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« QUE PENSEZ-VOUS de l’élection de Noël Le Graët à la présidence de la Fédération française ? Qu’est-ce que cela va changer ?
– Caïazzo : Pour une fois, on n’a pas pris un président qui sortait de la filière habituelle, de la dynastie des clubs amateurs. La FFF doit être gérée par des gens qui ont l’habitude des clubs professionnels. L’équipe installée a une compétence. Ça ne veut pas dire que les amateurs ne sont pas protégés. On a voté pour une liste avec des gens en qui nous avons confiance.
– Féry : Sans jeter la pierre à ceux qui étaient là avant, Noël Le Graët va apporter le modernisme, conduire la gestion de la Fédération comme une entreprise. Ces quinze dernières années, les clubs sont devenus des entreprises. La FFF doit travailler en bonne harmonie avec les professionnels. Noël a ces deux cultures, indissociables, du monde professionnel et du monde amateur. Avec lui, le foot est bien armé.
– Caïazzo : Sa liste a tiré Le Graët vers le haut, celle de Duchaussoy l’a tiré vers le bas (lire ci-contre). Il aurait été injuste, vu ce qu’il a réussi au niveau des ressources (le contrat de sponsoring Nike a été négocié à 42,6 M€ chaque année de 2011 à 2018, contre 12 M€ avec Adidas lors de la période précédente), de ne pas lui donner la gestion des dépenses.
– C’est la victoire des professionnels sur les amateurs ?
– Lacombe : Ce n’est pas la victoire des professionnels sur les amateurs (Alexandre Lacombe figurait sur la liste de Noël Le Graët). On est des gens qui sont derrière le football, celui des jeunes, des filles, des pros. Il faut sortir de ça, de cette opposition. Il y a une vraie complémentarité, une vraie vision collective. Ce qui me plaît aujourd’hui, c’est la capacité à décider vite. La structure est la mieux adaptée pour avancer. Il y a un pilote dans l’avion.
– Caïazzo : Il faudra refaire les états généraux. Le livre blanc de L’Équipe, je le reprends régulièrement, c’est une source de réflexion faramineuse. On y arrivera avec une mobilisation de l’ensemble, dans un esprit d’ouverture.
– Féry : On oppose tout le temps mondes amateur et professionnel. Mais la vie d’un club pro est déjà très axée sur le monde amateur, les jeunes, la formation, les familles, l’arbitrage. Vous vivez tout le temps avec le district, avec la région. Un club, ce n’est pas qu’une équipe première. Avec Le Graët, il y aura un mode de fonctionnement nouveau. Ça va aller plus vite désormais. »
« SI L’ON OBSERVE la situation globale du football français et son déficit (130 millions d’euros à la fin de la saison 2009-2010 pour les clubs de L 1 et de L 2), êtes-vous inquiets et, à votre niveau, quelles sont les solutions choisies dans la gestion de votre club ?
– Féry : Il est difficile de parler du sujet de manière générique. L’économie traverse une période difficile et les clubs doivent faire face. Ensuite, chaque club a ses indicateurs propres. Dans l’ensemble, la L 1 se porte bien, elle a une belle attractivité. L’engouement, je ne le vois pas baisser. Le football fait toujours autant rêver les gens. Le nombre de faillites n’a pas explosé. Chez nous, à Lorient, le chiffre d’affaires commercial a été multiplié par plus de deux. Le vrai problème du foot, c’est que ce sont des entreprises qui doivent fonctionner. S’il n’y a pas un groupe ou un oligarque derrière, comme dans des grands clubs européens, il faut pouvoir fonctionner selon son propre modèle. Le football a des revenus éminemment variables. En matière de droits TV, par exemple, la part fixe est de 12 M€, la part variable (en fonction du classement et de la notoriété des clubs) va de 40 à 0 M€. C’est considérable.
– Caïazzo : On est dans un écart de trois et demi alors que les Anglais sont dans un écart de deux (les droits TV en Angleterre atteignent 770 M€ par an pour les droits nationaux, et 560 M€ annuels pour les droits internationaux).
– Féry : La répartition des droits TV est la plus inégalitaire d’Europe. Les revenus sont variables, mais les charges restent éminemment fixes.
– Il y a un manque à gagner. Comment y remédier ?
– Fortin : Il y a quelque chose qui ne change pas dans le football, c’est qu’il est une respiration en fin de semaine. C’est à nous d’en tenir compte avec un consommateur dont le pouvoir d’achat n’évolue pas. Alors, on s’adapte. À Caen, on est passés à la mensualisation pour le paiement des abonnements et ça marche bien.
– Caïazzo : En 2010, deux clubs, Lyon (– 35,1 M€) et le PSG (– 21,9 M€), ont concentré près de la moitié du déficit. Cette saison, Saint-Étienne est pour la première fois profitable. On est sortis du rouge. Le foot français marche avec deux boulets au pied : la suppression du DIC (*), qui coûte 3 M€ sur une année, et l’augmentation des frais de police (pour la sécurité autour des stades) dont les tarifs ont augmenté de 60 % . Ce sont des charges qu’on ne subit pas dans d’autres pays. Nous étions deuxièmes à l’indice UEFA il y a vingt ans. Aujourd’hui, nous sommes cinquièmes. Inévitablement, c’est à cause des charges qui sont supérieures de 30 à 40 % aux autres clubs européens.
– Fortin : Avec le DIC, on vient de subir une modification des règles du jeu en cours de match. Pour les autres produits, je suis obligé de constater une légère défection au niveau du public et une diminution des revenus de marketing. Le foot n’échappe pas au contexte économique. Mais la situation est loin d’être aussi grave que certains veulent le dire. Le déficit vient de trois, quatre clubs. Il est vrai qu’il est difficile pour un club, classé parmi les trois premiers de la L 1, de se lancer dans les compétitions européennes alors que les règles ne sont pas les mêmes. Ç’a pu amener certains présidents à faire des investissements audacieux. À l’arrivée, il y a des déconvenues. Mais il n’y a quand même pas lieu de faire une présentation dramatique.
– Lacombe : Parlons de l’image du foot. D’abord, en France, on n’aime pas les gens qui gagnent et on aime se faire peur. Il y a, certes, un déficit d’image et de compétitivité, mais il faut voir sur douze années, revenir à 1998. On est peut-être dans un petit creux mais la vague reste haute. Le football est un produit qui reste porteur, qui fait rêver les gens. Il y a des difficultés mais on vient d’un très haut niveau. On est beaucoup montés avec des droits très élevés au milieu des années 2000. Tout le monde a voulu du gâteau, surtout les joueurs. Maintenant, vouloir s’autoflageller, ce n’est pas très sain. »
(*) Le droit à l’image collectif. Ce dispositif d’allègement des charges salariales a été supprimé en octobre 2009.
« D’UNE CERTAINE FAÇON, vous présidez tous les quatre un club qui évolue dans l’ombre des grands du football français. En éprouvez-vous de la frustration ?
– Caïazzo : Nous sommes tous des entrepreneurs. Certains sont partis de zéro, ont commencé à vingt ans dans des chambres de bonne. Aujourd’hui, quelle chance un club qui a un budget de 50 millions d’euros, comme nous, a-t-il de gagner la C 1 ? C’est impossible. Nous, notre objectif, c’est d’offrir du spectacle, du jeu, de donner du plaisir aux gens. Si on est envieux parce qu’on ne gagne pas la C 1 dans les trois ans, on a tout faux.
– Fortin : Je conçois ma mission par rapport à ce que réclame l’environnement. L’objectif, c’est de gérer cette entreprise pour qu’elle reste durablement en L 1. Ensuite, c’est produire un jeu qui s’identifie au mieux au terroir, à la région dans laquelle je suis. En Normandie, on est majoritairement rural. Pour faire court, ils veulent être certains que le type sur le terrain se défonce pour son club.
– Lacombe : Comment vit-on dans l’ombre ? Ça dépend de la taille de la loupe. À l’échelle de la France, on est dans l’ombre, à l’échelle européenne encore plus. Sochaux en est à sa 64e saison dans l’élite et le pays de Montbéliard n’est plus ouvrier depuis longtemps. Le club a une histoire, des valeurs. S’en écarter, c’est se mettre en danger. Des clubs dans le monde sont devenus une marque, d’autres restent des clubs de foot. Sochaux entre dans cette catégorie. L’OM représente une marque qui se vend au-delà. Vivre dans l’ombre, ça ne veut pas dire grand-chose. Chez nous, il y a des spectateurs, des entreprises qui attendent quelque chose. Je parle d’un bassin de 300 000 personnes. À nous de ne pas nous écarter de cette histoire. Économiquement, on a besoin des plus gros, mais ils ont besoin de nous aussi. Quand je vois les joueurs formés à Sochaux, on est fiers.
– N’y aurait-il pas un certain confort à occuper cette place dans la hiérarchie, en ressentant moins de pression ?
– Féry : C’est différent. Chez nous, l’ambition est de pérenniser le club en L 1, si possible dans la première moitié, avec la volonté d’avoir une vraie ligne technique sur le long terme. On commence à parler du jeu à la lorientaise. On essaye d’être malin dans le domaine économique. S’il y a la manière, le résultat en découle. Il ne faut pas brader le fonds de commerce. À Lorient, jusqu’à il y a deux ou trois ans, on avait la capacité de recruter en L 2, en National. Je note que depuis trois ans, on recrute à Lens (Monnet-Paquet), à Monaco (Coutadeur), au PSG (Bourillon). Quand il vient chez nous, un joueur sait qu’il divise son salaire fixe par deux. En revanche, il peut gagner beaucoup plus si le club atteint ses objectifs. Ceux qui n’acceptent pas ça ne viennent pas chez nous.
– Caïazzo : Chacun a droit à sa part de bonheur. Si on est malheureux parce qu’on ne joue pas la Ligue des champions, ce n’est pas la peine de continuer. On n’est pas malheureux à l’ombre.
– Fortin : Il est peut-être moins dramatique pour Caen de tomber en L 2 que pour l’OL de ne pas jouer la C 1.
– Féry : Et le LOSC est champion de France en ayant mis le curseur risque au maximum.
– Lacombe : Le niveau de stress est lié au niveau du risque et le risque est financier. Quand je suis arrivé dans le foot, j’ai dit au personnel du club : “ Le jour où je m’occupe plus de mon image que d’autre chose, appelez vite l’actionnaire pour me virer. ”
– Fortin : Quand je gagne ou quand je perds, je suis doublement malheureux car je sais ce que j’ai provoqué chez le supporter. »
« À VOTRE NIVEAU, avez-vous souffert de l’image donnée par l’équipe de France en Afrique du Sud, en juin 2010 ? Avez-vous ressenti une perte d’engouement pour le football chez vos supporters ?
– Lacombe : L’affaire a eu beaucoup moins d’incidence que le buzz qui a été fait derrière. Les gens ont souffert mais il y a quand même eu de grands donneurs de leçons. Les acteurs du terrain, eux, ont fait preuve d’une grande sagesse. Le déballage, jusque dans le monde politique, je l’ai ressenti avec tristesse. C’était surdimensionné.
– Féry : Paradoxalement, ça a servi les clubs un peu plus authentiques.
– Fortin : À Caen, je n’ai rien ressenti. Les clubs qui sont près de leur terroir, ça les a aidés au niveau de leur image. À cause du contraste avec ces gars qui touchent des millions et des millions. Ça a surtout eu le mérite de montrer les carences dans le management du football français.
– Caïazzo : Je veux bien qu’on incrimine les joueurs mais ce sont les dirigeants les plus fautifs. Si vous laissez une équipe avec son entraîneur et ses joueurs sans un dirigeant pour regarder ce qui se passe, où va-t-on ? C’est une faute de management. Pour le reste, nous, nos supporters du foot, ce sont d’abord des supporters des Verts. »
LE QATAR vient de faire une entrée remarquée dans le football français, en se positionnant sur le marché des droits TV et en devenant propriétaire du Paris-SG. L’arrivée d’un tel investisseur est-elle, selon vous, une bonne chose ou un danger ?
– Féry : C’est une super nouvelle pour le foot français et la L 1 et, accessoirement, pour le Paris-SG. On se réjouit tous de leur arrivée, mais imaginer qu’ils vont dépenser leur argent sans compter, c’est mal connaître les Qatariens. Ce sont des investisseurs rigoureux. Et surtout, leurs investissements sont à moyen ou long terme, ils s’accompagnent d’une vision. Ça ne peut que rejaillir positivement sur l’exposition de la L 1 ; ça va peut-être faire venir des stars, donc induire une attractivité plus forte.
– Caïazzo : Le premier contact qu’on a eu avec les Qatariens a été pour l’attribution des droits internationaux de la L 1 (en mai, Al-Jazira a acquis ces droits de diffusion pour la période 2012-2018 contre un total minimal de 195 M€). Tout de suite, on a pris conscience qu’il y avait là une formidable opportunité pour le football français. On a été assez rassurés par le fait que les offres du Qatar n’étaient pas des offres de fous, qu’elles étaient bien pensées, structurées. Ce sont des gens très bien conseillés. J’ai eu l’occasion d’aller au Qatar, ils sont dans une démarche raisonnable : ils n’ont pas surpayé le PSG (pour une somme globale estimée à 45 M€), les droits internationaux ni les droits nationaux (90 M€ sur les 510 M€ par an pour la période 2012-2016). L’important, c’est que ce ne sont pas seulement des gens qui font un chèque. Il y a une stratégie derrière. Ce ne sont pas des petits players. Quand ils viennent, c’est pour être les numéros 1 ou dans les trois premiers. Dans les dix ans qui viennent, par rapport à la Coupe du monde 2022 (organisée au Qatar), on risque de voir ce type d’opération. Concernant les propos de la ministre (*) relatifs à cette entrée, quel est le pourcentage des fonds qatariens dans les entreprises du CAC 40 ?
– Fortin : Ils trouvent que le football français a une valeur bien au-delà de celle décrite par Canal + ou par les autres médias.
– Vous qui revendiquez l’appartenance à un terroir, le rachat du PSG par un fonds étranger ne vous choque pas ?
– Féry : Et Colony, c’était quoi ? Le PSG des années Colony n’était pas si éloigné du PSG des années Canal +. Ce qui compte, c’est la ligne directrice.
– Fortin : Et puis si, nous, on reste sur un sujet terroir, il y a bien longtemps que le PSG n’y est plus.
– Vous-mêmes, auriez-vous accepté une prise de participation d’un tel partenaire dans votre club ?
– Caïazzo : Au PSG, il s’agit d’une prise de participation majoritaire, c’est autre chose.
– Fortin : Au Stade Malherbe, on est entrés à dix actionnaires. La règle était que l’on soit tous à parts égales et tous bas-normands. Mais, pour se donner les moyens de rester durablement en L 1, on peut faire évoluer les règles de départ et accepter, par exemple, des investisseurs haut-normands… (sourire) »
(*) La ministre des Sports avait déclaré : « On préférerait que ce soit les groupes français qui se portent acquéreurs pour la promotion du sport français et du foot français, ça c’est évident. »
« VOUS AVEZ OBTENU 510 M€ par an pour les cinq premiers lots des droits TV portant sur la période 2012-2016. Ce montant vous satisfait-il ?
– Caïazzo : On est contents comme si on menait 1-0 à la 75e minute. Contents mais vigilants.
– Lacombe : On a 510 M€ un an avant de débuter la partie. Ça veut dire qu’il nous manque 158 M€ par rapport au niveau actuel (le contrat actuel rapporte 668 M€ annuels), et il reste quand même quatre beaux lots (qui portent sur les vidéos à la demande, les mobiles, les tablettes…).
– Féry : On peut terminer au-dessus, ou au même niveau, mais on est en avance par rapport au calendrier. N’oublions pas aussi que les droits internationaux se sont vendus plus chers (pour un montant minimal de 195 millions d’euros sur six ans). Il faut mettre en avant que Canal + est notre premier client et doit être traité comme tel. Tous les gens qui participent à cet appel d’offres (Al-Jazira, Orange…) sont nos clients et donc moi, en tant que chef d’entreprise, jamais je n’en parlerai mal. Des erreurs ont été faites.
– Comment avez-vous perçu les déclarations de Michel Seydoux (*) qui ont beaucoup heurté les responsables d’Orange ?
– Caïazzo : Le vrai sujet, c’est la culture de la Ligue en général, pas le discours de M. Seydoux. La Ligue a une culture qui est politique et juridique. Elle a sa valeur, mais nous, nous sommes des chefs d’entreprise. À ce titre, nous voulons associer de plus en plus une culture économique. La notion de client, pour nous, est très importante. Nous voulons aboutir à des relations gagnant-gagnant. Aujourd’hui, l’objectif c’est que Canal + soit content, qu’Al-Jazira soit content, qu’Orange soit content, que les clubs soient contents et qu’on ait un niveau de revenus qui permette un niveau de spectacle. Aujourd’hui, les relations avec Canal + sont en train de se détendre, et on va pouvoir repartir sur des bases normales. Concernant Michel Seydoux, sa réaction a peut-être été un peu épidermique à un moment. Ce n’est pas quelqu’un d’agressif. Après, peut-être que les gens d’Orange se sont aussi servis de ces propos pour justifier un changement stratégique.
– Féry : Il ne faut pas oublier qu’il y a eu un travail de fond très important avec tout le comité de pilotage des droits, dont Michel Seydoux a été un des artisans. Maintenant, on est tous d’accord pour dire qu’il y a eu des erreurs de communication qui ont été faites ces deux dernières années, à la Ligue comme par les présidents de club. On est tous conscients que les diffuseurs sont nos clients nos 1, donc respect total à eux. Une négociation, ce n’est pas dans la presse.
– Pour en revenir aux droits TV, pensez-vous pouvoir obtenir mieux que le précédent contrat ?
– Caïazzo : On n’arrivera pas à 800 M€, ça c’est sûr. Au final, je pense qu’on sera entre – 5 % et + 5 % par rapport au contrat actuel. C’est une réelle satisfaction. »
(*) Dans un entretien à L’Équipe, le président du LOSC avait déclaré le 19 mars : « Un des vrais problèmes d’Orange, c’est l’accessibilité. (…) Je n’ai jamais pu voir un match ! Quand j’arrive à trouver la chaîne, c’est déjà commencé depuis dix minutes. Après, il faut qu’ils “ refreshent ” le machin pendant une demi-heure et le match est quasiment terminé ! »
« QUELLES SONT les relations entre les présidents des clubs professionnels aujourd’hui ?
– Caïazzo : Depuis trois ou quatre ans, en fait depuis que Jean-Pierre Louvel a pris la présidence de l’UCPF (Union des clubs professionnels de football), il y a eu une énorme évolution. Elle est liée aussi au fait que, quand il y a une difficulté économique, comme dans n’importe quel domaine ou n’importe quel pays, on resserre les liens. Mais dans tout ce qui est fait depuis trois, quatre ans, il y a une même direction, il y a une convivialité, il y a une affection – pas entre tout le monde certes, mais tout de même. Sur 40 présidents de clubs (L 1 et L 2), il y en a au moins 25 à 30 qui ont des liens très forts, même s’il y a des sous-groupes.
– Lacombe : Moi, ça fait quatre saisons que je suis là (en poste depuis juillet 2008). Je viens du monde de l’automobile, où il y a des réseaux. La première réunion, c’était une assemblée générale à l’UCPF et j’avais assisté à un pugilat extraordinaire… En quatre ans, on s’est énormément professionnalisés. La manière dont ont été menées les discussions autour des droits TV en est l’illustration : le travail entre l’UCPF et la Ligue ne s’était pas fait de la même manière il y a quatre ans. Même si on est concurrents, il y a beaucoup plus de respect et de solidarité que lorsque je suis arrivé.
– Caïazzo : On peut ne pas être d’accord au départ mais on arrive à un dialogue et à aboutir à une démarche, une ligne directrice. On ne peut pas partir du principe : “On va écraser les petits.” Mais on ne peut pas partir non plus du principe : “Les gros, on ne va pas les considérer car on est majoritaires.” On est dans un système démocratique. Les gros clubs ont compris qu’ils n’avaient pas en face d’eux des “badabeus” (des niais) comme on dit à Saint-Étienne : le président de Caen ou celui de Lorient sont chefs d’entreprise, ce sont aussi des gens qui réfléchissent.
– Fortin : Il y a quatre ans encore, c’était très difficile de vous dire qu’il y avait une connivence entre tous les présidents, car ce n’était pas vrai. Pourquoi ? Certains d’entre eux pensaient qu’ils allaient toujours terminer premiers du Championnat, un autre qu’il ne descendrait jamais en L 2. Et brutalement, ils se sont aperçus de la fragilité des choses. Et, dans ces cas-là, mieux vaut une vraie solidarité.
– Féry : Il y a une vraie confraternité (note: en L1 on devrait plutot parler d'une fraternite de con). C’est ce qui m’a surpris à mon arrivée dans la sphère des présidents : spontanément, tout le monde vous appelle et des liens s’établissent. Même dans les discussions sur des joueurs, ce n’est pas parce qu’on n’est pas d’accord qu’on va s’insulter. Le premier coup de fil que j’ai passé comme président, je crois que c’est à Jean-François (Fortin) pour Éluchans (joueur de Caen de 2007 à 2010). Tu m’avais dit : “Bon, toi le bizuth, là…” (Rire général.) »
« EN CONCLUSION, êtes-vous plutôt optimistes pour l’avenir du football français ?
– Féry : Le système a besoin de maîtrise pour être pérenne. Même si je suis d’accord pour dire qu’un entrepreneur ou un actionnaire a le droit d’avoir des déficits sur quelques années – et pour ça, on n’a pas besoin de la DNCG (Direction nationale du contrôle de gestion). Quand je vois qu’à Lorient on enchaîne notre deuxième année avec un résultat positif et que la DNCG ne trouve rien d’autre à faire que d’essayer de mettre des règles nouvelles pour voir comment on peut réinvestir nos plus-values, on marche sur la tête ! Il faut qu’il y ait des règles, oui, un fair-play financier au niveau européen et français. Renforcer la maîtrise, et tant pis pour ceux qui ne maîtrisent pas, ils tomberont. À côté de ça, on a un très bel avenir. Un : l’Euro 2016 va doter la France de stades supplémentaires. Deux : depuis quelques années, pas mal d’équipes essaient de mettre en valeur le beau jeu. Je suis prudent mais confiant.
– Lacombe : Je suis optimiste. Le point d’amélioration, c’est sans doute l’acceptation du risque financier par rapport à l’enjeu sportif. Là, il y a une vraie difficulté : si on veut progresser, c’est aussi avec des capitaux. Il faut de l’attractivité pour un investisseur. Et là, il y a probablement quelque chose à améliorer pour le foot pro. Voir un club relégué n’a rien de dramatique. Mais, si le club disparaît parce que l’aléa sportif fait que l’enjeu financier devient insurmontable pour l’actionnaire, probablement que quelque chose ne va pas dans le système. À mon sens, c’est un problème d’équilibre : on voit des places fortes comme Nantes, Metz, Monaco ou Lens avec des vraies difficultés, parce que la répartition des droits TV en L 2 est moins favorable (tous les clubs reçoivent la même part) et l’écart financier est trop important (entre L 1 et L 2).
– Caïazzo : Tout le monde a bien compris les enjeux et la nécessité d’agir. D’où une vraie mobilisation de tous les clubs depuis deux ans, qui ont, par exemple, mis en place des plans d’économie. Là, au même moment, on va avoir un maintien du montant des droits TV, les nouveaux stades, des facteurs exogènes avec les Qatariens qui vont peut-être attirer des Saoudiens, des Anglais, etc. Bref, c’est une belle opportunité à saisir. On travaille à tout ça. À un moment, il faudra par exemple se pencher non pas sur des salary caps (salaires plafonnés) mais sur des grilles recommandées de salaires par club, qui pourraient concerner tous les joueurs sauf deux ou trois éléments. Sur le plan sportif, il y a aussi une nécessité d’aller vers davantage de jeu. On doit sensibiliser les entraîneurs à ça. Et miser sur nos forces, comme la formation. On ne peut pas être les clubs les plus riches. Mais, sur la formation, à la base, on est à égalité avec Barcelone ou Chelsea. On a des bassins de population fantastiques.
– Fortin : Dans le contexte économique actuel, il est impératif aujourd’hui de revoir les règles de gestion. Nous, à Caen, depuis deux ou trois ans, notre masse salariale a tendance à diminuer par rapport à l’ensemble des charges. Mais il faut aussi que l’on réfléchisse à trouver des produits supplémentaires. »
« QUE PENSEZ-VOUS du football féminin ?
– Caïazzo : À Saint-Étienne, on a une section féminine. On est 5es du Championnat, vainqueurs de la Coupe de France. Je pense qu’il peut y avoir un vrai développement.
– Féry : À Lorient, on mène une réflexion sur le lancement d’une vraie cellule féminine. Aujourd’hui, les bons clubs féminins ne sont pas forcément dans les mêmes villes que les bons clubs pros masculins. Il y a une problématique de relocalisation. C’est un dossier pour lequel il faut investir : soit on y va sérieusement, soit on n’y va pas. Il faut être dans un cadre budgétaire qui permet de le faire. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas, mais ça fait partie des éventuels développements du club.
– Êtes-vous surpris par la médiatisation de la Coupe du monde qui se déroule actuellement en Allemagne ?
– Lacombe : Vous dites ça parce que vous avez fait la une avec ! (Rire.) En France, c’est tout de même encore timide…
– Fortin : Le développement du football féminin peut aussi avoir un vrai intérêt pour nous, au niveau du remplissage des stades de L 1. On a souvent dit, nous, qu’il était intéressant que les femmes jouent un rôle : si la femme est un peu moteur, au sein du couple, pour aller au match, ça peut faciliter les choses. Maintenant, au Stade Malherbe, on a réfléchi à une équipe féminine. Mais comment serait-elle gérée ? Serait-elle indépendante ?
– Lacombe : Ça passera par une belle perf de l’équipe de France. Il faut qu’à un moment il se passe quelque chose et ça passera par l’élite, comme le Mondial 1998 chez les hommes a tiré le nombre de licenciés et rempli les stades. Il faut tous aller supporter nos filles en Allemagne, ça va créer des vocations, comme Lyon (vainqueur de la Ligue des champions femmes la saison dernière) y contribue. Même si on n’arrivera peut-être pas à 2 millions de licenciées comme en Allemagne, pour l’instant on est à 60 000 (en fait 55 689)… »
Propos recueillis par
JOSÉ BARROSO
et JEAN-MARC BUTTERLIN