Depuis mercredi matin, le patron du club marseillais est entendu par le juge d'instruction Guillaume Cotelle. Il risque une mise en examen pour «abus de biens sociaux, blanchiment en bande organisée, association de malfaiteurs, faux et usage de faux».
Au tour de Vincent Labrune. Les mois passent et les présidents de l’OM défilent dans le bureau du juge d’instruction Guillaume Cotelle, au quatrième étage du palais de justice de Marseille, pour s’expliquer sur les comptes du club. Le 16 septembre, Jean-Claude Dassier, boss de 2009 à 2011, a été mis en examen pour «abus de biens sociaux, blanchiment en bande organisée, association de malfaiteurs, faux et usage de faux». Après quelques minutes d’échanges cordiaux, l’audition était devenue très tendue, avec un Dassier abrupt et un Cotelle acide, qui ajoutait à la mise en examen un contrôle judiciaire sévère.
La traque aux abus de biens sociaux
Vincent Labrune, 44 ans, a eu le temps de se préparer à ce rendez-vous, et les trois thèmes sur lesquels le juge l’attend au tournant. Le premier : sa gestion comme successeur de Dassier à la tête de l’OM, depuis juin 2011, et notamment les transferts de César Azpilicueta (vers Chelsea), Charles Kaboré (vers le Kuban Krasnodar) et Loïc Rémy (vers les Queens Park Rangers), supposément sous-évalués. Le deuxième : son contrôle sur la gestion dispendieuse, ce qui ne la rend pas malhonnête pour autant, de Dassier — Labrune était le président du conseil de surveillance de l’OM entre 2009 et 2011, instance chargée d’inspecter les finances avant et après chaque période de mercato. Le troisième, enfin : la persistance de la commercialisation des 27 000 abonnements en virage par les associations de supporters de l’OM, un reliquat de l’ère Tapie (1986-1994), avec un éventuel manque à gagner pour le club. Une mise en examen semble probable. Et une interdiction d’exercer ? Dans le cadre de l’affaire des matchs truqués de L2, un tout autre contexte, le président de Caen Jean-François Fortin avait été interdit d’exercer par la justice pendant cinq mois.
Un avocat pointe les ambiguïtés du dossier : «Il y a quatre ans, les juges visaient le grand banditisme qui flâne dans le milieu du football, en particulier autour de l’OM. Maintenant, ils traquent l’abus de bien social chez les dirigeants marseillais, ce qui débouchera sur un recel d’abus de bien social chez certains agents, voire une association de malfaiteurs. Sachant qu’ils établissent la valeur d’un joueur sur le site allemand Transfermarkt, tout peut devenir un ABS. Même simplement prolonger le contrat d’un joueur peut être qualifié d’ABS. Et beaucoup d’éléments reposent sur des écoutes téléphoniques où tout le monde calomnie tout le monde.» Les rapports houleux entre dirigeants passés et présents donnent en effet des discussions salées sur les ondes. Dassier balance sur son prédecesseur Pape Diouf, et sur son successeur Labrune, à qui un différend financier l’oppose. Labrune critique à l’envi les largesses de Dassier, qui a offert un contrat mirifique à André-Pierre Gignac en août 2010, tout en l’achetant pour plus de 20 millions d’euros à Toulouse. Didier Deschamps, l’entraîneur de l’OM (2009-2012), s’épanche sur le directeur sportif José Anigo, qualifié de «voyou», lors de ses discussions avec son agent Jean-Pierre Bernès.
Quand Bernès évoque l’OM avec l’Elysée
Le rôle de Bernès interroge. «Avec cette affaire, il fait le ménage parmi la concurrence dans le monde des agents», explique l’avocat marseillais Pierre Bruno, qui défend la cible principale des enquêteurs, l’agent Jean-Luc Barresi. «Il règle ses comptes avec Labrune, qui a préféré conserver Anigo et se séparer de Deschamps au printemps 2012, et ne cesse de fragiliser l’OM», ajoute un proche du dossier. Le contenu de certaines conversations téléphoniques entre Bernès et un membre du cabinet de Nicolas Sarkozy, lorsque ce dernier était l’Elysée, accrédite cette version. Même topo lors des deux auditions de Bernès par les policiers de l’Office central de lutte contre le crime organisé (Oclco) en mai 2012 et en novembre 2014, tout comme celles de deux de ses proches (le coprésident de l’AS Saint-Etienne, Bernard Caïazzo et l’entraîneur des Verts, Christophe Galtier), qui placent l’OM à mi-chemin de Sodome et Gomorrhe. «Bernès est le seul gros agent de l’époque qui n’est pas inquiété, relève un proche du dossier. Les deux prolongations de contrat de Deschamps, au printemps 2010 et au printemps 2011, avec grosse revalorisation salariale à la clé, sont étrangement oubliées par des magistrats et enquêteurs qui pointent pourtant du doigt toutes les transactions de cette période.»
La propriétaire de l’OM, Margarita Louis-Dreyfus, a été auditionnée par l’Oclco à Nanterre, le 7 juin. Frédéric Thiriez, président de la LFP, et Noël Le Graët, boss de la FFF, ont aussi été entendus par les enquêteurs dans cette affaire, à titre de témoins. D’autres dirigeants passés ou présents de l’OM, et plusieurs agents seront convoqués par le juge Cotelle dans les mois à venir.
Mathieu Grégoire
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