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L'homme de l'ombre de l'OM
Ceux qui l’ont appro-
ché de suffisamment
près assurent que
ses mains moites et
sa grosse voix disent
plus de lui et de ses méthodes que
son air rassurant de petit homme
rond et jovial. Igor Levin intrigue,
inquiète ou dégoûte, selon les
interlocuteurs, qui préfèrent le
plus souvent rester anonymes.
Depuis plusieurs semaines, son
nom circule publiquement, comme
l’incarnation d’un certain chaos
à la tête d’un club à la dérive. À
l’OM, il a longtemps été invisible
dans l’ombre de la propriétaire
Margarita Louis-Dreyfus, l’unique
cliente de cet avocat new-yorkais
d’origine russe.
C’est pourtant lui qui a fait cra-
quer les deux en-
traîneurs les plus
appréciés de l’his-
toire récente du
club. Sur le mode
guerre d’usure,
Ig o r L e v i n a
d’abord éreinté Di-
dier Deschamps,
en partance pour
l’équipe de France
en 2012: discus-
sions interminables, menaces de
procédures judiciaires, DD a fini
par se contenter de 1,5 million
d’euros sur les 3,5 millions prévus
dans son contrat. En version guerre
éclair, l’été dernier, Levin a fait fuir
Marcelo Bielsa en se montrant plus
inflexible que le rigoriste technicien
argentin lors de la signature de sa
prolongation de contrat, pourtant
négociée avec le président Vincent
Labrune.
Depuis, la saison de l’OM est un
long cauchemar sportif, avec notam-
ment ce record de sept mois sans
victoire en L1 au Vélodrome. « Le
sportif, il s’en fout, il n’y connaît rien,
dit-on au club. Il ne répète que “Mar-
garita said” ou “Margarita a dit”. »
Au choix puisque ce juriste poly-
glotte de 47 ans maîtrise au moins
quatre langues. Et ces dernières sai-
sons Margarita n’a dit qu’une chose
ou presque : pas question d’injecter
de l’argent supplémentaire.
Sa chambre à l’InterContinental
Levin, sollicité en vain par le JDD
via courrier électronique, a fait de
l’antienne sa feuille de route. Quitte
à bousculer autour de lui. Des mails
exigeant la vente de tels joueurs à
tels tarifs, des recommandations
d’économie pour les pelouses de
la Commanderie. Il vient de plus
en plus souvent à Marseille, où il
a sa chambre à l’InterContinental.
« Il met les mains dans les dossiers
stratégiques liés à la future vente,
raconte un cadre. Il ne mène aucune
négociation mais il est là à la fin… »
Quitte à bloquer certains dossiers
bien enclenchés, comme actuelle-
ment avec une banque partenaire, et
à énerver en interne. Sous pression
depuis deux ans, Philippe Pérez, le
directeur général, a été poussé vers
la sortie en février.
Ce qui se passe actuellement à
l’OM n’étonne pas les témoins de
la guerre de succession à la tête de
l’empire de Robert Louis-Dreyfus
après la mort du milliardaire en juil-
let 2009. C’est à cette époque que
Levin est apparu auprès de sa veuve.
Jeune avocat au sein de la firme new-
yorkaise Dewey Ballantine, il avait
conseillé ponctuellement RLD pour
un investissement immobilier en
2006. Mais celui-ci s’en était vite
séparé, jure un proche : « Igor ne
plaisait pas du tout à Robert. Il le
trouvait tordu. » C’est pourtant lui
que Margarita a choisi pour l’aider
à récupérer la direction du groupe
de négoce en matières premières,
estimé à 5 milliards d’euros. Esseu-
lée face à l’establishment français
qui voyait en elle une incapable ou
une espionne, elle a fait confiance
à celui qui parlait sa langue.
Stratégie d’épuisement
Très vite, Levin a braqué les
gérants testamentaires, mis la pres-
sion sur Jacques Veyrat, l’ancien bras
droit de RLD qui avait pris la tête du
groupe. En contestant tout, comme
les contrats d’intéressement de Vey-
rat. En pleine affaire Bettencourt, il
brandit même contre lui la menace
d’un abus de faiblesse envers Mar-
garita. Veyrat finira par quitter le
groupe.
La stratégie d’épuisement vaut
aussi avec les sœurs de Robert Louis-
Dreyfus, Monique et Colette, deux
septuagénaires peu habituées au
monde des affaires, qui négocient
le rachat de leurs parts. L’avocat
les accuse de vouloir rouler MLD,
les menace de procès. « Elles ont
vécu un an et demi d’enfer et ont
vendu plus vite que prévu, relate un
proche du groupe. Levin cherche à
tout judiciariser. À force d’usure, les
gens préfèrent lâcher. » « Il accentue
la paranoïa de Margarita plutôt que
de la calmer », résume un avocat qui
l’a fréquenté.
Pour un autre témoin, « Levin
ne fait que son boulot d’avocat et
d’homme de confiance de Marga-
rita », en lui permettant d’asseoir
son autorité sur ceux qui prennent
trop de place, chez Louis-Dreyfus
comme à l’OM. Pour elle, il est vrai
qu’il peut tout faire. Y compris pro-
mener son chien pendant qu’elle
est en réunion. Ou chanter La vie
en rose lors d’un karaoké pour un
anniversaire de la patronne à Ibiza,
comme l’a raconté Elsa Conesa dans
MLD : Enquête sur la fortune la plus
secrète de France (Grasset). Et celui
que ses adversaires traitent de « lar-
bin » a réussi à placer récemment
sa femme Ioulia, la mère de leurs
quatre enfants, au conseil d’admi-
nistration de Louis-Dreyfus.
El Glaoui tient le stylo de MLD
« Margarita a besoin d’être en-
tourée de gens qui lui sont inféodés »,
observe un ancien fidèle. À l’OM,
Vincent Labrune a longtemps joué
le rôle de l’homme de confiance de
l’actionnaire et relayé publique-
ment son message d’orthodoxie
financière. Ce n’est plus le cas ces
derniers mois. Il voulait se séparer
de Michel, l’entraîneur qu’il avait lui-
même choisi pour remplacer Bielsa.
MLD a refusé de payer pour réparer
l’erreur de casting de son président.
Comme à l’époque de la guerre
de gouvernance chez Louis-Dreyfus,
elle préfère s’appuyer sur Igor Levin
et Mehdi El Glaoui, les deux admi-
nistrateurs d’Éric Soccer, la holding
qui détient l’OM. Le Franco-Marocain El
Glaoui, ancien président
du conseil de surveillance du club,
est aussi discret que Levin. Mais
pas moins influent. Si l’avocat était
dans le jet qui conduisait Michel
et Labrune chez MLD à Zurich,
dimanche dernier après la défaite
à Bastia, l’ancien pharmacien
est celui qui a tenu le stylo de la
patronne pour rédiger le commu-
niqué annonçant, mardi soir, qu’il
n’y aurait pas de changement dans
l’organigramme olympien. Labrune
y est expédié en une ligne comme
un employé lambda.
Face à ces nouveaux hommes
forts qui lui savonnent la planche,
le président marseillais découvre à
son tour le rôle de la cible. Comme
quand lui, au poste confortable de
conseiller de l’ombre, ne se privait
pas de critiquer la gestion de ses
précédesseurs Pape Diouf et Jean-
Claude Dassier. La situation fait sou-
rire un ancien ennemi : « Labrune
est quelqu’un de détestable. Mais je
le plains. » (AVEC M.C.)