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OM : Labrune, la saison de vérité
En remettant l'avenir sportif de l'OM entre les mains d'un seul homme, Marcelo Bielsa, le président olympien joue gros. Si ça marche, il aura gagné un sacré pari. Mais si les résultats ne suivent pas, sa position sera fragilisée. Portrait
VLB passe beaucoup de temps dans son bureau de La Commanderie. Installé dans l'arrière-pays provençal depuis deux ans, il a petit à petit délaissé ses affaires parisiennes pour se consacrer quasi exclusivement à l'OM.
Chaque matin, ou presque, c'est le même rituel. Une imposante (et luxueuse) berline l'attend, près de chez lui, dans l'arrière-pays provençal. Vincent Labrune s'y engouffre, smartphone prêt à vibrer. En trois quarts d'heure, l'Audi A8 noire, conduite par le chauffeur du club, effectue le trajet d'une centaine de kilomètres entre les Alpilles et La Commanderie. L'allure est soutenue.
Depuis que le président olympien a choisi de s'installer dans le Sud de la France, durant l'été 2012, le trajet est quasi quotidien. Voilà déjà deux ans que l'homme de confiance de la famille Louis-Dreyfus a délaissé la capitale, d'où il gérait par ailleurs sa société de conseil en communication et ses intérêts dans une boîte de productions, pour se rapprocher du Sud de la France.
Sur le dossier du loyer du stage Vélodrome, VLB a tiré les ficelles dans l'ombre
Enchaîner les vols, passer d'une ville à une autre en un rien de temps, vivre dans les hôtels, VLB adorait pourtant cela. Jusqu'à un certain point. Alors il a tranché, en se rapprochant de l'OM et de Marseille, où son image a pourtant toujours été sujette à diverses interprétations, justifiées ou non.
Décrit (à tort) comme un as de la communication, il préfère surtout tirer les ficelles dans l'ombre en envoyant ses hommes au front, comme il l'a récemment fait dans le conflit qui a opposé le club à la Mairie, au sujet du loyer du stade Vélodrome.
Les rôles étaient clairement définis à l'avance et c'est Philippe Pérez, le glacial directeur général, qui tenait celui du méchant. Ces derniers temps, l'Orléanais de 43 ans a aussi pris ses distances avec la presse. "J'ai mis en place une stratégie avec mes équipes que j'applique. Je ne suis pas là pour vous faire plaisir, mais pour mener au mieux les discussions dans l'intérêt du club et de l'actionnaire", nous expliquait-il la semaine passée pour justifier son absence médiatique dans le conflit avec la Ville de Marseille.
L'homme qui murmurait jadis à l'oreille des journalistes préfère désormais se concentrer sur l'essentiel : mettre son nouvel entraîneur, Marcelo Bielsa, dans les meilleures conditions pour réussir.
Après le fiasco de la saison passée, il sait pertinemment qu'il abat sa dernière carte, celle sur laquelle il sera jugé, celle qui crédibilisera - ou non - son passage dans le fauteuil de président de la maison blanche.
Si la révolution promise fait pschitt, la position de VLB sera inévitablement fragilisée. Il a donc fait passer le message : personne ne doit contrarier El Loco, unique maître à bord du navire phocéen. Les mystères le concernant sont donc entretenus.
Et le véritable motif de son absence - durant quatre jours, du 20 au 24 juin - à la reprise n'a été communiqué qu'à un tout petit nombre de personnes, en qui le président a entièrement confiance.
"Il est passionnel, sanguin"
Une cigarette au bec, le téléphone portable à l'oreille, un ballon de (bon) vin rouge à la main dès que la nuit tombe, Vincent Labrune consacre la majeure partie de son temps à son projet OM. Même lorsqu'il donne l'impression de parler d'autre chose, d'être lassé ou fatigué. "Qu'on le veuille ou non, on ne pourra jamais lui enlever qu'il se saigne pour son club, insiste Bernard Caïazzo, président du comité de surveillance de l'ASSE, qui le connaît sur le bout des doigts.
On peut toujours dire : 'Il est bon, il n'est pas bon, untel était meilleur, etc.' Mais la question, c'est : est-ce qu'il se défonce pour ce club ? Oui. Il ne lâche rien. C'était assez courageux de sa part d'avoir pris la présidence. Il a changé de vie et abandonné une partie de ses affaires. Il s'est impliqué à 200% dans l'OM et a mis les mains dans le moteur."
Capable d'entrer dans une colère noire, puis de passer très rapidement à autre chose en tapant sur l'épaule de son interlocuteur, VLB a par exemple récemment obtenu gain de cause devant d'autres présidents de Ligue 1 qui demandaient la diminution du quota (de 5 à 2,5 %) de places allouées aux supporters visiteurs.
"Il est passionnel, sanguin. Vous pouvez être copain avec lui sur tout, mais dès qu'il s'agit de défendre les intérêts de l'OM, il ne connaît plus personne", ajoute le dirigeant stéphanois.
Du côté de Canal + et de beIN Sports, il n'est d'ailleurs pas rare que l'on reçoive des appels au cours desquels Labrune, qui a démarré comme attaché de presse à France Télévisions, se plaint de la programmation d'une rencontre. De la même manière, il dégaine son portable dès qu'il juge qu'un article est défavorable à son équipe.
Sur le front du mercato, il est le même. Dernièrement, il a par exemple contacté Élie Baup, comme si de rien n'était (il l'avait limogé au mois de décembre), afin de le prévenir que Lucien Favre, entraîneur du Borussia Mönchengladbach, allait lui demander quelques renseignements au sujet de Jordan Ayew.
"Dès qu'il s'agit de défendre les intérêts de l'OM, il ne connaît plus personne"'
Il a aussi fait marcher son réseau pour envoyer le Ghanéen à Lorient, en faisant appel à son ami Loïc Féry, à qui il avait lui-même rendu service l'été dernier en enrôlant Mario Lemina à la dernière seconde. Au fil du temps, le patron phocéen s'est pris au jeu des transferts, même s'il est parfois difficile à suivre.
En ce moment, il multiplie ainsi les tentatives pour trouver un point de chute aux Olympiens dits "sur le départ", histoire d'alléger considérablement la masse salariale. Le dossier Valbuena refermé, il doit encore se séparer de l'un des cadres (André Ayew ?).
Hanté par les conséquences de la taxe à 75 %, "il se bat comme si le club lui appartenait, relève Jean-Raymond Legrand, ex-président de Valenciennes qui a eu à traiter avec lui. On a eu des discussions sur certains joueurs et je peux vous dire qu'il n'a pas fait de cadeaux. Il se bat autant qu'un Jean-Michel Aulas."
"La différence, c'est qu'il est plus sympathique !", se marre Caïazzo, qui trouve tout de même un point commun aux deux hommes : "Vincent vérifie toujours tous les paramètres de l'environnement d'un match. Qui arbitre, quel résultat l'OM a fait quand celui-ci officiait... Aulas et lui sont les deux présidents qui regardent le plus ce genre de choses : est-ce que l'assistant a changé à la dernière minute ? Pourquoi ? Qu'est-ce qui s'est passé ?"
"Il connaît bien le football et les joueurs, renchérit Jean-Pierre Louvel, président du Havre, qui lui a cédé Benjamin Mendy et Brice Samba. Si je prends l'exemple de celui-ci, il a été le premier à m'en parler, alors qu'il n'était absolument pas connu. Il n'avait fait que quelques matches en réserve chez nous, il était tout jeune. Ce qui montre bien qu'il approfondit les choses, qu'il ne les fait pas à la légère. Après, on peut être d'accord ou non sur certains sujets mais il a toujours été excessivement correct dans nos échanges. Ça a toujours été propre. C'est un élément très important dans notre milieu."
Susceptible sur le cas Bielsa
Très proche des joueurs - certains n'hésitent pas à l'appeler régulièrement, même les jours de repos -, VLB laisse rarement sa chemise blanche et sa veste au placard. Même si ça peut parfois lui arriver le vendredi, pour le "Friday wear".
Côté pile, il blague avec ses hommes. Côté face, il explique en coulisses qu'ils ont mené la vie dure à Élie Baup, puis José Anigo. S'il a choisi Marcelo Bielsa, c'est aussi pour qu'il ramène de la discipline au sein de l'OM.
Et n'allez surtout pas lui dire qu'il prend un risque en misant sur un technicien étranger. "Il y en a toujours un quand on prend un nouvel entraîneur, étranger ou pas, clame-t-on dans sa garde rapprochée. Pourquoi personne n'a posé ce genre de question quand Paris et Monaco ont fait le même choix ? Bielsa est étranger mais correspond parfaitement aux critères de reconstruction du jeu et du fonctionnement du club énoncés par Vincent il y a plus d'un an."
Du projet Dortmund au clan sud-américain, Labrune aura tout tenté pour remettre l'OM dans le droit chemin. Son dernier coup de poker sera-t-il le bon ?
Alexandre Jacquin