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Marseille, une bouillabaisse indigeste
ENQUÊTE. Abandonné par son entraîneur, miné par les affaires judiciaires et la présence à proximité du club du grand banditisme, l’OM traverse une sale période.
Tous les éléments d’un bon polar. Des rumeurs, des règlements de comptes, des représailles, des luttes d’influence. Digne de Borsalino. Depuis une dizaine d’années, l’OM accumule plus les abus de biens sociaux que les titres. Sans entraîneur, avec des joueurs (Ribéry) sur le départ, d’autres qui ne veulent pas venir en raison du contexte, des enquêtes au sujet de l’implication de la mafia dans le club, un procès qui se termine, d’autres qui se profilent, l’OM va se lancer sans repères à l’assaut d’une nouvelle saison. Sans cette stabilité qui, en général, fait l’apanage des clubs qui gagnent. La passion du football demeure pourtant intacte dans les rues de la cité phocéenne. Aux terrasses des cafés, on devise sur la blessure de Cissé, annoncé à Marseille, ou sur le retour de Drogba, ardemment désiré. Et, à l’heure de la Coupe du monde, ce ne sont pas les maillots des sélections nationales que l’on arbore sur le Vieux-Port, mais bien le paletot marseillais. L’amour pour le club demeure intact. Jusqu’à quand ?
Des procès incessants.
Le procès, deuxième opus, des comptes de l’OM courant sur la période 1997-1999 vient de trouver son épilogue. Lourd. A l’issue de l’interminable lecture du jugement, Rolland Courbis, l’ancien entraîneur de l’OM, réfugié un moment dans les toilettes du tribunal d’instance de Marseille, a eu l’impression de trinquer pour les autres (voir encadré) : « J’apprends que je suis coupable sur cinq des dix transferts. Pourquoi ceux-là et pas les autres ? Je ne sais pas. De la même manière, je suis condamné sur le transfert de Kaba Diawara. Or, il y avait plusieurs parties autour de ce dossier : le joueur, qui n’a pas été entendu, deux agents, les dirigeants d’Arsenal. » Courbis va faire appel. Tout comme Robert Louis-Dreyfus, absent des débats. « L’homme a été jugé à travers notre système, qui n’est pas concurrentiel par rapport aux autres pays européens. Ce grand manager, intègre, qui n’a ni couvert, ni cautionné ce genre de dérives, a financé complètement, sur ses deniers propres, ce club qu’il aime, qu’il chérit depuis maintenant dix ans. C’est la raison pour laquelle il souhaite évidemment faire appel », a indiqué, consternée, son avocate, M Sophie Bottai. Avant de se contredire au moment de répondre à la question « Faut-il faire des acrobaties pour se payer des stars ? » « Bien entendu, et tout le monde le sait. »
RLD pourrait, en outre, dans les semaines à venir, être invité de nouveau à s’expliquer sur des transactions douteuses. Sur commission rogatoire du juge d’instruction de Liège Philippe Richard, le juge Frank Landou, du tribunal de grande instance de Marseille, a déjà entendu des témoins au sujet des transferts du Standard de Liège vers l’OM, à l’été 2001, de Van Buyten (11,5 M€), de Yobo (5 M€), de Runje (4 M€) et du prêt de Clavens. Selon nos informations, les prix (transfert et salaires) auraient été fixés par l’agent Licio D’Onofrio, avec l’aval de RLD, sans qu’aucune négociation ne se tienne. Les documents échangés entre les clubs et que nous nous sommes procurés sont tous à en-tête du club belge, alors que le club acheteur – et donc censé faire une proposition – est l’Olympique de Marseille. L’affaire serait presque anecdotique si le Standard de Liège n’était pas détenu à l’époque à 90 % par Eric Soccer, la société de Robert Louis-Dreyfus, et à 10 % par... D’Onofrio, tous deux administrateurs du club belge. A cette époque, le Standard est à deux doigts de la relégation administrative, ses comptes étant dans le rouge. Seules de fortes rentrées d’argent pouvaient lui permettre de sauver la face. Le juge Richard cherche ainsi à savoir si les joueurs vendus à l’OM n’ont pas été surcotés pour renflouer les caisses belges. Au détriment du club phocéen, donc. D’après les premiers éléments de l’enquête, le « mécène » marseillais aurait été au courant de ces pratiques. La procédure pénale a été ouverte par le juge belge pour « des délits de blanchiment, faux et usages de faux, abus de biens sociaux ». Pour le moment, une mise en examen de RLD n’est pas à l’ordre du jour, mais il pourrait rapidement être entendu. Cette (nouvelle) affaire va-t-elle l’amener à quitter le club ? Les plus magnanimes à l’égard de RLD évoquent sa lassitude au regard des résultats sportifs (pas un titre depuis treize ans) et des affaires et suspicions qui entourent le club. Les plus vachards mettent en avant sa crainte de se voir rattraper par la justice. Le verdict de vendredi le bloque malgré tout. Robert Louis-Dreyfus, à la tête des affaires familiales depuis peu, ne souhaite pas écorner une image déjà bien abîmée et laisser croire que sa décision de quitter le club est une conséquence de la lourdeur de la peine. Un proche du club explique pourtant que des repreneurs sont déjà sur le coup : « Ils ont les moyens. Mais ils ne viendront qu’à la seule condition que le club soit épuré. Et pour cela, ils vont faire appel à la police et à la justice. »
Un recrutement en stand-by.
Jean Fernandez parti, la (longue) liste des prétendants s’est étendue à l’infini... Sauf que les pressentis, Deschamps en première ligne, ont décliné l’offre phocéenne. « La vérité, c’est que les joueurs et les entraîneurs ont peur. Ils ne veulent plus venir. A part pour les salaires, qui sont les plus élevés en France », observe un proche du club. Ce que Baresi, qui ne souhaite plus travailler avec l’OM (« Je n’ai pas mis les pieds au Vélodrome depuis quatre ans »), confirme en substance : « Toutes ces histoires, cela nuit à mes activités. Des joueurs n’osent pas travailler avec moi, ils ont peur de venir à l’OM avec tout ce qu’ils lisent dans les journaux. » Reste que l’OM a été à deux doigts de recruter une belle pointure, titulaire potentiel de l’équipe de France. C’était avant la terrible blessure de Djibril Cissé contre la Chine : « Vous allez voir, on va dire que c’est la mafia qui a payé le Chinois pour blesser Cissé », préfère en rire Rachid Zeroual. Par capillarité, le dossier Ribéry, ardemment courtisé par l’OL, reprend de la vigueur. La nouvelle coqueluche des supporters français semble très liée au malheureux attaquant et avait accepté l’idée de rester une saison de plus au Vélodrome pour jouer à ses côtés. C’était avant, donc, le match France-Chine.
Question entraîneur, c’est le statu quo. Si un ancien dirigeant évoque « un ticket Emon-Anigo », on se dirige plutôt vers une autre solution marseillaise. Alain Boghossian devait rencontrer ce week-end Pape Diouf en Allemagne. Les discussions, au téléphone, ont déjà bien avancé et tout pourrait se régler au cours de la semaine. Ce ne sera en tout cas pas Anigo, qu’on dit lassé par les guerres intestines que lui-même ou ses proches auto-alimentent autant que ses adversaires, le directeur général de l’OM, Thierry de la Brosse en tête. Car le nœud est là : qui du clan du directeur sportif ou du PDG va prendre le dessus ? Anigo, comme son adversaire, serait sur la sellette. Il évoque même son possible départ pour l’étranger comme entraîneur. Il aurait des pistes en Angleterre et en Israël. L’absence au procès des comptes de l’OM de Thierry de la Brosse, en Allemagne pour assister au Mondial, a été très mal perçue. D’autant que le club, qui souhaitait se porter partie civile, avait engagé 500 000 € en frais de procédure pour finalement se faire retoquer par le président Turbeaux. Si Boghossian débarque, ce sera dans un climat nauséabond. Des rumeurs, des fantasmes, des pressions. Avec un seul point d’accord entre tous les protagonistes : l’OM est un vrai panier de crabes.
L’ombre du milieu.
Sur la Canebière, on n’avait plus entendu parler des accointances entre le milieu marseillais et l’OM depuis 2002. A écouter les locaux, Marseille ne serait que la victime expiatoire de la presse parisienne, entre autres, de son passé sulfureux, de sa réputation. Et pourtant. Le milieu n’est jamais bien loin quand il s’agit de l’OM. Lequel n’a jamais pris de précautions avec ses fréquentations. RLD qui rencontre, il y a quelques années, Roland Cassone, figure du grand banditisme, RLD qui joue au poker avec feu Francis le Belge. Voilà pour le folklore. Parfois, les conséquences sont plus dramatiques. Ainsi François Vanverberghe, le neveu du Belge, ancien joueur de football à Toulon et accusé d’avoir menacé l’agent Frédéric Dobraje pour qu’il rétrocède une partie de sa commission sur le transfert de Pires à Arsenal, a été tué en 2000 après s’être un peu trop confié aux policiers qui l’interrogeaient. Parmi les figures très controversées, Jean-Luc Baresi, Marseillais et agent de joueurs depuis 2001. On dit que tous les transferts de l’OM passent par lui, qu’il n’hésite pas à mettre sous pression les autres agents pour qu’ils laissent la place, qu’il « encouragerait » les joueurs à bouger pour toucher un maximum de commissions.
En jean, baskets et tee-shirt de sport, loin des costards bicolores, des volutes de fumée de cigare, Jean-Luc Baresi se défend. « Mais qu’est-ce que j’ai fait de mal ? J’ai un casier judiciaire totalement vierge ! Et aucun journaliste n’a fini dans le béton malgré tout ce qu’on a écrit sur moi. » Vrai. Sauf que Baresi a déjà effectué un an de préventive à la prison de Luynes pour « extorsion de fonds et menaces de mort », après la disparition jamais élucidée d’Edmond Goubert, une ancienne figure du Vieux-Port. Les deux frères de Baresi ont également quelques coups fumeux à leur palmarès. L’un a fait de la prison, l’autre est toujours en cavale. « Ce qui est sûr, c’est que Jean-Luc connaît beaucoup de types du milieu. Certains évoquent même qu’il puisse être le grand patron. Plus vraisemblablement, un de ses frères aurait récemment repris le flambeau. Lui m’avait fait part de sa volonté d’arrêter tout ça », se souvient un dirigeant marseillais qui l’a côtoyé.
Mais les policiers n’ont aucune preuve. Que des doutes. Il n’a jamais été rien prouvé. Récemment se sont produits de nouveaux faits, confirmés de sources policières. Cela a commencé par des vols de voitures ou des cambriolages auprès de certains joueurs. Quatre d’entre eux ont porté plainte, certains préférant présenter un profil bas. L’un d’entre eux s’est confié à un dirigeant du club : « Je n’ai jamais vu cela dans le milieu du football : nous sommes agressés à la Commanderie, cambriolés. » José Delfim, que nous avons contacté en vain, s’est fait voler sa voiture et s’est ému de l’avoir retrouvée devant l’école de sa fille. Malheureux hasard, ou volonté affirmée de faire peur au milieu de terrain, qui, depuis, a filé aux Young Boys Berne ? L’enquête ouverte doit y répondre. Ou devait y répondre car, selon une source policière, « ce n’est même plus la peine de mener une enquête avec tout ce tapage médiatique. Des cambriolages de ce type, nous en avons deux par semaine ! Vieira en a été victime récemment et, que je sache, ce n’est pas un joueur de Marseille. Les footballeurs professionnels sont visés parce que les malfaiteurs savent qu’ils ne roulent pas dans une 4L pourrie. Oui, au sein de l’OM, il y a des personnalités étonnantes (sic). Mais il n’y a, pour l’instant, ni plainte de monsieur Fernandez, ni signalement. Pour nous, ces agressions de joueurs, entre octobre 2005 et mars 2006, c’est un non-dossier. »
« Les mafieux n’ont aucun intérêt à pourrir le club qu’il rêve de voir au plus haut niveau européen », confirme un ancien membre influent du club. « En revanche, c’est vrai que, lorsque des dirigeants font appel au milieu, il répond présent. Pour donner quelques gifles, par exemple, à des supporters et les calmer. Cela a été le cas en début de saison. Après, ils viennent demander la facture. On le voit aujourd’hui avec un des joueurs de l’effectif imposé par son père, proche du milieu, et qui se faisait déjà soigner à l’infirmerie de la Commanderie pour son mal de dos, il y a deux ans. »
L’homme à la sciatique douloureuse n’est autre que Richard Deruda, un ami intime de José Anigo : « C’est exact que je me fais soigner à la Commanderie par l’ostéopathe. J’ai toujours eu l’autorisation de la direction depuis que je me fais soigner. C’est-à-dire depuis l’arrivée de Roland Courbis avec qui je suis ami. Je ne vais pas attendre qu’on me demande de partir, j’ai décidé de ne plus me faire masser à la Commanderie. » Le responsable du service médical, Charle Lankar, confirme et s’étonne de ce pataquès : « J’ai déjà examiné la femme de Ribéry. Il n’y a rien d’anormal ! Je ne comprends pas qu’on ne parle que de cela ou de mon altercation avec Anigo (“ Un ami de vingt ans ”, qui l’a frappé à l’issue du match contre Strasbourg, le 6 mai) et qu’on ne souligne jamais le travail du staff médical, qui a permis aux joueurs d’éviter de graves blessures en 61 matches. »
Le souci n’est pas tant que cet homme se fasse masser, mais qu’il serait à l’origine du départ de Jean Fernandez, à qu’il aurait voulu imposer son fils, Thomas, capitaine de l’équipe réserve et qui vient de signer un contrat professionnel de trois ans. Selon Richard Deruda, « Jean Fernandez n’a jamais été victime de pression de notre part. La preuve ? Il a déjeuné samedi midi avec Thomas. Pour parler de son avenir et pour lui dire que son père ne l’avait jamais menacé ou fait menacer. En effet, j’ai rencontré plusieurs fois Jean Fernandez. A chaque fois, il y a eu beaucoup de courtoisie des deux côtés. Je l’ai fait comme un papa qui suit son fils depuis quinze ans. Je lui faisais totalement confiance car il a souvent lancé des jeunes. Monsieur Fernandez m’a dit que Thomas avait des qualités dans le jeu court et le jeu long, mais qu’il devait travailler sa course. On a également évoqué son poste de milieu défensif. Il était même envisagé qu’il soit prêté pour qu’il se dégourdisse un peu, et nous, ses parents, étions tout à fait d’accord. »
Jean Fernandez, que nous n’avons pas pu joindre pour qu’il confirme cette version, n’a jamais fait part de ces pressions. Officiellement du moins. Charles Lankar, proche de Fernandez, estime, lui, que le départ du technicien est motivé par sa déception. « Oui, il a été déçu, et jamais il ne m’a parlé de pression même s’il m’a déjà dit que c’était un club compliqué. Lorsqu’il s’est fait opérer de la hanche, en fin de saison, personne du staff n’a pris de ses nouvelles. Pas un SMS, pas un bouquet de fleurs. »
Le problème, c’est que Deruda père est considéré comme un membre influent du milieu : « Oui, j’ai fait des conneries, j’ai été en prison pour association de malfaiteurs et braquage à main armée. Mais qui doit-on condamner ? Le petit ou moi ? Le problème, c’est qu’il y a des gens au club qui veulent nuire à José Anigo avec lequel je suis ami. Et on m’utilise. Thierry de la Brosse veut faire rentrer les siens au sein du club. Et donc faire sortir les têtes qui ne lui reviennent pas. Toute cette histoire, elle vient de l’intérieur. » Le fils, lui, est contesté pour son niveau de jeu, bien qu’il n’ait pu être jugé que sur deux bouts de match en L1 et trois en Coupe d’Europe. Solidaire de Fernandez, le groupe professionnel, à quelques exceptions près, l’aurait pris en grippe. Et certains joueurs auraient donc subi les pressions mentionnées. « Deruda est nul ? Et Gimenez, et Nakata et Mendoza ? On n’en a pas fait toute une histoire », note Zeroual. Son ancien entraîneur en 15 ans, à Cannes, Jean-Jacques Asso, se souvient « d’un grand gabarit, avec des lacunes, notamment au niveau de la vitesse et de la coordination. Mais, non, il n’avait pas les pieds carrés, bien au contraire. » Un autre dirigeant cannois est, lui, beaucoup moins dithyrambique et se déclare surpris qu’il ait pu signer un contrat pro à Marseille. Le reste est à l’avenant et, à en croire un ancien dirigeant phocéen : « Pas besoin d’être un spécialiste pour savoir. Deruda n’est pas capable d’aligner une passe. »
