JOSÉ ANIGO, qui a pris la succession d'Élie Baup il y a un mois, se confie sur sa mission à l'OM, ses ambitions personnelles, et sur l'assassinat de son fils.
IL Y A UN AN, son nom était à nouveau associé, publiquement, au milieu marseillais, à la suite d'une perquisition au siège du club dans le cadre d'un dossier d'extorsion de fonds puis de la divulgation des écoutes téléphoniques dont il était l'objet. Soutenu par ses dirigeants, José Anigo (52 ans) avait alors changé de numéro de portable avant de se réfugier dans un silence qui ne lui ressemblait guère. Il vécut ensuite un drame personnel, le 5 septembre, avec l'assassinat en pleine rue de son fils de trente ans, Adrien. Après quelques semaines auprès des siens, le directeur sportif a retrouvé le chemin de la Commanderie, où il a pu mesurer le soutien de l'Olympique de Marseille. En acceptant de remplacer Élie Baup au pied levé, le 7 décembre, Anigo a eu le sentiment de rendre à son président, Vincent Labrune, le soutien qu'il lui avait apporté. Le chauve aux deux casquettes se sent en mission pour « son » OM. C'est ce qu'il a pris le temps de nous expliquer, mercredi après-midi, avant l'entraînement.
APRÈS LE DRAME
« Le 9 décembre, deux jours après votre nomination comme entraîneur, vous avez indiqué ne pas avoir pu refuser la demande de votre président, Vincent Labrune. Pourquoi ?
– Dans d'autres circonstances ou dans un autre club, je n'aurais pas pris l'équipe. L'OM est ancré en moi. À deux moments en 2013, Vincent a été derrière moi. En janvier, lors de l'histoire des perquisitions, il m'a soutenu. Il savait que je n'avais rien fait. Puis, dans le deuil qui a frappé ma famille, le club en général et Vincent en particulier m'ont entouré. Je ne me voyais pas faire autre chose que renvoyer l'ascenseur.
Le José Anigo de 2014 est-il différent du José Anigo de 2013 ?
– J'ai vécu un drame qui ne cicatrisera jamais. La plaie restera ouverte pour moi et tous ceux qui étaient autour de mon fils. Son absence n'est pas descriptible. Dès que je sors de la Commanderie, je suis en permanence avec ces pensées. C'est difficile. Je ne suis pas allé voir de psy, ni personne. Mon travail est une forme de thérapie. Je fais des grandes journées. C'est peut-être une bonne manière de se soigner même si je ne guérirai jamais.
Savez-vous ce que devient l'enquête menée sur le meurtre de votre fils ?
– Je dois rencontrer la juge. C'est difficile, parfois, à Marseille, d'aller trouver des gens mais la Police effectue un gros travail. Je m'en suis rendu compte, puisque j'ai été convoqué plusieurs fois. L'affaire n'est pas prise à la légère. Elle n'est pas dans un placard. Je sais que ceux qui s'en occupent y arriveront. Je leur fais entièrement confiance.
Ce drame a un peu modifié votre image.
– Si j'avais dû garder ma réputation pourrie pour garder mon fils, le choix aurait été vite fait. À un moment (très ému)… Les gens comprennent peut-être qu'il faut sortir les autres d'une image.
A-t-il changé votre approche, votre comportement dans votre métier ?
- Je vis le foot différemment. La vie aussi. Tous les jours, je me dis que tout peut s'arrêter dans la seconde. Je prends le bonheur et le plaisir maintenant, là, tout de suite. Aller chercher plus loin n'a aucun sens. Je laisse faire la vie.
Sentez-vous plus de sympathie autour de vous ?
- Oui. Les gens sont devenus plus agréables, plus à l'écoute. C'est dommage d'en arriver là car je n'ai pas fondamentalement changé. Même si c'est peut-être moi, aussi, qui ai créé mon image, en 2004, en arrivant comme un coq (il avait été une première fois entraîneur de l'OM de janvier à novembre 2004).
C'est un regret ?
- Oui. J'ai ouvert ma gueule dans la presse. J'ai été un bon client. J'ai accepté tout et n'importe quoi car j'avais envie d'être connu. Quand tu démarres, tu veux être connu, reconnu. Aujourd'hui, je m'en tape. Quand je peux être incognito, ça me va même très bien. À l'époque, j'aurais dû être plus discret.
Moins sanguin aussi.
– J'ai évolué. Je suis moins impulsif. En 2004, je sortais du centre de formation, j'avais peu d'expérience, je redécouvrais un monde pro que j'avais essentiellement connu comme joueur mais qui avait tellement changé… Il a encore changé, d'ailleurs. Il y a dix ans, il y avait encore une hiérarchie dans un vestiaire que les jeunes respectaient. Aujourd'hui, c'est tout le monde d'égal à égal.
En 2004, vous faisiez peur à vos joueurs, physiquement.
- Ça, c'est l'image qu'on a voulu me donner. Je n'ai jamais été agressif avec eux. Avec les joueurs, on avait de super rapports. Cette image que j'ai cultivée, j'en suis peut-être responsable. Si je pouvais changer quelque chose, ce serait ça. »
SON AVENIR
« Pourriez-vous rester entraîneur de l'OM au-delà de cette saison ?
– Je pense que ce serait une connerie. Pour moi et pour le club.
Donc, vous ne resterez pas.
- Non seulement je ne le veux pas, mais ce n'est pas l'intérêt du club.
Vous n'en êtes pas sûr.
- Je suis sûr que le président et moi trouverons quelqu'un pour mener le projet.
Le portrait-robot de votre successeur a-t-il été établi ?
- Il faut quelqu'un capable de gérer des joueurs confirmés et la progression de jeunes joueurs. Il y a des pistes françaises et étrangères. Moi, je peux travailler avec tout le monde et je ne rejette personne, contrairement aux idées reçues. À partir du moment où celui qui vient fait gagner l'OM et fait grandir le club, je suis content.
Le banc pourrait vous manquer…
- Entraîner ailleurs, oui, ça se fera, car j'en ai envie. Mais je serai vieux. Peut-être que j'aurai soixante ans.
Partir, c'est ce qu'a toujours prétendu Guy Roux à Auxerre…
- Mais il a entraîné Lens.
En 2007, à soixante-huit ans.Et il est parti après la 5e journée...
- Je sais qui je suis et ce que je vaux. Je sais bâtir une séance, mettre en place un schéma de jeu, etc. J'ai des arguments. Quand on dit que je suis un meneur d'hommes, ça me fait chier. J'aimerais qu'on dise : “C'est un meneur d'hommes qui touche un peu sa bille.” Ce serait sympa. Je ne suis pas allé en finale de la Coupe de l'UEFA grâce au Saint-Esprit (en 2004, défaite de l'OM contre le Valence CF, 0-2). Il y a du travail, de la recherche derrière. Personne ne me fera douter de mon niveau. Jamais. C'est ma grande force.
Seriez-vous capable de réussir ailleurs qu'à l'OM ?
- J'en suis certain. Vous imaginez ce que j'ai vécu pendant dix ans ici ? Je suis passé par toutes les étapes. De la meilleure à la plus mauvaise. J'ai pris des coups de tous les côtés comme je ne souhaite à personne d'en prendre. Ailleurs, ça ne pourra jamais être plus difficile qu'ici pour moi.
Vous estimez avoir votre place sur un banc de Ligue 1 ?
- On verra à la fin. Un mec comme Élie (Baup) est compétent. Mais un entraîneur est tributaire de ses joueurs. Des entraîneurs compétents qui n'ont pas de job parce qu'ils sont tombés dans des équipes qui n'adhéraient pas, il y en a plein. Entraîneur, c'est le métier le plus dur au monde.
En fait, tant que Margarita Louis-Dreyfus sera l'actionnaire de l'OM, vous serez là. Vous êtes l'homme fort de l'OM, non ?
- Je prends ma nomination comme une marque de confiance de Margarita et de Vincent. Mais l'homme fort, c'est le président. J'ai l'impression de plutôt bien m'adapter. Je ne me sens pas si puissant que ça. Pendant ces quatre prochains mois, je vais devoir avoir des résultats. Sinon, j'aurai droit à une étiquette de loser.
Il y a deux ans, vous étiez un directeur sportif au placard. Vous voici entraîneur et directeur sportif…
- (Il rit .) La vie est pleine de surprises, bonnes ou mauvaises. Je ne vis pas ma situation actuelle comme une mauvaise surprise. Dire le contraire serait malhonnête. Je la vis comme une forme de thérapie. »
SON RÔLE D'ENTRAÎNEUR
« Pourquoi Vincent Labrune a-t-il fait appel à vous pour remplacer Élie Baup ?
- Il m'a dit qu'il n'avait pas le temps de trouver un autre entraîneur.
Arrivez-vous à jongler avec vos responsabilités de directeur sportif, surtout en cette période de mercato ?
- Ce n'est pas compliqué. Je continue de faire des réunions avec les superviseurs, qui suivent les pistes déjà lancées. Après, les discussions avec les joueurs ciblés, ce n'est que du téléphone. Et puis, j'ai un président qui est beaucoup impliqué dans le mercato. Notamment quand il faut boucler un dossier. Il a son avis, son regard.
Quel comportement adoptez-vous avec les joueurs ?
- Il n'y a pas de concession à faire. Je n'invente rien. Quand je regarde le management des entraîneurs avec qui j'ai travaillé, même ceux avec qui je ne m'entendais pas (il parle de Didier Deschamps, en poste de 2009 à 2012), je constate qu'ils réussissent parce qu'ils ont certaines valeurs et qu'ils ne laissent pas beaucoup de place aux joueurs pour naviguer. Eux comme moi, et tous ceux qui vivent du football, nous sommes des privilégiés. Pour s'en persuader, si besoin, il suffit de se pencher pour voir les difficultés de ceux qui se lèvent le matin pour gagner un SMIC. J'exige donc du travail, du respect et de la discipline. C'est ce que j'ai dit aux joueurs. Celui qui ne travaillera pas ne jouera pas. Celui qui manquera de respect dégagera du groupe. Pareil pour celui qui ne respectera pas la discipline collective.
En fait, vous avez été nommé pour resserrer les boulons…
- Un directeur sportif reçoit souvent un joueur pour recadrer ce qui ne va pas. J'aime être proche des joueurs. Par contre, ce ne sont jamais les joueurs qui décident mais l'entraîneur.
Votre double casquette vous donne du poids.
- C'est possible. Mais ce qui me donne du crédit, aussi, c'est ma personnalité. Je ne pense pas être meilleur qu'Élie ou qu'un autre. J'ai ma personnalité. »
L'OM À LA CHASSE AU PODIUM
« Pourquoi Élie Baup a-t-il été licencié ?
- Comme dans tous les clubs du monde, l'entraîneur est toujours en première ligne. Les résultats n'étaient pas à la hauteur des attentes du club. C'est comme ça. Une échéance arrivait : la trêve. Les matches de Lille (0-1, le 3 décembre) et Nantes (0-1, le 6 décembre) nous ont fait mal à la tête et l'on devait enchaîner Dortmund (1-2, le 11), Lyon (2-2, le 15). Pour le président, c'était peut-être le moment de changer.
Partagiez-vous son avis ?
- Au départ, j'ai expliqué à Vincent qu'il fallait au moins encore voir comment le groupe réagirait contre Dortmund avec Élie. Mais c'est le président qui décide. Avec Élie, que j'aime beaucoup, j'avais et j'ai toujours de bons rapports. On doit manger ensemble prochainement. Je lui ai expliqué le jour où il a été démis de ses fonctions pourquoi j'allais accepter sa succession. Il a très bien compris. Ses rapports en dehors du foot avec le président sont restés bons aussi. Après, il y a le métier.
Qu'est-ce qui ne collait plus ?
- De mon fauteuil de directeur sportif, je vois une difficulté, à un moment, à gérer les jeunes et les anciens, une gestion de vestiaire un peu compliquée, notamment en début de saison. À la première contre-performance (contre Monaco, 1-2, le 1er septembre), on a senti que le groupe n'était pas encore bien bâti. Ensuite, ça s'est effrité et on a traîné notre retard tout le temps. Élie a beaucoup bossé, mais la Ligue des champions a été terrible. Fatale. Nous sommes tombés contre des équipes supérieures. L'enchaînement avec le Championnat était compliqué. Ici, malheureusement, tu n'as pas le choix. Il faut des résultats.
Comment jugez-vous le passage de Baup à l'OM ?
– Des entraîneurs, j'en ai vu. Élie a été bon dans le travail. C'est un mec dans le partage, un mec gentil.
Trop gentil ?
- Certainement. C'est ce qui le dessert un peu. Avec les joueurs, il faut être capable d'être très sympa tout en ayant un main de fer. Je ne dis pas qu'il n'a pas une main de fer. Seulement, il fait un peu trop confiance alors que cette confiance n'est pas toujours bien renvoyée. Parfois, dans ce métier, il faut être très dur. Les joueurs en ont besoin.
Selon Vincent Labrune, la troisième place reste l'ambition de l'OM.
- Il a raison. C'est aussi mon objectif. Je suis réaliste. Il va falloir réaliser un parcours quasi exceptionnel pour aller la chercher. Il faudra un peu plus de deux points par match en moyenne en imaginant que les autres lâchent un peu. On va s'accrocher à ce projet.
L'OM compte 29 points (6e). Lille, le troisième, 40. Il vous faut déjà doubler Bordeaux (5e, 31 points) et Saint-Étienne (4e, 33)…
- Et ce ne sera pas facile, car ces deux équipes tiennent la route. On va se battre.
Pour la reprise, vous rendrez visite à l'Évian-TG (le 12 janvier) et à Monaco (le 21) et vous recevrez Valenciennes (le 18) et Toulouse (le 1er février). Pour la troisième place, vous pensez vraiment être fixé après ces quatre matches ?
- Oui. Si Lille et Monaco poursuivent au même rythme et que l'on ne prend pas de points, il faudra être réaliste. On a un parcours difficile. On a un gros challenge. On doit être dans un esprit commando et ne plus en sortir. Il faut prendre des points tout de suite pour ne pas perdre de terrain.
Certains cadres n'arrivent-ils pas en fin de cycle ?
- C'est possible. Mais, au quotidien, je les sens vraiment concernés. Ce n'est pas la saison de trop.
La question de leur avenir se posera en juin.
- C'est clair. Leur avenir à l'OM dépendra de notre classement et de leurs désirs. Mais que ce soit Mandanda, Valbuena, Nkoulou ou Ayew, ils s'impliquent à 1 000 %. »
LA CONCURRENCE DANS L'ÉQUIPE ET LE MERCATO
« Être sixième après avoir dépensé 37 M€ l'été dernier, n'est-ce pas un échec ?
- Nous avons beaucoup investi sur des jeunes joueurs. Et comme nous comptions déjà de bons joueurs, on pensait que l'amalgame nous amènerait plus vite vers le haut. Mais si on ne l'atteint pas, tout ne sera pas à jeter car nos jeunes vont arriver vers le haut très vite.
Le recrutement n'a-t-il pas déséquilibré ce qui fonctionnait bien ?
- Cette saison, la concurrence est plus rude, mais raccord avec un club qui jouait la Ligue des champions. Dans une écurie de haut niveau, il n'y a pas quatorze joueurs. N'aurait-on pas dû changer notre système de jeu ? On arrive à jouer en 4-3-3 ou en 4-4-2. C'est ce que j'ai fait (4-3-3 et 4-4-2). Si Mathieu Valbuena et André Ayew avaient été disponibles, je serais peut-être resté dans la même organisation qu'Élie (4-2-3-1). Maintenant, Mathieu, qui revient, peut jouer à la pointe du losange en 4-4-2 ou comme deuxième attaquant en 4-3-3.
Comment allez-vous gérer la concurrence ?
- Il va y avoir une bagarre à l'intérieur. L'équipe, pour être forte, doit s'appuyer sur ceux qui sont le mieux. Les autres devront accepter de ne pas démarrer un match.
Dimitri Payet est régulièrement appelé par Didier Deschamps en équipe de France. Thauvin rêve de disputer la Coupe du monde. Ils seront en concurrence aussi à l'OM…
- Le club passe avant les joueurs. Ce n'est pas compliqué. Si Payet ne prend pas le dessus sur Thauvin, c'est un problème entre lui et son niveau de jeu. Ce n'est pas mon problème. Si Thauvin n'arrive pas à passer la vitesse supérieure, c'est son problème. Pareil pour Gignac. Si Valbuena n'y arrive pas non plus... Les internationaux n'ont pas un statut de joueur protégé. Chacun se trouve face à ses responsabilités. Un mec qui veut aller à la Coupe du monde, il va devoir se bouger les fesses avec moi. Je ne suis pas là pour amener un joueur à la Coupe du monde mais pour qu'il soit bon avec l'OM.
Si Deschamps vous demande des renseignements, vous lui en fournirez ?
- Je vous rassure, je ne pense pas que ce soit moi qu'il appelle.
Revenons à l'OM et au mercato. Vous souhaitez retoucher votre défense.
- Nous avons un gros souci sur les extérieurs mais je ne veux pas incriminer les latéraux. On a un problème collectif pour fermer les portes.
Vous souhaitez prendre un ou deux arrières latéraux ?
- Peut-être zéro. Je ne veux pas changer pour changer. Si ceux que j'ai reviennent à un très bon niveau, je reste comme je suis sans problème. Tout le monde a-t-il le projet de se mettre minable pour arriver au bout ? Le vrai sujet, c'est ça. Fanni a un bon niveau, c'est un très, très bon joueur. Pareil pour Morel. L'idée, c'est de piquer tout le monde en disant : “J'ai besoin de vous à 100 %”.
Le bon exemple, c'est donc Souleymane Diawara (35 ans), qui est en fin de contrat en juin. Va-t-il prolonger ?
- Il a rendez-vous avec le président pour en discuter.
En résumé, il restera s'il accepte de revoir son salaire à la baisse…
- Je ne sais pas. Avec la taxe à 75 %, c'est difficile de garder les gros salaires mais “Souley” est un cadre, avec un impact intéressant sur le groupe. C'est logique de discuter avec lui.
N'avez-vous pas recruté trop de jeunes l'été dernier ?
- Non. Nous sommes dans un projet de construction à deux ou trois ans même si Marseille n'est pas l'environnement le plus patient du monde. Imbula, Thauvin, Lemina, Samba… Dans deux ans, on ne parlera plus des mêmes joueurs. Ils manquent d'expérience mais ont un talent fou. »