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Sport + les raisons d'une disparition
Canal + arrêtera bien sa filiale cet été, mettant un point final à l'histoire mouvementée de la chaîne thématique.
« C'EST LA FIN d'une belle histoire », constate avec tristesse le journaliste Frédéric Brindelle, figure historique de Sport +, alors que le groupe Canal + présente ce matin, en comité d'entreprise, le projet de fermeture de la chaîne thématique. Avant sa mort, programmée « cet été », comme nous l'a confirmé un responsable de Canal, elle a connu plusieurs vies. On doit sa naissance à Jean-Luc Azoulay et Claude Berda. Géniteur d'une ribambelle de sitcoms pour pré-ados sur TF 1 (Hélène et les Garçons, Premiers Baisers, le Miel et les Abeilles…), le duo lance sur le bouquet AB Sat, le 23 décembre 1996, AB Sports, une chaîne axée sur les sports américains (basket, baseball) afin de séduire un public jeune, qui défriche des terrains alors ignorés par les diffuseurs traditionnels. « En 1997, on avait diffusé le Championnat du monde de hand. À l'époque, personne n'en voulait, on devait être regardés par quinze personnes », se souvient Brindelle, qui était déjà de l'aventure. En décembre 1998, le groupe Pathé rachète la chaîne : rebaptisée Pathé Sport, elle développe une offre omnisports avec deux produits phares : le tennis et le basket. Mais ses velléités font long feu, dans un contexte de concurrence accrue sur les droits sportifs, après la sortie de Canal + du capital d'Eurosport début 2001. Au printemps 2002, Pathé rend les armes et cède la chaîne au groupe Canal qui lance Sport +, le 26 octobre 2002, pour rivaliser avec... Eurosport, désormais filiale de TF 1.
Portée sur les fonts baptismaux par Ronaldo, la star brésilienne du Real Madrid, la chaîne affiche ses ambitions : devenir la chaîne de référence du sport (tennis, NBA, golf…) et notamment du foot étranger, en maximisant l'exposition du catalogue pléthorique de droits détenus par Canal + (Premier League, Serie A, Liga, Bundesliga). L'état de grâce ne dure pas : en 2004, l'irruption du bouquet TPS, agressif sur le foot, contraint Canal + à faire monter en puissance Canal + Sport et à redonner une identité omnisports à Sport +. La situation perdure en 2008 avec la concurrence d'Orange mais s'aggrave avec celle de beIN Sports en 2012. La filiale thématique de Canal + voit le diffuseur qatarien lui chiper l'essentiel de ses droits, pendant que sa maison mère casse sa tirelire pour conserver un portefeuille de droits consistants qu'elle réserve à ses chaînes dites « premium », Canal + et Canal + Sport.
UN PROJET DE FUSION AVEC INFOSPORT + ABANDONNÉ
Alors que la question de l'avenir de Sport + (qui a vu son audience fondre à 0,3 % de parts d'audience au dernier semestre) était en suspens depuis l'an dernier, le statu quo ne pouvait plus durer : soit le groupe Canal renforçait la chaîne, soit il la supprimait. Cet automne, la première piste tenait la corde, avec la volonté de la passer en Haute Définition (HD) et de la positionner sur des droits forts détenus par Eurosport qui arrivaient à échéance (Coupe du monde de ski, Championnat du monde de MotoGP). Mais elle n'a pas fait le poids par rapport à la chaîne paneuropéenne, désormais détenue par le groupe américain Discovery. Du coup, Canal a décidé de changer son fusil d'épaule et de se rapprocher du groupe Eurosport en s'assurant l'exclusivité de la distribution des chaînes Eurosport et Eurosport 2 sur son bouquet CanalSat. Une décision qui signait l'arrêt de mort de Sport +, après que l'idée de la fusionner avec Infosport +, pour en faire une chaîne hybride mêlant information sportive et retransmissions en direct (à la manière de L'Équipe 21 sur la TNT gratuite), a été brièvement étudiée. Mais cette solution a été écartée car le modèle actuel d'Infosport + fonctionne plutôt bien (0,4 % de parts d'audience en France). En supprimant Sport + (dont le budget annuel s'élève à plusieurs dizaines de millions d'euros), Canal compte d'ailleurs réallouer plus de 5 M€ à Infosport + pour renforcer son offre éditoriale. La chaîne d'informations, dont le passage en HD est dans les tuyaux, devrait également accueillir une partie du personnel laissé sur le carreau par la disparition de Sport +.
La rentrée s'annonce floue
Où seront diffusés les sports dont Sport + détient les droits sur le long terme, après que la chaîne aura cessé d'exister ? Selon nos informations, une partie basculera sur Canal + et Canal + Sport, à l'instar des matches de qualification à l'Euro 2016 de foot ou encore de la Coupe du monde en petit bassin de natation. En revanche, pour d'autres droits, tels le basket (Pro A, Ligue féminine) ou le hand féminin, rien n'est encore tranché. Des discussions seront menées avec les différents ayants droit une fois que la disparition de Sport + sera officiellement entérinée. Enfin, le résultat (promis dans les prochains jours par le président de la LNR, Paul Goze) de la consultation auprès des diffuseurs payants sur les droits de la Pro D 2 de rugby, que se partagent actuellement Eurosport et Sport + pour un montant global de 1,1 M€ par an, apportera une indication précieuse sur le rapprochement stratégique entre les groupes Canal + et Eurosport. En effet, le 19 janvier, tous deux, ainsi que Ma Chaîne Sport, ont répondu à la consultation au terme de laquelle la LNR désignera « un seul et unique diffuseur intégral » pour la période 2015-2020. Trois semaines plus tard, ces deux groupes scellaient l'accord de distribution en exclusivité des chaînes Eurosport sur CanalSat…