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Comment la mafia marseillaise a longtemps gangrené l’OM
Pression sur les dirigeants, intimidations envers les joueurs, commissions perçues sans raison… Pour "Pièces à conviction", le journaliste Jérôme Pierrat revient sur le côté sombre du club de l’OM.
Si aujourd’hui le Paris Saint-Germain domine sans partage le football français et attire les regards partout en Europe à coups de transferts mirobolants, sa grandeur nouvelle ne déchaînera jamais les passions comme le fait son rival marseillais depuis des décennies. L’OM, champion d’Europe en 1993. L’OM, neuf fois champion de France, dont trois saisons d’affilée en 1990, 1991, et 1992. L’OM finaliste, cette année encore, de la Ligue Europa. Tous ces succès s’accompagnant d’une liesse populaire incroyable que le PSG n’a jamais connue. Dans le monde du football, l’OM est un club qui ne laisse personne indifférent. Mais il y a le foot, et ce qui gravite autour. Et dans le milieu de la mafia, l’OM ne laisse pas non plus grand monde indifférent.
Ce mercredi 13 juin, France 3 diffusera dans Pièces à conviction une enquête menée par Jérôme Pierrat, spécialiste du crime organisé. Une enquête dans laquelle le journaliste revient, à l’aide de documents policiers et d’entretiens, sur la façon dont le milieu de la mafia marseillaise a gangrené l’OM pour toucher de l’argent sur les transferts du club. "Le milieu du banditisme est intéressé par le milieu du football parce qu’il y a beaucoup d’argent", explique ainsi Pierre Folacci, ex-numéro 2 de la brigade de répression du banditisme de Marseille
Jean-Luc Barresi, l'agent à problème
L’OM et la mafia, un tableau d’une vingtaine d’années que dépeint Jérôme Pierrat dans lequel plusieurs personnages se tirent la bourre pour obtenir le rôle principal. Parmi eux, un nom semble plus important que les autres : celui de Jean-Luc Barresi. "Il aurait pu jouer dans un film de Sergio Leone", raconte Etienne Ceccaldi, ancien directeur général de l’OM sous Robert Louis-Dreyfus. Le journaliste David Garcia précise le profil de Barresi, "quelqu’un qui en impose, qui a un vrai charisme, à qui on ne va pas manquer de respect".
Fiché au grand banditisme en 2006, Jean-Luc Barresi est un agent de joueur influent à l’Olympique de Marseille. Il est aujourd’hui mis en cause devant la justice pour plusieurs transferts que les enquêteurs jugent suspects. La police s’intéresse à lui depuis la mise sur écoute d'une partie du milieu mafieux corse en 2009. Des écoutes durant lesquelles plusieurs personnalités du milieu évoquent des transferts de football.
Les joueurs sous pression
Interrogé pour l’enquête diffusée sur France 3, Etienne Ceccaldi décrit comment plusieurs personnes au sein du club lui ont raconté la pression mise sur les joueurs de l’OM pour qu’ils choisissent de travailler avec Gilbert Sau, un ami proche de Barresi, pour leurs transferts. Les deux hommes ont d’ailleurs leurs bureaux au sein du club au moment où Ceccaldi arrive, appelé en renfort par Robert Louis-Dreyfus pour remettre de l’ordre dans les finances. Une situation à laquelle il va mettre fin.
« A certains joueurs qui refusaient de signer avec Sau, se souvient Etienne Ceccaldi, on leur a dit ‘si tu ne signes pas, on va te casser les jambes et tu finiras ta carrière à vendre des salades au marché des Capucins’ »
A travers ce récit des activités de la mafia à Marseille, deux méthodes se dégagent : mettre la pression sur les joueurs pour s’occuper de leurs transferts et empocher de grosses commissions, ou mettre la pression sur les autres agents travaillant avec l’OM pour leur extorquer la moitié de leur commission. C’est ce que raconte Frédéric Dobraje, agent de joueur en charge du transfert de Robert Pirès à Arsenal à l’été 2000. Il raconte comment il a été contacté par le milieu le 31 juillet de cette année : "Trois personnes m’ont approché, et m’ont dit ‘comment on fait, on fait 50/50 ?’, je leur demande 50/50 sur quoi ? Et ils me disent ‘sur la somme que tu vas toucher à Arsenal’ [...] Tout s’enchaîne avec des menaces verbales, incessantes sur mon téléphone portable, ça devenait invivable".
Le témoignage inédit de Frédéric Dobraje
Frédéric Dobraje découvrira qu’il venait d’être approché par François Vanverberghe, neveu de Francis Vanverberghe, dit Francis Le Belge, l’un des gros bonnets du milieu marseillais. Une rencontre qu’il n’a pas oubliée, pas plus que celle avec Jean-Luc Barresi quelques années plus tard alors qu’il s’occupe du transfert d’Hatem Ben Arfa vers Newcastle. Le son de cloche est le même, et il décidera cette fois-ci de se retirer du dossier. Contrairement à l’un de ses jeunes collaborateurs de l’époque, qui témoigne anonymement et raconte s’être lui aussi fait menacer par Jean-Luc Barresi.
« Le seul moyen de diriger l’OM, raconte Vincent Labrune à la police en 2014 alors qu'il est le président du club, c’est de composer et de prendre en compte les forces en présence que sont les agents et l’environnement local, à savoir les figures du milieu local qui gravitent autour du club. »
Si Frédéric Dobraje rencontre Barresi, c’est parce qu’il lui est présenté par un homme que Vincent Labrune décrit en 2014 aux autorités comme étant "le point d’entrée des agents malveillants et proches de voyous dans le système" : José Anigo. Homme fort du club, entraîneur des jeunes, puis responsable du centre de formation, entraîneur de l’équipe première et enfin directeur sportif, José Anigo entretien des liens étroits avec plusieurs personnalités du milieu marseillais, dont Jean-Luc Barresi qu’il aurait renseigné sur les mouvements de joueurs à l’OM pour lui donner un temps d’avance sur les autres agents de joueur, et Richard Deruda, figure du grand banditisme local.
La guerre Anigo/Deschamps
Le récit des activités illégales autour des transferts de joueur à l’Olympique de Marseille que fait Jérôme Pierrat narre également la guerre qui a fait rage entre José Anigo et son ami Jean-Luc Barresi, et Didier Deschamps, entraîneur du club entre 2009 et 2012, et son agent Jean-Pierre Bernès, lui aussi très cité dans le reportage car mis également sous écoute. Un récit dans lequel intervient Rachid Zeroual, numéro 2 du groupe de supporters de l’OM des South Winners. Devant les caméras de France 3, l’ultra marseillais n’hésite pas à raconter comment il est allé mettre un soir la pression à Didier Deschamps dans un restaurant de la ville, le menaçant de "lui décapsuler la tête des épaules", après avoir entendu que Didier Deschamps était en train d’utiliser ses relations à Paris pour se débarrasser de lui.
Que reste-t-il, aujourd’hui, de ces liens entre l’OM et le milieu ? A son arrivée en 2016, le nouveau propriétaire américain de l’OM Franck McCourt s’était lui-même renseigné sur ce qui se tramait dans son futur club, et n’avait pu que constater les dégâts laissés par la mafia. Il avait d’ailleurs choisi d’écarter José Anigo du club. Jean-Luc Barresi a lui été mis en examen le 10 mai 2016 pour recel d’abus de biens sociaux, blanchiment en bande organisée et association de malfaiteurs. Ce mercredi 13 juin sur France 3, Pièces à conviction revient à 23h05 sur tous les éléments de l’enquête.
Les Inrocks