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ENQUÊTE
Ligue 1 : un début de saison en enfer
Par Mathieu Grégoire et Grégory Schneider — 25 septembre 2015 à 19:56
Les incidents entre les deux clubs, avivés par l’inimitié de leurs présidents Labrune et Aulas, mettent le feu au football français.
La 8e journée de Ligue 1 se disputera ce week-end, alors que l’avant-dernière n’est même pas refroidie. L’onde de choc du terrible Marseille-Lyon (1-1, deux interruptions dues aux agissements des supporteurs, l’effigie de Mathieu Valbuena sur une potence, deux présidents qui jettent de l’essence à plein jerrican sur le feu) n’en finit en effet plus de se propager, avec la fermeture des deux virages Nord et Sud du Vélodrome, décidée jeudi par la Ligue pro (LFP) à titre conservatoire. Retour sur un conflit olympique.
Jusqu’où ira Jean-Michel Aulas ?
Selon plusieurs témoins joints par Libération, le summum du foutage de gueule de dimanche a été atteint à la mi-temps, lorsque le président lyonnais a affectueusement passé sa main dans la tignasse poivre et sel de son homologue marseillais, Vincent Labrune, devant les caméras de Canal +. Le dirigeant phocéen a souri. Il y avait de quoi : les deux présidents s’étaient insultés dès leur arrivée au stade, l’expression d’une haine proverbiale dans le milieu. Le point de départ est le rapport d’une dizaine de pages remis par Labrune aux instances en avril, visant à démontrer l’influence supposément exercée par Aulas sur les arbitres hexagonaux : depuis, Aulas s’est juré en privé de démolir professionnellement Labrune, la plupart de ses déclarations relatives à l’affaire - «j’ai dit à Labrune que c’était un guignol et qu’il n’allait pas durer dans le foot» - ne pouvant être comprises qu’à cette aune.
Dimanche dernier, les deux hommes ont clos la soirée comme ils l’avaient débutée : par des insultes. Pire : le préfet de police des Bouches-du-Rhône, présent au Vélodrome eu égard à l’important dispositif policier déployé, a eu la stupéfaction de voir Aulas lui descendre dessus en piqué : «Je vous tiendrai pour responsable de tout ce qui se passera ce soir.» Agacé, le préfet a expliqué que s’il mettait des moyens à disposition du club hôte, c’est celui-ci qui devait répondre des dégâts éventuels. Aulas a alors lâché une sentence pour l’histoire : «Mais vous savez à qui vous parlez ? Je suis le vice-président du football français !»
S’il n’est rien de tel dans les faits (la fonction n’existe pas), son influence paraît sans limite, l’air des sommets expliquant - autant que faire se peut - ce déplombage. Le lendemain, interrogé par un journaliste d’i-Télé sur son rôle dans les incidents, il rétorquait en direct : «Voilà une question de garçon de café.»
Où sont les instances ?
Le sentiment de toute-puissance et d’impunité d’Aulas pose la question de la tutelle. Jeudi, le président lyonnais a eu la peau du syndicat historique des présidents siégeant à la Ligue pro, l’UCPF. Première Ligue, sa structure pirate montée pour se délester des présidents de Ligue 2 et faire en sorte que les présidents de l’élite aient la main sur les recettes du foot, a été reconnue par la LFP. Une Ligue pro dont le président, Frédéric Thiriez, avocat de profession, avait apporté une aide juridique à Première Ligue : la petite histoire dit que Thiriez a sauvé sa tête dans l’affaire, une tête qu’Aulas s’apprêtait à couper au printemps. Voilà pour la Ligue, dessinée pour n’être qu’un instrument entre les mains d’Aulas. Au-dessus d’elle, le président de la fédération, Noël Le Graët, n’aura pas dit un mot des incidents de dimanche : tout à un Euro 2016 figurant son grand œuvre et dont il espère déposer le trophée du vainqueur début juillet sur le bureau de son ami François Hollande, le dirigeant est à des années-lumière des contingences domestiques.
Vincent Labrune peut-il tenir ?
Par un communiqué sur le site de l’OM, sa voie d’expression principale, la propriétaire Margarita Louis-Dreyfus a «dénoncé de dangereux débordements». Un soutien classique et policé de son homme lige, Vincent Labrune, qui s’est retrouvé très esseulé cette semaine. Au club, aucun salarié ou dirigeant ne tempère les ardeurs du quadra. Au contraire : Labrune est plutôt encouragé dans ses élans fougueux, à l’image du service juridique, qui a eu la riche idée de lui proposer en mars de balancer à la fédération le fameux dossier dénonçant les saillies d’Aulas sur l’arbitrage.
Dimanche, Labrune s’est donc tout naturellement focalisé sur l’arbitrage plutôt que sur les débordements, avant de rétropédaler le lendemain : «Il y avait un décalage entre mes propos et les débordements en tribune, parce que je n’avais pas connaissance de tous les éléments, dit Labrune. Je n’ai découvert le mannequin de Mathieu que le lendemain, comme le préfet de police d’ailleurs. Et dès le mercredi 16, j’ai demandé le double de stadiers pour que Valbuena puisse tirer les corners.»
«Il ne l’a pas protégé non plus, juge un dirigeant de L1. Il aurait pu dire que Valbuena a choisi un autre projet en partant à l’OL, mais que son club de cœur reste l’OM.» Ereinté par cette affaire et persuadé qu’il va être convoqué par le juge Cotelle dans le dossier des transferts douteux de l’OM, estimant que son travail pour garder une équipe compétitive à moindre coût n’est pas reconnu à sa juste valeur, Labrune pourrait douter. En privé, il a évoqué cet été la possibilité que ce soit sa dernière saison à la tête du club. Un discours qu’il n’avait plus tenu depuis longtemps. Mais il a de la ressource. Et n’a jamais accéléré le dossier de vente.
Les fans de l’OM sont-ils diabolisés ?
La caricature des virages marseillais remplis de hooligans incontrôlables a circulé partout cette semaine. Lundi, l’état-major de l’OM va rencontrer les représentants des groupes de supporteurs avec un mot d’ordre : «Sortir certains éléments troubles qui sèment la zizanie.» Le club voit une même minorité derrière les incidents d’OM-Bastia (le 23 mai), les tags anti-direction de la Commanderie en juin, les dérapages de Groningen (le 17 septembre) et ceux d’OM-OL. Labrune avait déjà évoqué cette frange avec le préfet de police de Marseille le 11 septembre. Trois supporteurs de l’OM, âgés de 18 à 29 ans, ont été jugés en comparution immédiate mardi et condamnés à des peines de quatre à six mois fermes, deux pour jets de fumigènes sur les CRS avant le match, le troisième pour avoir balancé un pastis dans un gobelet de plastique - ce qui fait cher le 51. Deux autres ont été interpellés ce vendredi pour avoir roué de coups un stadier. Certains décideurs du foot français ont pointé la gestion des abonnements, sous-traitée aux groupes. L’OM ne considère pas ce sujet comme brûlant. Il a ouvert le débat avec les associations en 2013 et a avancé la date de récupération des abonnements invendus au 15 juillet. L’OM vend les abonnements au prix coûtant de 155 euros aux groupes, qui les revendent 185 euros à ses membres : un manque à gagner de 675 000 à 900 000 euros pour le club, qui salive surtout sur la hausse des places et loges VIP. Les virages, agents d’ambiance, servant de produit d’appel. Reste que la transparence sur l’identité réelle des détenteurs d’une carte d’abonné s’avère indispensable.