Il connaît des truands depuis l’école et l’un de ses garçons a fait de la prison. Mais le directeur sportif de l’Olympique de Marseille ne veut plus qu’on le prenne pour l’homme du "milieu".
Ca commence comme dans un polar de Jean-Claude Izzo. Un 4x4 noir s’avance sur les hauteurs de la ville. On le suit dans les traverses étroites et sombres jusqu’à un haut portail surmonté d’une caméra de surveillance. Un berger allemand de taille respectable garde l’entrée. Notre hôte descend de voiture, monte quelques marches puis nous invite à le suivre à l’intérieur. À Marseille, José Anigo est une figure. Il a 50 ans, trente-cinq à l’Olympique de Marseille, où il a joué puis entraîné. Depuis six ans, il est son intouchable directeur sportif. Les présidents défilent, les entraîneurs valsent, lui reste. Inévitablement, les rumeurs pullulent. "Je ne fais rien de mal et je n’ai rien à cacher", assure-t-il en s’enfonçant dans un large canapé en cuir, devant une baie vitrée d’où l’on aperçoit, de jour, le mont Garlaban cher à Pagnol. Une vitre blindée.
La famille Anigo a emménagé dans cette vaste propriété d’Aubagne il y a huit mois. Deux vigiles la surveillent à l’année. Le nom du propriétaire ne serait pas dissuasif pour des cambrioleurs qui ont visité plusieurs maisons de joueurs et dirigeants de l’OM. "Bien sûr que j’ai eu des soucis, mais je ne vais pas le crier sur tous les toits. J’ai grandi ici, donc je sais qu’en étant retiré il vaut mieux se protéger. Je ne suis pas plus à l’abri que les autres." Ça casse le mythe du gangster et c’est justement son but. Faire le portrait de José Anigo semble sensible. Coup de fil matinal de la direction de la communication : "Est-ce que l’article sera complaisant? Il y a eu tellement de choses négatives sur José..." Comme ce portrait de VSD intitulé "Le parrain se rebiffe", contre lequel il a porté plainte pour diffamation quand d’habitude sa femme jette à la poubelle les articles critiques. "Mes enfants m’ont dit : 'Ne laisse pas passer ça. Fais-le pour nous.’ J’ai trop laissé dire, la récréation est finie, justifie-t-il. Je veux me débarrasser des légendes qui me collent à la peau. Je sais qui je suis. J’ai peut-être quelques relations douteuses, mais je ne vais pas tourner le dos à mes amis d’enfance." Anigo est allé à l’école avec Richard Deruda, fiché au grand banditisme, et n’y voit pas le moindre problème. "J’ai aussi des liens avec des avocats, des médecins, mais personne n’en parle. On raconte que l’OM serait sous l’emprise du milieu marseillais, mais vous croyez que dans cette ville il n’y a pas de police? De justice?" "José a grandi dans la rue et eu certaines fréquentations. Mais on peut très bien côtoyer des voyous sans l’être soi-même, estime son ami Renaud Muselier, député (UMP) des Bouches-du- Rhône. L’important est de rester du bon côté de la ligne jaune."
La liste des rumeurs le concernant est interminable
Anigo est un cliché, pur Marseillais avec l’accent, comme Rolland Courbis, ex de l’OM, qui trouve cette formule : "Ici, tu entres dans un hôtel et tu croises un portier, le réceptionniste et un repris de justice. On ne parlera que du troisième. En ce sens, José incarne le contexte méditerranéen comme personne." La liste des rumeurs est interminable. La première: on lui attribue le départ forcé de Jean Fernandez, entraîneur trop peu malléable, en 2006. "On dit qu’il a des relations, mais 'on’ est parfois un con", banalise Christian Cataldo, président des Dodgers, un groupe de supporters, trente-cinq ans de tribune. Anigo a grandi cité Consolat, quartier ouvrier du nord de la ville, qui a basculé depuis dans une violence crue. Son père nettoyait les pétroliers dans le port voisin, sa mère a élevé sept enfants. "On a toujours mangé et rigolé, profité de la mer. Notre famille était pleine d’amour. Ma jeunesse, ce n’est pas Cosette." Mais une immense douleur qu’il évoque à demi-mot, la mort à moto de son frère aîné. José avait 12 ans. Sa foi catholique l’a aidé, l’aide encore aujourd’hui. Trois ans plus tard, il entrait en formation à l’OM, de l’autre côté de Marseille. Un virage décisif vers une idylle de trente-cinq ans entre son club, sa ville et lui.
En mars 2007, son fils Adrien, 28ans, accusé de plusieurs braquages, est jeté en prison. Membre présumé du "gang des bijoutiers", il est libéré en mars 2010 à la suite d’une erreur de procédure. Cet "échec personnel" mine José Anigo, qui voit ses ennemis s’en servir contre lui. "La rue a aspiré mon fils, mais ça ne concerne que la justice. Aujourd’hui, ça intéresse qui de dire qu’il a un magasin de sport, une femme et deux enfants?" Sans innocence, Anigo glisse dans la conversation que Frédéric, son autre fils de 24 ans, est employé dans la police municipale. "Il a entendu des remarques déplaisantes, ses soeurs aussi." On interroge José Anigo sur son casier judiciaire. Ça ne l’amuse pas, même s’il est vierge.
"Marseille est une ville qui mange ses enfants"
Il croit que sa réputation a ralenti sa carrière. D’ailleurs, il a souvent entendu : "Votre profil est intéressant.Mais vous ne quitterez jamais l’OM", alors qu’il rêve d’une nouvelle expérience comme entraîneur. Seule certitude, il ne replongera pas sur le banc de l’OM. "Marseille est une ville qui mange ses enfants. Moi comme les autres. Je suis encore là, mais un peu broyé. L’image qu’on a de moi n’est pas idyllique." En 2006, il a donné l’autorisation à un blogueur local d’utiliser son image pour un livre satirique illustré, Le Petit José, qui jouait à fond la carte des clichés. Toujours prompt à revendiquer sa "marseilletude", Anigo affirme aujourd’hui qu’il ne donnerait plus son accord à un projet de ce genre.
À son âge, il ne veut pas changer, se "travestir", mais voudrait être jugé avec justesse. Le regard des siens l’angoisse. À Noël, la maison sera remplie de rires d’enfants: José Anigo a déjà trois petitsenfants, le quatrième arrive. "Vous direz que nous sommes de jeunes et beaux grands-parents?" s’enquiert son épouse, qui veille encore sur ses deux plus jeunes filles, âgées de 14 et 10 ans. "J’aime être entouré des miens. Il y a le sport, le travail, mais ça ne vaut pas un radis à côté de mon bonheur familial. Rien n’est comparable. C’est ma philosophie." Un jour, sa fille est rentrée bouleversée par un camarade venu à l’école en haillons. Il l’a aidé puis s’est engagé comme parrain de La Voie des elfes, une association venant en aide aux enfants les plus démunis.
Depuis que son conflit avec l’entraîneur Didier Deschamps (qui, en privé, le surnomme "les forces obscures") a éclaté, histoire de réseaux, d’influences et de vision du club, Anigo a repris ses distances. En trois semaines, il a visité le Portugal, l’Espagne, le Cameroun et l’Italie à la recherche des talents de demain. Ce qu’il fait le mieux. Le reste du temps, il goûte la balade au vallon des Auffes, les films en famille. "Mais sûrement pas la trilogie du Parrain", finit-il par rire. Il a promis à Omar Sy qu’il irait voir Intouchables, a écouté Aznavour et retenu son refrain : "Ce que l’homme fait à l’homme/L’animal ne le fait pas." Loin de la légende. Il prend enfin la pose pour le photographe, tire sur le bas de sa chemise pour cacher son ventre. "Gros et voyou, ce ne serait vraiment pas terrible."