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La patronne, c'est Margarita Louis-Dreyfus !
Margarita Louis-Dreyfus a souhaité remettre un peu d'ordre à l'OM en s'appuyant sur plusieurs de ses fidèles, dont Vincent Labrune. Plongée dans ce cercle fermé au sein duquel l'avenir du club se décide
Ne jamais se fier aux apparences. Une règle d'or lorsqu'on observe l'univers des Louis-Dreyfus. Robert, disparu en 2009 à 63 ans, n'avait pas vraiment le look d'un milliardaire ayant fait fortune dans les affaires. Il s'adressait aux grands de ce monde comme il parlait aux garçons de café. Avec une simplicité et une authenticité qui restent gravées dans la mémoire de ceux qui l'ont côtoyé.
Personnage anticonformiste, il fonctionnait au feeling, montrait de l'affection aux gens qu'il appréciait sans se soucier une seule seconde de leur statut social. Il adorait l'OM, club dans lequel il a énormément investi (environ 220 millions d'€) sans toutefois gagner de trophée, ni obtenir la reconnaissance des supporters. Un mécène comme lui n'existe plus dans le football moderne.
Sa veuve, Margarita (53 ans), est également l'antithèse de l'idée que le grand public peut se faire d'une "capitaliste de l'année", titre lui ayant été décerné en 2011 au palais d'Iéna, à Paris, par Le Nouvel Économiste. Elle est une mère de famille dévouée, obnubilée par le bien-être de ses fils, Éric (né en 1992), Maurice et Kyril (qui ont vu le jour en 1998), lesquels auront prochainement deux demi-soeurs puisque MLD donnera naissance à des jumelles en avril.
Si elle a déployé une énergie incroyable et s'est transformée en stratège féroce pour prendre la tête du groupe Louis-Dreyfus à la mort de son mari, c'est avant tout en pensant à l'avenir de ses enfants. Si elle a conservé l'Olympique de Marseille, c'est aussi pour des raisons affectives. Le destin de la maison bleue et blanche ne l'intéressait pas spécialement en 2009, quand elle s'est retrouvée propriétaire de l'institution. Mais elle l'a gardée, en mémoire de RLD, tout en prévenant d'emblée qu'elle ne supporterait pas que cet héritage fasse du tort à sa famille et lui cause des problèmes, notamment d'ordre financier. C'est le cas en ce moment. Voilà pourquoi la Russe a pris les choses en main, entourée de sa garde rapprochée. Décryptage.
Quelle vision a-t-elle de l'OM ?
RLD était un passionné de sport. MLD préfère de loin l'opéra. Au théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg ou à L'Opernhausau de Zurich, elle ne sera jamais insultée comme au stade Vélodrome. Ce qu'elle déteste. Si elle a mis la main au portefeuille les premières années (elle a dépensé plus de 30 M€, mais le club lui en a rendu une partie), Margarita a désormais décidé de ne plus débourser un centime de sa poche. Pour rappel, l'Olympique de Marseille n'appartient pas au groupe Louis-Dreyfus. Le club, chapeauté par la holding familiale Éric Soccer, est à elle. À titre personnel.
En 2013, Vincent Labrune lui a présenté un plan ambitieux, le fameux "projet Dortmund". Il s'agissait de recruter des espoirs à fort potentiel, les faire progresser, puis réaliser de belles plus-values à la revente. Ce fut le cas pour Imbula (20 M€ + bonus) et Thauvin (17,5 M€), cédés respectivement à Porto et Newcastle, sans oublier Lemina, prêté avec option d'achat quasi automatique à la Juventus (1,5 M€ cette saison, 9,5 M€ pour la vente programmée). Cette stratégie (sportive et financière) n'a cependant pas suffi à l'OM pour bien vivre son passage en autogestion. Plus que jamais, le club manque de trésorerie.
Quelle est la situation financière actuelle?
Elle est passée en moins de deux ans de préoccupante à très inquiétante. Une observation au greffe du tribunal de commerce datée du 26 novembre 2014 fait état du libellé suivant : "Continuation de la société malgré un actif net devenu inférieur à la moitié du capital social. Décision du 5 novembre 2014." À compter de cette date, la situation doit être régularisée dans les deux ans. L'OM a donc jusqu'à l'automne 2016 pour le faire.
Le bilan de l'exercice comptable 2014-15 est également alarmant. Le résultat d'exploitation était de - 13,05 M € en juin 2014. Il a été de - 55,06 M€ en juin 2015.
Heureusement, les nombreuses ventes enregistrées l'été dernier ont permis de ramener les comptes quasiment à l'équilibre (- 2 M€, sachant que la plupart des clubs français sont eux aussi régulièrement déficitaires, comme l'OL, Lille ou Bordeaux). L'Olym de Marseille n'a, en outre, pas de dette bancaire.
Si l'institution phocéenne a bouclé 2014-15 dans le rouge, c'est avant tout parce qu'elle a payé les conséquences de la saison 2013-14, au terme de laquelle la formation de José Anigo a pointé au 6e rang de la Ligue 1, avec un effectif de très haut niveau, extrêmement bien rémunéré (Valbuena, Payet, Ayew, Cheyrou, Gignac, pour ne citer qu'eux).
À l'issue de cette période cauchemardesque, les dirigeants avaient deux solutions. La première était de vendre la majorité des joueurs, afin de récupérer les pertes (aller en Ligue des champions aurait rapporté environ 42 M€), mais l'équipe aurait été très faible au moment d'entrer dans le nouveau Vélodrome.
La seconde (celle choisie) était de faire le pari inverse : garder pratiquement tout le monde, faire venir Bielsa, être compétitif, remplir le stade, et prendre le risque de se retrouver potentiellement à -50 M€ en cas de nouvelle non qualification en C1. "L'Olympique de Marcelo", pas aidé par l'arbitrage, a fini au pied du podium. La maison bleue et blanche s'est donc retrouvée dos au mur, obligée de céder les meilleurs Olympiens, et dans l'incapacité de proposer quoi que ce soit à ceux en fin de contrat. L'histoire est connue.
Depuis 2011, le club a aussi eu 30 M€ de pertes en raison des travaux du Vélodrome, et 10 M€ à cause de la taxe à 75 %. Voilà pourquoi, ces derniers mois, l'OM a été contraint de se faire prêter des joueurs, ou d'en faire signer des libres.
Si aucun investisseur n'arrive dans les prochaines semaines et que l'escouade de Michel ne composte pas son ticket pour la Ligue des champions (il faudrait un miracle, lire aussi en page précédente), le scénario catastrophe tant redouté se dessinera : outre les éléments en fin de contrat (Mandanda, Nkoulou, Romao), le club marseillais devra se séparer d'un ou plusieurs cadres à forte cote (Batshuayi, Diarra, Mendy). Et comme les prêtés rentreront chez eux, il ne restera plus grand monde au moment de composer l'effectif 2016-17. D'autant que la faible affluence au Vel', constatée depuis plusieurs mois, va forcément peser sur les comptes.
Pourquoi Pérez est-il vraiment parti ?
Directeur général depuis 2011, l'ex-bras droit de Vincent Labrune avait fait savoir qu'il se retirerait en juin. Il a très mal vécu sa mise en examen pour abus de biens sociaux, faux et usage de faux, et association de malfaiteurs dans le cadre de l'affaire des transferts présumés douteux. S'il a finalement décidé de quitter ses fonctions plus tôt, Margarita ne l'a pas non plus retenu... Philippe Pérez a surtout fait les frais de sa gestion du quotidien parfois déconcertante.
Quel est le but du communiqué de MLD ?
La veuve de RLD en a eu assez de lire dans la presse qu'elle mettait le club en vente. Elle a aussi voulu répondre à l'interview de Louis Acariès, parue dans nos colonnes le 12 février au matin. "Je ne suis pas à la recherche d'un acheteur, a-t-elle insisté dans le texte publié le soir-même par l'OM. En revanche, je serai attentive à toute initiative qui permettra d'assurer une stabilité pour le club et pourra ainsi améliorer ses performances sportives et financières."
Elle ne souhaite pas en dire davantage pour l'instant. Ce qui ne l'empêche pas de se tenir continuellement informée de la situation.
Quels changements ont été opérés ?
Un nouveau visage est apparu à La Commanderie depuis quelques jours, celui de Dominique Bernard, ex-directeur général du Groupe Hersant Médias. Ce dernier mène une mission d'audit financier, recommandée par les commissaires au compte et expert-comptable, Deloitte & associés et Jean-René Angeloglou, proches de Margarita Louis-Dreyfus et Vincent Labrune. Il sera là 48 heures par semaine, durant deux mois, et examinera la gestion de l'OM au quotidien. Il ne connaissait ni VLB ni MLD auparavant. Cette dernière avait déjà procédé à une modification au sein d'Éric Soccer à l'automne. Ancien président du conseil de surveillance (jusqu'en 2008), Mehdi El Glaoui a été nommé administrateur le 2 octobre. Celui-ci avait notamment soutenu Margarita dans sa dure bataille contre
Jacques Veyrat quand elle a pris la tête de l'empire LD. Enfin, la Russe accorde toujours plus de crédit à son compatriote avocat, Igor Levin. Un personnage que les aficionados de l'OM ont découvert l'été dernier au moment de la démission de Bielsa.
Quel rôle joue Igor Levin ?
Personne n'avait vu venir cet homme de l'ombre, qui ne faisait pas partie des intimes de RLD. Il est en revanche omniprésent auprès de Margarita. Il a ainsi participé à la réunion du mercredi 5 août, avec Philippe Pérez, qui a eu pour conséquence le départ précipité d'El Loco. Ceux qui l'apprécient diront que c'est le plus fidèle des fidèles, qu'il est totalement au service de MLD. Ceux qui s'en méfient répliqueront qu'il a une fâcheuse tendance à prédire le pire pour ensuite se présenter comme la solution à tous les problèmes. Une chose est sûre : la propriétaire de l'OM est attentive aux recommandations de ce quadra aussi rond et jovial que mystérieux et intrigant. Il est lui aussi administrateur d'Éric Soccer, depuis 2014.
A quoi s'attendre dans les prochains mois ?
Tous les scénarios peuvent être envisagés : vente pure et simple (mais, pour l'instant, aucun acheteur ne s'est présenté), ouverture du capital à des investisseurs, stand-by. Si la propriétaire ne remettra pas la main à la poche, elle ne laissera toutefois jamais l'OM mourir. Elle continue d'écouter les conseils qu'on lui donne à l'intérieur, comme à l'extérieur du club, mais se montre intransigeante quand il faut trancher.
"Ce n'est pas dans son tempérament de laisser les autres décider pour elle, insiste Elsa Conesa, journaliste des Échos ayant écrit l'excellent livre "Margarita Louis-Dreyfus : enquête sur la fortune la plus secrète de France", publié en 2013 chez Grasset. Durant la période de la succession de Robert, qui a été très dure, elle était persuadée qu'elle allait être déshéritée. Personne ne la prenait au sérieux à Paris car elle arrivait avec ses fourrures, son petit chien, ses cheveux blonds, son accent et ses paillettes... Elle a pourtant eu la tête de tous ceux qui ont essayé de prendre sa place. Elle ne se fait pas manipuler." Qu'on se le dise : à l'OM, la patronne, c'est MLD.
Elle a confiance en Labrune
Les liens unissant la famille Louis-Dreyfus au président olympien vont bien au-delà du football. Vincent Labrune a été très présent auprès de Margarita et ses enfants après la disparition de RLD. Il les a accompagnés dans les moments difficiles, les a toujours soutenus. La Russe n'oubliera jamais cela, quand bien même la situation est périlleuse à l'OM.
Le cahier des charges qu'elle a fixé à l'Orléanais, en 2011, lorsqu'il a succédé à Jean-Claude Dassier, était très clair : il fallait, à terme, que l'institution phocéenne puisse elle-même subvenir à ses besoins.
Depuis, il s'applique donc à gérer tant bien que mal l'OM de façon à ce que MLD n'ait plus à dépenser le moindre euro. Pas une mince affaire quand on connaît les difficultés économiques rencontrées par les clubs de football français ces dernières années (à l'exception, bien sûr, du PSG).
"Nous réfléchissons ensemble à la future stratégie à adopter"
En cinq ans, VLB a considérablement baissé la masse salariale de l'effectif, puisqu'elle est passée de 57 M€ hors charges en juin 2011, à 38 M€ hors charges aujourd'hui. "Nous travaillons quotidiennement ensemble sur tous les dossiers, insiste Labrune. Nous prenons les décisions conjointement, notamment en termes de changement de personnel, et nous réfléchissons ensemble à la future stratégie à adopter pour le club."
En fin de saison 2013-14, c'est lui qui a fait le forcing pour que Margarita accepte de privilégier l'ambition sportive (arrivée de Marcelo Bielsa, conservation de la quasi-intégralité des joueurs) aux contraintes financières, malgré la non qualification de l'équipe de José Anigo en Ligue des champions (lire aussi la question sur la situation économique de l'OM, ci-contre). MLD a validé. Inversement, c'est elle qui a exigé que l'équilibre des comptes soit rétabli cette saison, au détriment du projet purement footballistique. VLB a compris. Dans les deux cas, l'un a donc écouté l'autre.
Alexandre Jacquin