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La semaine dernière, le président de l'OM avait accepté d'évoquer la face cachée des transferts, avec ces intermédiaires qui viennent se greffer sur des opérations financières pas toujours claires. Un éclairage instructif, alors qu'il a été placé mardi en garde à vue.
LE 12 NOVEMBRE, nous avions sollicité Vincent Labrune, par téléphone, pour un dossier à paraître prochainement, concernant notamment les intermédiaires qui peuvent se greffer sur un dossier lors d'un transfert.
L'entretien a duré plus de quarante-cinq minutes. Le président de l'OM avait des choses à dire. Certains des propos qui suivent, pas tous, ont été tenus en « off ». Pourquoi alors les publier aujourd'hui ? Ce n'est pas pour enfoncer le dirigeant phocéen, placé mardi en garde à vue sur ordre de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière et de l'Office central de lutte contre le crime organisé.
Mais, au vu des événements de ces derniers jours, il nous a semblé que les déclarations tenues par Labrune la semaine dernière pouvaient éclairer, en partie, les raisons pour lesquelles il a été entendu ces dernières heures par la police. Dans le verbatim qui suit, le président marseillais détaille précisément les coulisses de certains transferts de son mandat et les rapports qu'il entretient avec Farid Ayad, placé lui aussi en garde à vue mardi. Sans entrer dans les détails des affaires qui intéressent les juges, c'est-à-dire celles concernant André-Pierre Gignac ou Souleymane Diawara, il dévoile un système opaque et compliqué, où l'on flirte en permanence avec la légalité. Et on comprend que l'OM ne doit pas être le seul club concerné...
Sa relation avec Farid Ayad« Je pense qu'il bosse mieux que les autres, c'est mon problème »
« JE SUIS SUPER COPAIN avec Farid Ayad. Je l'ai rencontré à l'été 2012. Un jour, il m'appelle, je ne le connaissais pas. José le connaissait. Il me dit : “Bonjour, je peux avoir une offre pour Loïc Rémy de West Ham, voire peut-être pour Alou Diarra.” On était en plein dégraissage, c'était l'époque où Baup était arrivé à la place de Deschamps. Je lui ai dit : ‘‘Si vous m'amenez les gens de West Ham et qu'on fait un deal, je vous donne une commission ou je vous fais un mandat de vente.'' C'était mon premier transfert à l'étranger.
Une semaine après, on organise un rendez-vous à Marseille. Farid Ayad arrive avec Willie McKay (un agent anglais), qui avait le mandat de West Ham, un dirigeant de West Ham, un ancien joueur que je ne connais pas et un téléphone. On a fait une conf call avec David Sullivan, le propriétaire. Je lui dis que je ne vends pas Loïc mais pour Alou, je veux bien discuter. En deux heures, on fait le deal. Le joueur n'était même pas au courant. Après, on appelle le joueur, il est OK. Sur cette affaire-là, je devais payer Farid. Mais il n'a pas de licence d'agent. Sauf que moi, je ne le savais pas. (...) Quand il a fallu le payer un ou deux mois après, il est venu au club faire le contrat avec un mec qui avait sa carte d'agent. Farid avait son papier de collaborateur, la convention entre eux. Donc, moi de bonne foi… Je ne savais pas que Farid n'était pas agent. Est-ce que ça veut dire qu'il travaille moins bien ? Je pense que Farid bosse mieux que les autres, c'est mon problème. Il est hyper pro, surtout pour la vente de joueurs, ce qui est un sujet central pour mon club.
J'ai pris l'exemple de Farid car je parle souvent avec lui, mais je peux en prendre plein d'autres. Dans 95 % des cas, les agents avec qui on parle sont soit collaborateurs d'agents, soit n'ont pas d'équivalence en France. (…) Je préfère au final payer le mec avec qui j'ai discuté de bout en bout plutôt qu'un type que j'ai vu à une ou deux reprises. »
Les intermédiaires« La moitié des agents qui ont une licence sont des couvertures »
« AUJOURD'HUI, n'importe qui peut être agent. Ne soyons pas naïfs. Ils font comment les grands personnages sulfureux, qui ont envie d'aller dans le football ? Ils trouvent des petits à la sortie des écoles, ils leur font passer le diplôme et aujourd'hui la moitié des agents qui ont une licence sont des couvertures pour d'autres mecs. Ça existe déjà.
Il y en a même qui exercent le métier et qui n'en ont pas le droit, le meilleur exemple étant Jean-Pierre (Bernès*). Mais ce n'est pas le sujet. Si le système de sélection des profils à l'entrée était nickel, je serais favorable à ce qu'il soit maintenu en l'état. Mais étant donné qu'aujourd'hui la plupart des mecs qui ont des licences sont des couvertures pour d'autres, c'est une grande forme d'hypocrisie. Tu peux discuter avec des mecs en costard-cravate, qui sont nickels, il n'y a pas de problèmes, et tu te rends compte six mois après qu'ils ont reversé de l'argent à Pierre, Paul, Jacques ou je ne sais pas qui…
Il y a trop d'argent en jeu et il faut arrêter de croire qu'il n'y a qu'une seule personne qui peut représenter un joueur sur des très gros transferts, c'est impossible. Nous, on est le club le plus inspecté et celui qui a été le plus sanctionné historiquement. On a mis en place les plus grosses procédures de contrôle. S'il y a bien un club qui fait gaffe, c'est nous mais à un moment donné, tu es rattrapé par un principe de réalité. Il y a des agents proches de moi, qui parlent avec moi, ils n'ont pas de licence et je ne le sais même pas. (...) C'est un truc de fou.
À la sortie d'un mercato, t'es épuisé. Pour les 10 % de ton temps que tu passes vraiment à faire du business, 90 % du reste tu gères des mecs qui essayent de se mettre dans tes dossiers. Je comprends au fur et à mesure le système car la gestion des agents au départ c'est José (Anigo), qui s'occupe de ça chez nous. Depuis 2013, il avait un peu la tête à l'envers et n'avait plus trop envie de faire ça. J'ai commencé à m'y mettre sérieusement à l'été 2013. Et ce que je constate, c'est que, quand c'est le transfert, là il y a beaucoup de monde. »
(*) En fait, Jean-Pierre Bernès a obtenu sa licence FIFA d'agent de joueurs en 1999, trois ans après la levée de l'interdiction qui pesait sur lui d'exercer des fonctions officielles dans le football professionnel.
Le transfert de Valbuena« Alors on doit payer l'agent russe ou croate, je ne sais plus »
« VALBUENA, je n'avais pas d'offres, j'ai commencé à paniquer. J'ai vu que Meissa (N'Diaye) avait vendu Vainqueur au Dynamo Moscou. J'ai appelé Meissa pour lui demander qui avait ses entrées au Dynamo, lui ou Roland Duchâtelet, le président du Standard de Liège, que je connais un peu. Je lui demande s'il veut proposer Valbuena et me mettre en relation avec les mecs.
Derrière, les intermédiaires qui font les transferts pour Moscou m'ont appelé. Ils m'ont envoyé une lettre selon laquelle c'était eux les représentants, ils m'ont envoyé le contrat avec les deux clubs et même la proposition écrite pour le joueur. Après, le joueur a dit un coup oui, un coup non. À la fin, c'est oui. Alors on doit payer l'agent russe ou croate, je ne sais plus. Le mec nous envoie sa licence, qui n'est pas valable en France. Donc, on a filé le mandat de vente à Meissa, qui ne voulait même pas au départ. Mais je lui ai dit : ‘‘On a un problème, on ne peut pas payer le mec.'' Donc on lui a filé le mandat de vente, ce n'était pas incohérent parce que c'est Meissa qui, dans les faits, a permis de réaliser la vente. Bernès (l'agent de Valbuena), lui, a été géré en direct par les Russes.
Dans cette affaire précise, si on n'avait pas fait de mandat, on était dans une merde noire car, en face, on avait des agents russes qui ont tout fait pendant un mois pour faire le deal et qu'on ne pouvait pas payer parce qu'ils n'avaient pas la licence. On aurait pu avoir des problèmes. »
Les collaborateurs d'agents sans licence« C'est un système pas con »
« LA FÉDÉRATION est très laxiste dans la gestion des agents… Quasiment systématiquement, on se retrouve avec, en face de nous, plusieurs personnes, les parents, les agents ou une autre catégorie en développement qui sont les collaborateurs d'agents. Ce sont des mecs qui n'ont pas de licences mais font des conventions avec les agents et c'est un système pas con. Souvent, les agents vont faire bosser un collaborateur parce que le mec a de bonnes relations avec tel club ou tel club. Et ça peut te permettre, notamment dans le cadre d'un départ, de faire accélérer certains dossiers. Regarde quand tu parles avec Mendy et Frelot, qui ont pignon sur rue depuis quinze ans. J'ai toujours considéré, quand je suis arrivé à l'OM, que l'agent de Mandanda et des frères Ayew, c'était Étienne Mendy. J'ai toujours, toujours parlé avec lui depuis dix ans. Pour moi, l'agent c'est lui. Le jour où je renégocie le contrat d'André Ayew en 2011 pour enlever une clause, je n'ai parlé exclusivement qu'avec 1) Étienne Mendy, 2) le joueur, 3) en bout de piste son père, qui, en plus n'est pas n'importe qui à l'OM (Abedi Pelé). Ce qui m'allait assez bien, en fait, parce que c'était clair. Sauf qu'à la fin quand on a fait le contrat, c'est Pierre Frelot qui est venu. J'ai compris à ce moment-là qu'Étienne Mendy n'était pas l'agent au sens littéral du terme. C'est le collaborateur d'agent. »
Les familles de joueurs« L'entourage de Batshuayi, c'est de la nitroglycérine »
« TOUT LE MONDE aujourd'hui va dire que tu parles avec l'agent mais ce n'est pas vrai. Tu parles autant avec l'agent, qu'avec le père, le frère, le correspondant ou je ne sais pas qui. Au bout de la chaîne, c'est la famille qui décide. Après ça dépend des cas, il y a des familles qui font plus ou moins d'entrisme…
Mais je vais vous donner un exemple plutôt bien géré, c'est celui de Michy Batshuayi. Il a un entourage, c'est de la nitroglycérine. On le suivait depuis septembre (2013). Entre les parents, les oncles et l'agent belge, c'était un sac de noeuds. Personne ne s'entendait et ça a impacté très fortement les performances du joueur. Entre janvier et mars dernier, il ne mettait plus un but.
Meissa N'Diaye (un agent français proche de Labrune) s'est mis au milieu car il avait Vainqueur et un autre joueur au Standard de Liège. Il a réussi à récupérer le joueur en obtenant des parents qu'ils ne s'immiscent pas dans les discussions avec nous. Ça lui a coûté de l'argent, il a fait des procès mais c'est son problème. Dans les faits, ça nous a aidés. Avec Meissa, qui est intelligent, comme interlocuteur, c'était carré. Sinon on n'y serait pas arrivé. »
Farid Ayad, le nouvel élément
Placé en garde à vue mardi, le collaborateur d'agents, qui n'a pas de licence en France, fait partie des intimes du président marseillais. Son nom apparaît pour la première fois dans cette affaire.
FARID AYAD, présumé innocent jusqu'à preuve du contraire et dont la garde à vue a été levée tard hier soir, fait partie des nouveaux noms apparus dans l'affaire qui touche l'OM. À Marseille, il n'est pas inconnu. Mais comme le dit Vincent Labrune (voir ci-dessus), il a d'abord traité des dossiers avec José Anigo, l'ancien directeur sportif, avant de se rapprocher du président du club phocéen à l'été 2012, lors du transfert d'Alou Diarra à West Ham. Depuis, les deux hommes sont devenus amis.
Au point qu'Ayad n'a pas hésité à appeler les journalistes pour défendre le président marseillais et donner des informations divergentes de celles de Marcelo Bielsa après la fameuse conférence de presse de l'entraîneur argentin contre ses dirigeants en septembre dernier. Ce n'est pas le seul intermédiaire ou agent du monde du foot à avoir ce privilège, mais Ayad est souvent invité dans la maison de Labrune à Saint-Rémy-de-Provence. À l'OM, il fait vraiment partie du cercle proche, des hommes de confiance. C'est lui qui a fait venir Joey Barton, avec l'agent britannique Willie McKay. C'est aussi lui qui s'occupait des intérêts de Morgan Amalfitano. D'où son embarras quand le milieu offensif a fait sa sortie au vitriol contre Labrune après son transfert à West Ham cet été…
Ancien libéro gaucher, Ayad, originaire de Colombes, en région parisienne, comme son cousin Smaïl Bouabdellah, présentateur sur beIN Sports, a fait du foot en DH à l'ES Colombienne. Avant de se lancer dans le métier d'agent, sans avoir la licence française mais… malienne, si l'on en croit le site de la FIFA. Ancien collaborateur de Fabien Piveteau, il s'est fait connaître d'abord avec Michael Essien, dont il s'occupait à Bastia avec l'ancien gardien devenu agent. C'était il y a plus de dix ans. Depuis, son frère, Yacine, travaille aussi dans le milieu des agents.
HIER, dans nos colonnes, Christophe D'Amico, soupçonné d'avoir été un intermédiaire trouble dans le transfert d'André-Pierre Gignac à l'OM, indiquait : « Le transfert de Gignac est transparent. J'ai été payé comme rapporteur d'affaires par la société de Mike Morris (un agent anglais basé à Monaco). »
Les choses ne sont pas si limpides. La loi n° 84-610 du 16 juillet 1984, relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, est claire. L'article 15-2 dit : « Toute personne exerçant à titre occasionnel ou habituel, contre rémunération, l'activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d'un contrat relatif à l'exercice rémunéré d'une activité sportive doit être titulaire d'une licence d'agent sportif. »
La FIFA va déréglementer le métier d'agent
Tous les autres cas sont exclus, sauf celui des avocats, depuis la loi du 28 mars 2011. « On peut établir une convention d'apporteur d'affaires, explique un agent de manière anonyme. Si tu n'es pas dénoncé et que tu payes tes impôts, ça peut passer inaperçu. On peut aussi déclarer une tierce personne comme collaborateur. Mais selon la loi, le collaborateur doit avoir un rôle administratif. S'il gagne plus que l'agent, ça fait bizarre… Mais dans les deux cas, ce sont des pratiques interdites par la loi. N'importe quel juge qui met le nez là-dedans peut requalifier le truc en exercice illégal du métier d'agent. » Bientôt peut-être, ces pratiques ne seront plus hors la loi. La FIFA a entériné au 1er avril 2015 la déréglementation du métier d'agent. N'importe quel intermédiaire pourra désormais conclure un transfert, sans avoir besoin d'une licence. Mais, en France, tant que la loi n'est pas modifiée, le droit actuel continuera à s'appliquer pour le moment.
l'Equipe