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À partir de mercredi, Arte et France Télévisions diffusent la websérie « Tribunes Libres » consacrée à la culture ultra. Une plongée chez les supporters en sept films, de Liverpool à Marseille, en passant par Donetsk et Lens.
Parler des ultras au-delà la simple problématique violence-répression, c'est l'enjeu de la websérie Tribunes libres, qu'Arte et France Télévisions (via sa chaîne numérique Slash) mettent en ligne ce mercredi. Sept films de neuf minutes, pour plonger dans la culture ultra, à partir de reportages autour des supporters de sept clubs : Liverpool, l'OM, l'OL, Saint-Étienne, Lens, Bordeaux et le Chakhtior Donetsk, en Ukraine. L'épisode marseillais est en avant-première sur le site L'Équipe depuis mardi.
« C'est une vieille idée d'amateur de foot et de politique, explique un des coproducteurs, Alexandre Hallier (la Générale de Production). La culture ultra va bien au-delà du récit du football. C'est une question festive et presque libertaire. Il y a toute une série de lois liberticides dont les ultras ont été le terrain d'expérimentation. Ils sont à la fois à la marge et stigmatisés. C'était intéressant d'aller les rencontrer. Il n'y a plus beaucoup d'endroits où on cause, où on milite, où on chambre... » Le projet remonte à 2012. Il avait alors été proposé par le journaliste de So Foot Nicolas Kssis-Martov, qui est aujourd'hui consultant de la série. Responsable du blog « Ever trust a marxist in football ! » sur le site du magazine spécialisé, Kssis-Martov est aussi l'auteur de plusieurs livres, dont Terrains de jeux, terrains de luttes, paru en juin dernier aux éditions de l'Atelier.
« On avait du mal à approcher les ultras, à avoir les autorisations... Il n'y avait aucune facilité de la part des clubs. »
La production des sept films s'est révélée particulièrement compliquée. « C'est une série qui nous a donné énormément de difficultés, reconnaît Alexandre Hallier. D'abord, parce que c'est une population qui se méfie des caméras malgré notre approche documentaire, qui voulait prendre du temps, plutôt bienveillante. On avait du mal à les approcher, à avoir les autorisations... Il n'y avait aucune facilité de la part des clubs. » Parfois, les tournages tombaient mal : celui à Lyon s'est déroulé aux moments des fortes tensions entre une partie du public lyonnais et le défenseur Marcelo.
Et les soucis ne venaient pas que de la partie « football ». « La méfiance existait aussi de l'autre côté, de la part de nos partenaires, poursuit Hallier. Il y avait la crainte qu'on soit dans une banalisation de la violence. On était au coeur de la stigmatisation des ultras. » La crise sanitaire n'a rien arrangé. « Ça nous a coûté trois épisodes, avance le producteur. On voulait avoir un club au Maghreb, peut-être le Raja Casablanca, avec Mohamed El Khatib. Il y avait aussi l'Italie. Sur le sujet, on a épuisé trois réalisateurs (Marion Gervais, Stéphane Mercurio et Sébastien Louis) mais on n'a pas pu tourner. On a cherché à la Sampdoria, dans un club des Pouilles de 3e division, on a abandonné... » La production prospectait aussi en Allemagne mais n'a pas pu réaliser un épisode malgré des contacts avec Francfort ou le FC Union Berlin.
« Parfois, quand je sors du stade, je ne connais même pas le score »
L'originalité la série tient aussi à la diversité des réalisateurs impliqués, Pauline Horovitz, Dimitri Kourtchine, Mohamed El Khatib, Frédéric Hocké et Maxence Voiseux. « On n'était pas dans un exercice didactique mais ce qui nous importait avant tout, c'était le regard personnel d'un auteur sur des personnages », indique Alexandre Hallier. Les modes de traitement différent aussi d'un film à l'autre. Parti en Ukraine sur les traces des supporters du Chakhtior Donetsk, Dimitri Kourtchine se sert de son personnage, le jeune Vitalii, réfugié à Kiev pour parler du conflit entre pro Russes et pro-Européens, autant que de football.
En revanche, quand il tourne à Liverpool, Kourtchine raconte une tout autre histoire, la trace laissée par la catastrophe de Hillsborough en 1989 (96 morts lors de la demi-finale de Cup entre les Reds et Nottingham Forest). « Un drame fondateur » pour Alexandre Hallier. À Lens, le coréalisateur, Mohamed El Khatib, déjà auteur de la pièce Stadium (qui réunissait sur scène 58 supporters du RC Lens) et d'autres projets sur le foot, suit les pas de Ludovic. Mégaphone en main, c'est un des principaux animateurs des tribunes du Stade Bollaert. « Parfois je sors du stade je connais même pas le score... », confie-t-il dans le film qui lui est consacré.
Tu seras un ultra, le doc « lyonnais » de la série, sort du lot. Réalisé par Maxence Voiseux, il s'agit d'un témoignage fictif d'un supporter, lu par le comédien Alexandre Schreiber, et écrit par le réalisateur lui-même à partir d'une vingtaine d'entretiens avec des membres de Lyon 1950 et des Bad Gones, avec une forte tonalité sociale voire militante. Le film pourrait d'ailleurs être le point de départ d'un documentaire spécifique de 52 minutes de Maxence Voiseux pour France Télévisions.