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« Infernal Affairs » à la marseillaise
Contrat.
Pourquoi Adrien Anigo, le fils du directeur sportif de l'OM, a-t-il été exécuté ? Enquête.
Dans l'intimité du cimetière des Vaudrans, sur les hauteurs de Marseille, où son fils Adrien, 30 ans, vient d'être enterré, José Anigo, le directeur sportif de l'Olympique de Marseille, aidé de ses deux petits-enfants serrés contre lui, s'efforce de dominer son émotion. Patricia, la mère d'Adrien, s'effondre. A la paroisse de Camp-Major, à Aubagne, où s'est déroulée la cérémonie religieuse une heure plus tôt, elle avait dû être emmenée à l'extérieur de l'église. Elle n'a pas supporté jusqu'au bout le diaporama retraçant - sous une forme expurgée - la vie de son fils aîné, diffusé en guise d'hommage.
Le défilé de voitures rutilantes conduites par des émules relookés d'Al Pacino, le héros de « Scarface », qui accèdent à la colline de la Valentine, où est enterré Adrien Anigo, donne une idée des fréquentations du défunt. Sa lente dérive vers le banditisme l'a conduit jusqu'à sa mort le 5 septembre, assassiné de 18 balles, dont deux à la tête, trois dans le cou et 13 dans la poitrine. Une addition chère payée pour un hors-la-loi décrit par les enquêteurs comme sans envergure.
« Quand on l'a arrêté en 2007, il n'a pas mis beaucoup de temps à se mettre à table », se souvient un officier de la Brigade de répression du banditisme (BRB).« Il bandait aux voyous comme son père. »Comprendre, les Anigo père et fils étaient fascinés par le milieu. Si l'ex-entraîneur de l'OM - qui n'a pas donné suite à nos diverses solicitations - n'a pas élevé son fils, Adrien a été très tôt initié aux arcanes du milieu. José Anigo, issu de la Consolat, un quartier pauvre du nord de la ville, a usé ses fonds de culotte avec Richard Deruda. Devenu braqueur, ce dernier s'est reconverti dans les machines à sous, un business qui, dit-on, suscite le respect des grandes figures comme Baresi ou Gérald Campanella. A l'époque, le milieu marseillais régnait sur la ville sans concurrents. Une fois père de famille, Richard Deruda n'aura de cesse de harceler José Anigo - qui n'a jamais renié ses amitiés d'enfance - afin que son fils Thomas porte le maillot bleu et blanc. C'est sous la présidence de Pape Diouf que Deruda parviendra à ses fins : le rejeton est aligné sur la feuille de match pour jouer en championnat de première division alors que tous les spécialistes s'accordent à dire qu'il n'a pas le niveau pour l'élite. José Anigo est alors entraîneur. Pape Diouf nous a précisé : « J'ai simplement fait confiance à mon directeur sportif. Je ne m'occupais pas du recrutement des joueurs issus du centre de formation. » A cette époque, Richard Deruda avait table de massage ouverte à la Commanderie, le centre d'entraînement de l'OM.« J'ai dû lui demander fermement de ne plus recevoir Deruda à la Commanderie, il a cherché à se justifier, mais a finalement obtempéré », se rappelle un préfet alors en fonction.
Il faut dire que les hommes du milieu ont souvent été utiles à l'OM.« Pressions sur les joueurs, négociations musclées avec les clubs de supporteurs, à l'OM, on avait besoin de gens capables d'assurer ces tâches ingrates », raconte un ancien de la direction . Signe de tensions, le « Parisien » Christophe Bouchet, un temps président du club, se souvient avoir subi quatre cambriolages en trois ans. Et quand l'entraîneur Alain Perrin a dû se résoudre à quitter le banc, sa descente aux enfers avait été précédée d'une cabale montée par les jeunes du centre de formation alors dirigé - un hasard ? - par José Anigo.
Quoi qu'il en soit, la longévité d'Anigo à l'OM est exceptionnelle : il est depuis près de vingt ans un cadre incontournable du club. Sa légende est savamment entretenue, appuyée sur quelques faits d'armes sportifs bien réels, comme l'épopée des Minots, la remontée de l'OM de la deuxième à la première division à laquelle Anigo participe comme joueur, ou encore, bien plus tard,une mémorable finale de Coupe d'Europe UEFA, cette fois en qualité d'entraîneur.« En cas de problèmes, il disait toujours qu'il connaissait quelques gros bras dans les quartiers », se souvient-on dans l'entourage de Bernard Tapie, qui, le premier, lui donna sa chance d'entraîner l'équipe. Mais l'idylle fut de courte durée.
La porosité entre le milieu et l'OM remonte à quelques décennies. Le point d'orgue sera atteint quand, à la veille de la Coupe du monde de 1998, organisée en France, la police judiciaire se rend compte que la mafia locale dispose de toutes les clés pour accéder au stade vélodrome.« Deux mois avant le coup d'envoi, il a fallu changer toutes les serrures, se souvient un policier.On s'est aperçu que la pénétration du milieu n'était pas une légende. » Plutôt que de rechercher les responsables, les enquêteurs ont préféré parer au plus pressé, non sans faire le rapprochement avec certaines fréquentations de José Anigo.
C'est dans cette ambiance que grandit le fils ... En octobre 2006, quand le jeune homme est repéré, il est au volant d'une Twingo noire. Le véhicule a été loué par l'Olympique de Marseille pour son père, José. Le rejeton s'en servait pour aller faire des repérages, notamment dans l'arrière-pays, où avec des complices il était soupçonné d'avoir volé plus de 19 000 euros dans l'attaque d'un bureau de poste. José Anigo n'avait pas vraiment besoin d'une voiture, lui qui roule en 4 X 4.« Ça fait partie des bizarreries de gestion à l'OM. Anigo n'était pas le seul à bénéficier de cet avantage en nature totalement injustifié », se souvient un des chefs de la police judiciaire ,qui a bouclé le fils Anigo en 2007. Libéré à la suite d'une erreur de procédure après trois ans de détention provisoire, Adrien Anigo avait-il l'intention de renouer avec son passé et de remonter une équipe de braqueurs ? Son père lui a offert la gérance du Castell York, une brasserie de la place Castellane, pour essayer de le détourner de ses mauvaises fréquentations.
Pour la police, une chose est sûre : « La victime était un voyou et il n'a jamais disparu des radars de la police , comme le confie Christian Sainte, le patron de la police judiciaire de Marseille.Mais, à ce stade de l'enquête, aucune piste n'est privilégiée », dit-il. Et elle s'annonce fastidieuse : « Les enquêteurs rechignent désormais à travailler avec des "tontons" de peur qu'un jour on le leur reproche, à l'instar de Michel Neyret », précise Pierre Folacci, l'ancien numéro deux de la BRB à Marseille.
Lors de leurs perquisitions effectuées après sa mort au domicile d'Adrien Anigo, les enquêteurs ont découvert des munitions de différents calibres après avoir retrouvé dans son véhicule le kit du parfait braqueur, une paire de gants et une cagoule. De quoi relativiser les propos de Me Christophe Bass, l'avocat d'Adrien Anigo, qui affirme que son client était sorti de la délinquance et accuse les médias d'être trop prompts à le décrire en voyou.
Le fils du directeur sportif de l'Olympique de l'OM, père de deux enfants, affiche pourtant un imposant pedigree. Neuf condamnations prononcées par le tribunal correctionnel de Marseille entre 2001 et 2005 pour des faits de vols, menaces de mort, conduite sans permis en récidive ou encore dégradations et rébellion. Il avait ensuite été écroué en mars 2007, aux côtés de trois autres comparses, pour sa participation présumée à plusieurs vols à main armée de bijouteries. Il était soupçonné d'être impliqué dans 12 braquages commis en 2006 et 2007 dans la région, pour un préjudice global estimé à 1,5 million d'euros. Il devait comparaître en mars 2014.
Rangé Adrien Anigo, vraiment ? Un autre scénario le présente engrangeant des connaissances en prison, où il a passé trois ans, et les mettant à profit pour trafiquer de la cocaïne.« Aujourd'hui, avec des grossistes incarcérés à Marseille, n'importe quel minot peut se mettre au trafic de drogue. Pour les anciens comme moi, c'était beaucoup plus long et plus difficile, se souvient un trafiquant repenti, aujourd'hui au service d'un élu.Maintenant ils ont le gros dealer à domicile... »
Les armes qui ont servi à l'assassinat d'Anigo portent certes la signature du grand banditisme. Certains se demandent si, en tuant le fils, on n'a pas voulu lancer un avertissement au père... Mais une des pistes envisagées par les enquêteurs de la DIPJ mène au trafic de cocaïne. Pour tout Marseillais initié, Frais-Vallon, le quartier où il a été tué, c'est celui de la poudre.
Armel Mehani et Aziz Zemouri (envoyé spécial à Marseille) « Il voulait s'en sortir »
Me Christophe Bass assurait la défense d'Adrien Anigo depuis 2007 :
« J'ai senti chez lui une réelle volonté de s'en sortir. Il a été très éprouvé par ses trois ans de détention provisoire, un temps anormalement long. Son père, José, était très présent durant cette période, mais encore davantage lors de sa sortie. Sa fin tragique brouille la biographie d'Adrien. On colporte trop souvent les thèses de l'accusation, que j'aurais pu récuser s'il y avait eu procès. »
« Infernal Affairs », un film culte
C'est le titre d'un thriller chinois de Hongkong (2002) qui raconte la lutte impitoyable entre une triade et la police. Martin Scorsese en a réalisé un remake en 2006, « The Departed », en français « Les infiltrés ».