et manifeste.
Louis Acariès disait récemment dans nos colonnes que "Robert Louis-Dreyfus serait triste de voir l'OM comme ça". Êtes-vous d'accord ?
Oui. D'autant plus que je crois très honnêtement que s'il était vivant, l'actuel président n'aurait jamais été à cette place-là. Je connaissais Robert, j'ai souvent discuté avec lui. Et, à supposer qu'il ait été choisi par RLD, il ne serait pas resté plus d'un an. Ce n'est pas qu'il soit plus résistant que les autres, mais c'est une question de contexte. Avec Robert, qui était là, qui prenait les décisions ou en tout cas les suscitait, les choses seraient allées très vite. Or, on sait aujourd'hui que Margarita Louis-Dreyfus est très loin de tout cela. Elle n'a pas d'interlocuteur au sujet du football, et encore moins de l'OM. Elle laisse la situation perdurer parce qu'elle n'a aucune autre solution. Contrairement à Robert qui, lui, rencontrait des gens, parlait et échangeait avec eux.
Quel regard portez-vous sur le bilan de Vincent Labrune à la tête de l'OM ?
Il est désastreux. Peu importe que je sois sans doute, pour certains, juge et partie, mais il faut employer les mots. "On n'a plus d'argent", nous dit-on. Mais par incompétence, on laisse partir libres les seuls joueurs qui ont quelque valeur marchande. Comprenne qui pourra ! Mais "on n'a plus d'argent" par rapport à qui ? Au Paris SG ? Je suis d'accord. Mais par rapport aux dix-huit autres équipes du championnat, l'OM a un potentiel qu'aucun club ne possède, y compris Lyon ou Monaco. Même un esprit simplet peut penser que l'Olympique de Marseille a un peu plus d'argent que Nice, Caen, Angers et tous ces clubs-là qui sont aujourd'hui devant lui. C'est un argument misérable.
Avec les moyens qui sont les siens, l'OM doit pouvoir animer le championnat de manière réelle, pouvoir être régulièrement sur le podium même s'il y a les aléas du sport, et mener la vie dure au PSG. Dans un championnat, on ne rencontre pas le même adversaire trente-huit fois ! C'est pour cela que dire "on n'a pas d'argent"(il souffle)... Heureusement que les supporters ne sont pas si idiots et bêtes que cela. Personne ne tombe dans le piège.
À l'époque où vous étiez président, les caisses étaient également vides. Comment faisiez-vous ?
Dès que je suis arrivé à l'OM, Robert Louis-Dreyfus m'a prévenu : "Pape, je suis très satisfait de votre venue, mais il n'y a plus d'argent à donner."Avec Julien Fournier et José Anigo, nous avons initié autre chose en matière de recrutement, en axant nos efforts sur la post-formation. C'est ainsi que nous avions engagé des garçons comme Mandanda, Valbuena, Taiwo ou Kaboré. On essayait de prendre des joueurs qui ne nous revenaient pas très cher mais qui ont été très bons, comme Cheyrou ou Niang. Nous avions recruté Ribéry pour 0 €. L'actuel président, qui était déjà proche de l'actionnaire, nous avait critiqués en disant que cela allait causer des problèmes. J'avais dit à Robert que je prendrais tous les risques pour le club sauf le risque pénal. Dans cette affaire-là, nous avions eu raison devant le TAS. Ce qui nous a permis de vendre Ribéry 30 M€ sans avoir déboursé un centime. Nous étions sur le terrain, nous n'avions pas d'argent, mais nous ne brandissions pas ce prétexte pour expliquer certains mauvais résultats, ou certains manques. À l'époque, il y avait une passion. Ce qui manque le plus au stade, ce qui tue ce club-là, c'est l'absence et la disparition de cette passion.
Que doit faire Labrune aujourd'hui ?
Quand on échoue, on doit en tirer les conséquences. Son échec est patent et réel. Il est constaté par tout le monde, sauf peut-être par lui. Je vois que la plupart de ceux avec qui il a travaillé ont maille à partir avec la justice, durement. Que ce soit Jean-Claude Dassier, Antoine Veyrat ou Philippe Perez, des garçons qu'il avait pris lui, au-dessus des têtes desquelles il a agi. Ce qui est arrivé aux autres ne lui est pas arrivé. De deux choses l'une : ou, à l'époque, ces hommes-là ont agi sans se soucier de lui, sans tenir compte de ce qu'il pouvait dire, ce qui est quand même grave pour un président ; ou il a donné son accord, s'il n'a pas suscité les décisions en demandant aux autres de les assumer. Quand des problèmes surgissent, un président, et je dirais même tout simplement un homme, doit assumer et accepter sa part de responsabilités. Quand, à certains postes, on refuse de le faire, on se montre inférieur à ses attributions.
Il ne doit pas oublier la chose suivante : oui, l'OM est la propriété d'une famille, oui, on ne peut pas nier cela sur le plan juridique, mais l'Olympique de Marseille est d'abord un bien public. Il n'appartient fondamentalement à personne.
Vendredi soir, VLB a déclaré au micro d'Infosport + qu'il ne souhaitait pas à son meilleur ennemi d'être président de l'OM...
Là aussi, c'est une déclaration misérable. C'est un honneur d'être président de ce club, presque une consécration. Dire cela, c'est montrer qu'on a perdu les pédales. Quand, à ce poste-là, on en arrive à perdre les pédales, c'est qu'il est temps de céder sa place à quelqu'un d'autre, qui essaiera autre chose. L'Olympique de Marseille ne doit pas péricliter par l'aveuglement de certaines personnes.
Pensez-vous que Vincent Labrune doit partir ?
Oui, c'est mon sentiment. Je l'ai dit, son échec est patent. Il faut qu'il laisse la place, que d'autres amènent de nouvelles idées et essaient de faire autre chose pour redonner à ce club-là son lustre d'antan. L'OM est une richesse à Marseille. Le football y a toujours été un élément fédérateur, et le Vélodrome l'endroit où tout le monde se retrouve pour une même communion. Noirs, blancs, arabes, industriels, ouvriers, agriculteurs, artisans... Ce stade a toujours été un sanctuaire. Aujourd'hui, c'est cela qu'on est en train de perdre. Il faut retrouver la passion.
Donner plus de pouvoir à Basile Boli, ambassadeur du club, peut-il être une solution ?
Le sarko-socialo-auxerrois ? Ses tours de passe-passe ne font même plus illusion...
On ne sait plus vraiment ce qu'il en est de la situation du club aujourd'hui, s'il est vente ou non. Faut-il tourner la page Louis-Dreyfus ?
La vraie question est de se demander s'il y a des investisseurs sérieux prêts à reprendre le club. Mon sentiment est que si demain se présente quelqu'un qui a les garanties qui conviennent, la famille Louis-Dreyfus ne pourra pas dire non.
Quelles sont vos relations avec Margarita ?
J'ai eu des rapports avec elle lors de mon départ. Elle m'avait montré, qu'à défaut d'être une femme qui savait ce qu'elle voulait, elle savait ce qu'elle ne voulait pas. Une femme de caractère, ayant aujourd'hui ses limites, qui sont son absence de relations dans le milieu du football avec des gens susceptibles de lui donner les conseils requis. Je peux comprendre qu'elle ne veuille pas investir, c'est son droit. On ne peut pas lui reprocher. Mais le football n'est pas seulement une affaire d'argent. Il y a une manière de compenser l'absence de finances par de l'ingéniosité, de la réflexion, de l'intelligence. Lyon est en train de renaître de ses cendres grâce à un centre de formation très performant.
Auriez-vous un message à lui adresser ?
Je crois qu'elle doit avoir une vue plus large de ce qu'il y a à faire, ou ne pas faire. Elle connaît des gens qui étaient là du temps de son mari, ne serait-ce que ceux qui suivaient le club sur le plan financier, ou ceux qui faisaient partie du conseil de surveillance. Il y a des personnes qui peuvent au moins lui donner un avis. Et cet avis-là, elle doit pouvoir en tenir compte. Elle ne peut pas abandonner l'OM aux caprices d'un homme. Il faut que tout cela s'arrête, que le club redevienne conquérant. Avant, dès qu'on parlait de Marseille, on évoquait l'OM. Aujourd'hui, ce n'est plus tout à fait le cas...
Seriez-vous prêt à revenir un jour à l'OM ?
Je ne suis pas aigri, que ce soit bien dit. La question m'a déjà été posée. Je donne toujours la même réponse. Si je devais revenir pour refaire exactement le même travail que j'ai fait pendant cinq ans avec mes collaborateurs de l'époque, ça ne m'intéresse pas du tout. On a remis l'OM sur les rails sportifs et financiers. Honnêtement, ce n'est pas ça qui me tente. Mais si demain, le club tombait trop bas, que plus personne n'en voulait, et qu'il faudrait le relancer, je ne tournerais pas le dos si on faisait appel à moi. De l'autre côté, si demain, une possibilité était offerte pour que le club puisse entrer de plain-pied dans le monde des puissants du football sur le plan financier, pourquoi pas.
Les deux hypothèses me paraissent toutefois improbables. Premièrement, je ne pense pas que l'Olympique de Marseille soit dans un tel état de décomposition qu'il faille envisager cela. Honnêtement, je crois, enfin j'espère, que le club va pouvoir maintenir un semblant de vie. L'histoire de l'OM est plus forte que les hommes. Deuxièmement, quelqu'un qui veut investir beaucoup, comme à Paris, emmènera sa propre équipe. Sincèrement, je ne pense pas à l'OM le matin en me rasant.