Information
capital.fr
Qu'auriez-vous fait à la place d'Arnaud Marion pour remplumer Doux ?
Prisma Media
Si les Français adorent manger de la volaille - le poulet n'a pas connu de crise sanitaire de l'ampleur de la vache folle -, ils font attention au prix. et sur ce point, le spécimen made in Brésil bat largement le gallinacé produit en Bretagne, grâce à un coût de production inférieur de 35%. Résultat: sur dix poulets consommés en France aujourd'hui, quatre viennent de l'étranger. Certes, Charles Doux (récemment décédé), patron éponyme du groupe volailler, avait su anticiper en achetant le brésilien Frangosul dès la fin des années 1990. Mais cela n'a pas sufi et le roi du poulet va continuer de souffrir de cette concurrence. Difficile de rester compétitif quand on exploite depuis plus de cinquante ans des abattoirs en France, situés dans le Finistère et en Vendée...
Lorsque son groupe se retrouve au bord du gouffre en juin 2012, Charles Doux est âgé de 74 ans et possède encore 80% du capital, aux côtés de BNP Paribas. Le feu a pris dans le poulailler: l'endettement atteint un niveau colossal (400 millions d'euros, presque autant que le chiffre d'affaires!) et Doux perd de 3 à 4 millions d'euros par mois. Au tribunal de commerce, les repreneurs se bousculent, mais les options qui se présentent n'ont rien de réjouissant...
Trois solutions s'offraient à lui :
- Nouer une alliance avec un autre producteur de volailles
les candidats à la reprise des sites industriels se bousculent. Les producteurs de volailles duc, Glon Sanders, LDC, Sofiprotéol déposent une offre au tribunal de commerce de Quimper. Ils ont l'avantage d'être français, donc de plaire à Bercy, mais est-ce une bonne option de confier son avenir à d'autres volaillers, eux aussi soumis aux restrictions des aides européennes et à la santé fragile?
- Accepter la reprise du groupe par une banque
parmi les candidats à la reprise figure Barclays, l'un des principaux créanciers du groupe. Favori de Bercy, le banquier propose de prendre 20 millions d'euros de dettes à sa charge, mais entend pouvoir convertir une partie de sa créance afin de prendre le contrôle de la société. Le patriarche Charles Doux doit-il se laisser séduire par l'offre d'un acteur qui ne connaît rien à l'aviculture?
- Tenter de restaurer la compétitivité de l'entreprise en France
Maître dans ses murs avec 80% du capital, Charles Doux peut tenter de restructurer son entreprise. Il peut céder une partie du capital et participer à la reprise, notamment avec l'aide des éleveurs. d'autant que son fils Jean-Charles, à la tête de père dodu, la pépite du groupe familial après l'export, veille. Mais se relancer dans un secteur dépendant des aides européennes tient de la gageure.
Il a choisi l'option 3, la plus inattendue
Fort de son réseau, Arnaud Marion, manager de crise, relance le business
"Tristesse et émotion pour nous tous", a twitté Arnaud Marion le 12 février dernier. Le président du directoire du groupe Doux venait d'apprendre le décès de Charles Doux, à 76 ans. Une page de plus se tournait pour l'entreprise familiale, dans la tourmente depuis une dizaine d'années. Charles Doux, depuis 1975 à la tête du groupe fondé en 1955 par son père, avait quitté l'opérationnel en avril 2013. Il aura eu le temps de voir qu'il avait fait le bon choix en allant chercher Arnaud Marion, 48 ans, pour lui succéder en mai 2012, alors que son groupe, voguant de plan social en plan social, était en pleine tempête, asphyxié par un endettement abyssal de plus de 400 millions d'euros.
Arnaud Marion, cet urgentiste pour entreprises en détresse connu pour avoir redressé les chantiers Baudet ou le lido, ignore tout de la filière avicole lorsque Charles Doux l'appelle un samedi de mai 2012, un week-end de la pentecôte, à quelques jours d'un dépôt de bilan qui semble inévitable. «Charles m'a demandé d'être le conseil de la famille. A l'époque, aucune hypothèse de reprise ne tenait la route. Ni l'offre de Tilly-Sabco ni celle de Glon Sanders. Un an après, le premier a mis un genou à terre et le second a dû vendre un abattoir. Quant à l'offre de Barclays, cela aurait donné lieu à un carnage économique et social.» surtout, Charles Doux ne veut pas sortir du capital et cherche un allié. Il l'a trouvé. Arnaud Marion débarque en Bretagne le lundi qui suit l'appel.
Négociation et fermetures. Secondé par Jean-Charles Doux, fils de Charles, Arnaud Marion déclenche un plan d'urgence. étape vitale: convaincre les créanciers de lâcher un peu de lest. La Barclays accepte de revoir son ardoise à la baisse (10 millions d'euros), une autre banque renonce à 5 millions. Quelques sites industriels sont fermés, comme une usine située près de Quimper ou le site morbihannais de Plouray, vendu 19 millions d'euros. Il faut couper les branches mortes. déficitaire depuis des années, le pôle frais, trop petit par rapport à ses concurrents, n'y survivra pas. Ses 1 000 emplois non plus. Mais cela ne suffit pas. en juillet 2013, nouveau coup dur: Bruxelles suspend ses subventions à l'exportation pour les poulets congelés. Or doux se maintient grâce à l'export (80% du chiffre d'affaires) dans une centaine de pays. Cinquante millions d'euros envolés d'un coup! le nouveau patron n'est pas dupe: « l'export dégage 20 millions d'euros de résultat d'exploitation mais vit grâce à 60 millions de subventions.» il fera sans.
Actionnariat renouvelé. Arnaud Marion a beau éplucher les comptes et chasser les dépenses superflues dans un groupe dont les coûts de structure étaient prévus pour un chiffre d'affaires de 1,5 milliard d'euros, l'endettement reste élevé. Heureusement, ayant travaillé pour près de 200 sociétés en difficulté, il connaît du beau monde.
il a ainsi croisé Didier Calmels, un repreneur qui a eu son heure de gloire avec le maroquinier le tanneur, revendu à bon prix aux Qataris. Arnaud Marion le contacte en mai 2013. Via sa holding, d & p Finance, Calmels achète une partie des dettes de Barclays (plus de 100 mil lions d'euros) et, en échange, devient actionnaire majoritaire. dans sa course contre la montre, Arnaud Marion a de la chance, car Doux profite à plein de la dévaluation de l'euro par rapport au dollar: 1 centime de variation représente 2 millions d'euros de résultat. «la conjoncture m'a d'abord tué, puis aidé. Cet euro favorable nous apporte beaucoup de cash», reconnaît Arnaud Marion, souvent en voyage dans les pays du golfe. L'un des principaux clients, en effet, se trouve en Arabie saoudite. Importateur exclusif de Doux depuis quarante ans, Almunajem avait déjà joué le jeu lors du dépôt de bilan en abandonnant des créances. Cette fois, il convertit sa dette de 10 millions d'euros et entre au capital à hauteur de 25%. Restructurée et assainie, l'entreprise appartient désormais à 52,5% à la holding de Didier Calmels, à 25% à Almunajem, 22,5% restant aux mains de la famille Doux.
«Je ne sais pas redresser contre, je sais redresser avec», affirme Arnaud Marion. Un adage vérifié auprès des syndicats, unanimes pour saluer un patron qui, lors de son arrivée, a augmenté les salaires de 8%. «il a restauré le dialogue social dans une entreprise où la direction ne voulait plus payer les pauses pipi», ironise Nadine Hourmant, déléguée Fo. Cela ne l'empêche pas de traquer les centimes à économiser. Avec l'aide des 40 cadres, Arnaud Marion trouve 70 points sur lesquels ils peuvent agir: « cela va des prix négociés auprès des fournisseurs aux emballages et au transport», raconte-t-il. Vingt autres millions d'euros sont trouvés. «tout le monde joue le jeu. Doux vit dans un écosystème à 100% territorial. Nous représentons 60% de l'activité portuaire de Brest.»
Production accrue. Malgré une santé financière encore fragile, Arnaud Marion décide d'augmenter la production de 30%. Les usines tournent à leur maximum, Doux recrute des éleveurs supplémentaires et les aide à se moderniser. «la compétitivité doit se gagner, et pas sur le dos des éleveurs », prône le patron. L'usine vendéenne de Chantonnay va même accroître sa capacité à 300 000 poulets par jour. Le redressement s'opère. Aujourd'hui, l'endettement a été divisé par quatre. Maintenant que le volailler ne bat plus de l'aile, la mariée serait-elle prête? depuis le décès de Charles Doux, les rumeurs vont bon train: Didier Calmels pourrait bientôt céder ses parts. La mise à prix serait de 170 millions d'euros.
En chiffres
450 millions
d'euros de CA, mais 89 millions d'euros de dettes.
27%
de la production française de volailles, troisième exportateur mondial.
2 200
salariés, 193 postes créés en janvier 2015, après 1 000 licenciements en 2013.
Un enjeu national
Janvier 201 5. en visite chez Doux, le ministre de l'économie Emmanuel Macron, en a fait un exemple pour l'écosystème agricole breton.
300 éleveurs partenaires
Pour améliorer les rendements, la qualité et la traçabilité, le groupe aide certains de ses partenaires éleveurs à moderniser leurs installations, ses financements pouvant aller de 1 à 2 millions d'euros par an et par élevage.
1 million de vollailes par jour
L'usine de châteaulin est l'un des plus gros abattoirs d'Europe: 500 000 volailles en sortent par jour, soit la moitié de la production du groupe.
La pépite père dodu
En France, où Doux réalise le cinquième de son chiffre d'affaires, la marque père dodu, avec ses nuggets ou cordons bleus au poulet, est la vitrine du groupe.
15% Des exportations mondiale de poulet Doux
Le principal débouché de Doux est l'export, notamment vers l'Arabie saoudite. Outre des poulets surgelés halal. Le groupe y commercialise des produits élaborés, telles ces saucisses de volaille.
À retenir
Asphyxié par ses dettes, le roi du poulet engage un spécialiste des redressements qui passe les coûts au crible et divise par quatre l'endettement tout en modernisant les abattoirs. La parité euro-dollar aidant, doux retrouve de l'oxygène.
Pauline Darasse