"Vous êtes bien sur la messagerie de Chouchou. Laissez un message après le bip." Fabrice Apruzesse, joueur amateur de 27 ans, n'a pas changé. Ni de surnom, ni d'annonce de répondeur, ni de galaxie. Ce Marseillais pur sucre vit pourtant un rêve éveillé depuis son apparition sur la pelouse de Bordeaux, le 18 novembre, avec les pros de l'OM.
- Quand on est joueur de l'OM, en CFA2, peut-on s'attendre à débarquer en L1 ?
F.A. : Non, à Bordeaux je ne m'attends pas à rentrer quand Mathieu Valbuena se blesse. Je file en urgence à l'échauffement. Il y a des gens prioritaires dans le groupe pro. Moi, j'ai débarqué avec mes affaires, sur la demande du coach adjoint. A l'hôtel, vu que je suis un garçon un peu timide, je reste dans mon coin. Je me demande si je suis vraiment là ! Rafidine Abdullah me conseille. C'est un petit jeune, il a 18 ans, mais il est plus habitué que moi à ce niveau...
- Comment vivez-vous cette rentrée ?
Je ne calcule pas, il reste 20 minutes, je vais me donner à fond. Et j'espère ramener l'égalisation, si je rentre. Je marque, je change tout. Je me sens bien ! Bon, le staff m'a dit que j'ai couru 2,7 km en 17 minutes, c'est énorme !
"Des gens ont voulu faire des photos avec moi à l'aéroport"
- Vous vous cramez, en fait ?
A un moment, on est à l'offesnive sur le côté gauche, on perd le ballon, Obraniak repart avec : j'avais tellement d'envie que je l'ai suivi jusqu'à mon but, alors que ce n'est pas trop mon rôle ! Et après, il fallait tout remonter ! C'est le manque de vécu au + haut niveau.
- Comment la défense adverse vous a-t-elle accueilli ?
Ils ne me connaissaient pas, ils ne savaient même pas d'où je sortais ! Ils s'attendaient à un jeune. Mais ils m'ont eu à l'expérience. A un moment donné, je pars en avance, Henrique me tient le bras, il me déséquilibre, c'était malin, moi je ne m'attendais pas à ça ! En CFA, c'est moi qui le fais, parce que j'ai + de vice. Idem quand je prends le carton jaune : le ballon est entre Planus et moi, on met tous les 2 le pied, à peine je le touche, il tombe, il simule.
- Quels ont été les mots de vos coéquipiers ?
J'ai eu quelques félicitations, malgré la frustration de la défaite. Le lendemain, j'ai fait le décrassage avec Joey Barton, il m'a tapé dans la main et s'est adressé à moi. Je ne parle pas anglais, mais je pense qu'il était content de moi, il levait le pouce !
- Avez-vous souffert des moqueries sur les réseaux sociaux ?
Il ne faut pas regarder que le mauvais côté des choses. Certains joueurs prennent aussi cher, le métier de footballeur est comme ça. Moi, cela m'a surpris, tu ne sais pas pourquoi les gens s'attaquent à toi ! Ce sont les copains qui m'ont parlé du buzz.
- Vous n'avez même pas de compte Twitter.
Certains ont inventé des faux comptes à mon nom, ils ont même parlé en direct avec Dédé Gignac ! Mais bon, ce sont des jeunes de 12 ans qui font ça, ou n'importe qui. J'ai parlé avec Gignac, José Anigo, ils m'ont soutenu, ils sont passés par là. Les collègues de mon ancienne entreprise sont très fiers de moi, ils m'ont rassuré : "Sur ta rentrée, il n'y a rien à dire, beaucoup sont juste jaloux et aimeraient être à ta place. " Depuis ce match, de nombreuses personnes m'ont dit : "Tu as réalisé mon rêve." Certains vendraient tout ce qu'ils possèdent pour avoir ma chance.
"Goûter au Vélodrome, c'est le seul truc qui me fait encore fantasmer"
- A ce point ?
Oui, pour moi, la vie a changé. Je ne réalise toujours pas. Je me dis souvent : "Ce n'est pas possible." Quand on est allés jouer à Vaulx-en-Velin, des gens ont voulu faire des photos avec moi à l'aéroport. Quand je sors du stade, pareil, les petits veulent des autographes, j'ai croisé des personnes avec mon nom floqué sur leur maillot de l'OM !
- Et sur les terrains de CFA2 ?
Les gens me regardent différemment, parce que j'ai connu la L1. Ils font + attention. Je le vois, quand on a reçu Agde, les 4 défenseurs n'osaient pas monter. Leur entraîneur leur ordonnait : "Vous restez en place !"
- L'OM et vous, c'est une histoire longue et compliquée...
Mazargues, l'ASPTT, Bonneveine, le Burel, Vivaux-Marroniers, l'AJ Bosquet-Nereides, Aubagne, Consolat... J'ai dû faire tous les clubs du coin avant de venir ! Jeune, j'ai aussi tapé dans l'oeil de Châteauroux, Sochaux, Toulouse, mais j'étais trop juste au niveau des études. A 15 ans, j'étais tout prêt de rejoindre l'OM, mais j'avais déjà un agent, et le club ne voulait pas que ses jeunes en aient. A 18 ans, l'OM m'a recontacté, mais j'ai préféré rester avec mes amis à Bonneveine. Enfin, en décembre 2011, Franck Passi m'a proposé de rejoindre la réserve, mais Consolat s'y est opposé, à raison, car ils se sont occupés de moi tout l'automne pendant mon retour d'une grave blessure. J'ai finalement signé un contrat de 2 ans au printemps 2012 pour épauler les jeunes en CFA2.
- Gagnez-vous + que dans votre job de chauffeur-livreur chez Rossi Boissons ?
Chez Rossi, je tournais à 2000 € brut/mois, + 300 euros de primes à Consolat. C'est kif-kif bourricot avec mon salaire à l'OM. Mais pour rien au monde, je ne reviendrai en arrière !
- D'autant que vous êtes un Marseillais jusqu'au bout des crampons...
Je vis là où j'ai grandi, à la Madrague de Montredon. Mes parents travaillent à la raffinerie de sucre Giraudon, mon beau-père est pêcheur, j'ai d'ailleurs obtenu moi-même un BEP-CAP de mécanicien bateau. Ma femme est éducatrice spécialisée pour des jeunes en difficulté à Ssainte-Anne, ma soeur travaille au snack de l'hôpital de la Conception. Je n'ai jamais coupé le cordon quand Istres m'a pris dans son centre de formation, j'ai dû renoncer rapidement car j'étais trop loin des miens.
- Qu'avez-vous fait de votre maillot, celui que vous portiez à Bordeaux ?
Je vais retourner voir mon patron, j'ai un cadeau pour lui, je vais lui amener mon tee-shirt d'échauffement. Le maillot manches courtes avec lequel j'ai joué, c'est pour mon père, et les manches longues pour mon beau-père. Il me restera le short, les chaussettes et les vêtements d'échauffement, je ne vendrai rien sur e-Bay, promis !
- Et rejouer avec l'OM en L1, est-ce dans un coin de votre tête ?
S'ils ont besoin de moi, je serai toujours là? Ce n'est pas dans un coin de la tête, je ne me posais pas la question avant d'être appelé. Mais j'aimerais goûter au Vélodrome, c'est le seul truc qui me fait encore fantasmer. J'y ai vu évolué mes premières idoles, Papin, Waddle, Drogba , et celle d'aujourd'hui, Gignac !