S'ils s'écharpent en public, en coulisses, les présidents de l'OL et de l'OM rêvent de mettre le foot français en coupe réglée.
Terrible soirée dimanche au Vélodrome de Marseille, où l’OM et Lyon ont disputé une rencontre (1-1) en quatre tranches – le temps que les jets de projectiles ou fumigènes sur les joueurs baissent d’intensité – qui a pu s’achever grâce à un double-rideau de CRS, l’ex-milieu marseillais Mathieu Valbuena (passé depuis à Lyon via Moscou) ayant fait l’objet d’une chasse à l’homme d’un autre âge de la part d’adversaires phocéens obsédés par le fait de démolir le «traître» (?) sur le pré. Une parabole indépassable : le footballeur en saltimbanque vulnérable, seul dans la fosse, exutoire des pires instincts d’un public qui l’humilie (l’effigie du joueur accrochée à une potence dans les gradins) et on ne voit pas ce que les 550 000 euros bruts mensuels de Valbuena à Lyon y changent. Le fait décisif de la soirée fut bien sûr l’intervention des deux présidents, celui de Marseille Vincent Labrune donnant quitus à ses supporteurs censément excités par des fautes d’arbitrage («il y a des faits de jeu qui ont conduit à deux ou trois dérapages […] l’OM a une équipe de gladiateurs dans un environnement incroyable») quand celui de Lyon Jean-Michel Aulas insultait Labrune en le traitant de «guignol».
Ils auraient pu expliquer au grand public que leur club respectif vivait grâce aux «traîtres», c’est-à-dire aux transferts et aux mouvements de joueurs, mais non. Labrune aurait aussi pu glisser un mot sur l’arbitre Ruddy Buquet qui, en permettant au match d’arriver cahin-caha à son terme, a sans doute évité à l’OM des sanctions autrement sévères que celles qui seront prononcées par la Ligue pro (LFP), mais il a préféré la politique et la démagogie, invoquant en creux on ne sait quelle mafia pro lyonnaise : si les supporteurs ne pèsent plus très lourd – via les recettes de billetteries – dans le budget des clubs, ils conservent un pouvoir de nuisance important puisque les violences et les dégradations diverses retomberont sur l’OM : du coup, il faut bien se coucher de temps en temps.
Il faut quand même savoir que ces deux lascars sont en train d’écrire le foot français du futur : la réforme de la gouvernance qu’ils appellent de leurs vœux et qui a conduit les présidents de Ligue 1 à démissionner en bloc de l’UNFP (le syndicat des patrons de club) en août leur donnera toutes les clefs. Comme quoi on peut s’écharper les soirs de matchs et jouer la même musique en coulisse – encore un truc que le public mérite de savoir. A part ça, depuis une bonne dizaine d’années, le président de la LFP Frédéric Thiriez a multiplié les tentatives pour mettre la main sur les arbitres via leur mode de désignation pour tel ou tel match : Thiriez étant un jouet dans les mains des dirigeants de club en général et d’Aulas en particulier, on frémit à l’idée de voir les présidents duettistes qui se sont donnés en spectacle dimanche maîtriser statutairement les derniers à jouer le rôle de garde-fou les soirs de grand délire.
Le foot français va mal. A la manœuvre, Aulas est en train de donner à ses collègues présidents une sorte de baiser de la mort et personne ou presque ne s’en rend compte. A part ça, Valbuena, d’une tenue exceptionnelle dimanche, est allé visiter le vestiaire de ses anciens partenaires après le match comme si de rien n’était : «Ils étaient contents de me voir.» L’international tricolore est une manière d’artiste, au sens littéral : celui qui, par son éclat, sa posture et son action, révèle les déviances et bassesses du monde qui l’entoure.