BERNARD LACOMBE et JOSÉ ANIGO, avant Lyon-Marseille demain, échangent sur la difficulté d’exercer dans le club de leur ville.À cinquante-huit ans, le premier œuvre aux côtés du président de l’OL, Jean-Michel Aulas, depuis 1988. Le second, qui vient de fêter son cinquantième anniversaire, est directeur sportif de l’OM, où il a exercé tous les postes. Bernard Lacombe incarne l’Olympique Lyonnais comme José Anigo l’Olympique de Marseille. Hier après-midi, à l’invitation de L’Équipe, « Jo » et « Nanard » ont échangé sur leur attachement à leur club, leur image, leurs relations parfois compliquées avec leur entraîneur, le match de demain. Une conversation enjouée entre deux hommes qui ne manquent pas d’humour mais qui savent aussi sortir leurs griffes...
MARSEILLE et LYON –de nos envoyés spéciaux
José ANIGO : « Ça va, Bernard ? Pas trop de panique ?»
Bernard LACOMBE : « Non, ça va. On est très sereins. Comme William. (Éclats de rire.)
– José, Bernard Lacombe est un modèle pour vous, paraît-il...
J. A. : À Lyon, j’ai trois modèles : le club, Bernard Lacombe et Jean-Michel Aulas. Aulas, on aime ou on n’aime pas. Je me prends la gueule avec lui, dans le truc qui me plaît, le conflit gentil. Mais cet homme, d’abord, il est compétent, il a fait de ce club ce qu’il est aujourd’hui. Bernard, c’est l’allié parfait, c’est la connaissance du foot qui devait manquer à son président au début. C’est un beau tandem. Et l’OL, vu de l’extérieur, c’est un gage de sérieux. Il n’y a pas la passion de Marseille, mais c’est un beau modèle.
B. L. : Je voudrais rappeler que si l’OL a grandi et est remonté dès notre première année, en 1989, c’est parce que Raymond Domenech nous a permis de le faire. Il a fait un travail immense. Et puis, j’ai eu la chance de travailler avec un grand monsieur, qui est notre président. Il peut être parfois un peu agaçant pour les autres (sourires), mais c’est un immense dirigeant.
– Bernard, on dit que Didier Deschamps pourrait vous intéresser. C’est vrai ou pas ? José aimerait bien être au courant...
B. L. : (Sourires.) Non, non. Franchement, contacter à quelques matches de la fin l’entraîneur d’un rival direct, non. Didier (Deschamps) a fait un travail énorme à Marseille, il a été champion l’an passé, et je pense qu’après sa défaite à Gerland, l’OM sera champion... (Rires.)
– Cet été, on doit prévoir des mouvements entre Lyon et Marseille ?
J. A. : Non. Bernard m’en aurait parlé. Nous serons très sages dans le recrutement. Sérieusement. Deux recrues, c’est le souhait de Didier.
B. L. : Nous, on va essayer de donner la possibilité aux jeunes de s’intégrer. Le petit Lacazette, le petit Grenier, Kolodziejczak, Gassama. Ils seront certainement beaucoup plus utilisés la saison prochaine.
– Il y a des joueurs de l’OM qui vous plaisent ?
B. L. : Oui. Celui que vous critiquez toujours : Lucho. Et surtout, la grinta des défenseurs, Taiwo, Heinze, Diawara, Fanni...
J. A. : C’est la force du club, Bernard. C’est une équipe qui a un gros caractère et de grosses personnalités. Elle ne produit pas un jeu magnifique, mais elle sait gagner. C’est pour ça que je ne suis pas inquiet de venir à Gerland...
B. L. : Ah, attention, hein ! (Sourires.)
– Il y a deux ans, Lyon avait donné le titre à Bordeaux en gagnant à l’OM (3-1), et l’an passé, l’OM s’était propulsé vers le titre en battant Lyon (2-1)...
J. A. : Bernard est honnête, donc il va nous le confirmer. Il y a deux ans, notre président avait dit que Lyon était largué, ou je ne sais plus quoi, et les Lyonnais avaient fait le match de leur vie en nous privant du titre.
B. L. : C’est Pape Diouf qui avait dit ça, oui... Benzema avait été énorme.
– Dans votre vie quotidienne, ça change quoi de travailler dans le club de votre ville ?
B. L. : On est plus exigeants avec nous. Quand j’étais entraîneur (de 1996 à 2000), Fleury Di Nallo me disait que si un type venu de Pétaouchnock avait fait la même chose que moi, on aurait reconnu ses compétences.
J. A. : C’est pour ça que je n’entraînerai plus jamais Marseille. Quand tu es entraîneur du cru, il y a trop de proximité, trop de pression. Pour toi, tes enfants à l’école, ta femme qui fait les courses. Et on te parle sans arrêt du match suivant, des joueurs que tu fais jouer ou pas... À Marseille, quand tu gagnes, ça va, mais quand tu ne gagnes pas, t’es le plus gros des tocards...
B. L. : Je sais que mes deux fils, quand ils ont vu toutes les difficultés que j’ai pu rencontrer, ne savaient plus ce qui se passait. Ils étaient complètement déphasés et en ont beaucoup souffert.
– Mais pourquoi ne pas avoir exercé vos compétences professionnelles ailleurs ?
B. L. : On a eu la chance de débuter dans le club de notre ville. J’avais huit ans, je venais avec mon papa au stade, et quand je rentrais le soir, je disais à table : “Moi, je serai l’avant-centre de l’OL.” À dix-sept ans, mon rêve s’est réalisé. Ici, je vis ma passion. Quitter tout ça aujourd’hui, je dis non. Quand j’étais entraîneur, je voyais tout ce que l’on pourrait faire dans le club pour progresser. Et un peu après, je suis allé au Brésil chercher Edmilson. Le seul joueur que j’aie fait venir sans qu’on me l’ait demandé, c’est Juninho...
J. A. : Ça va, Bernard, ils ne t’en ont pas trop voulu... (Rires.) Je vis une véritable histoire d’amour avec mon club. J’ai eu quelques propositions, il m’arrive encore d’en avoir, mais je n’ai pas le courage de partir. Je crois que je partirai le jour où l’on me mettra dehors... Je ne me vois pas vivre autre chose avec un autre club.
– Bernard, comment voyez-vous José ?
B. L. : Déjà, je l’ai vu suffisamment de près quand il était joueur, parce qu’il me filait des emplâtres quand j’étais à Bordeaux ! Je l’embêtais, José. J’aimais bien les joueurs comme lui, allez, un peu lourds ! Il filait du bois. Quand tu arrivais en retard, il prenait tout.
J. A. : C’est pour ça que tu décrochais bien. (Rires.)
B. L. : J’entends plein de choses sur José. On a passé une journée ensemble au Futuroscope de Poitiers pour un tirage au sort de la Coupe de France (le 12 décembre 2005). J’ai ressenti chez lui ce que je ressens pour mon club. La vision que l’on a parfois des gens est complètement différente de la réalité. Après, on ne pourra jamais faire l’unanimité.
– On dit que vous compliquez la vie de vos entraîneurs...
J. A. : Bernard est beaucoup plus sage. Mais ce que j’aime, c’est qu’il porte sa paire de c... Quand il a envie de dire que ça ne va pas, il le dit. Ça ne veut pas dire qu’il est contre l’entraîneur, contre son club. Quand je le fais, ce n’est pas contre Didier. C’est pour faire avancer les choses. On dit qu’entre Bernard et Puel, ça ne fonctionne pas. Pareil entre Didier et moi. Dans les deux cas, c’est faux. On n’a pas forcément besoin d’être les meilleurs amis du monde pour travailler. Juste de bons professionnels. Didier en est un. Comme Lacombe, comme Puel.
– Éprouvez-vous parfois un sentiment de dépossession face à vos entraîneurs ?
J. A. : Le mot est un peu fort. L’OM ne m’appartient pas. Il appartient à Margarita Louis-Dreyfus. Mais je pense qu’on ne se sert pas toujours de notre connaissance du terrain et des hommes.
B. L. : Quand tu arrives à Lyon, qui vient de gagner sept titres (de champion de France de 2002 à 2008), je pense que tu dois aller vers les uns et les autres, être à leur écoute. Ce n’est pas une attaque frontale. Claude a voulu aller vite. Mais quand tu arrives dans un club comme le nôtre, tu vas, à dose homéopathique, changer des petites choses. Parce que c’est ta vision. En voulant tout changer, parfois, tu peux aller dans le mur.
J. A. : À notre poste, la longévité est plus grande. Peut-être plus chez toi d’ailleurs, Bernard. Même si je dure et que je m’étonne. Ce qui est certain, c’est qu’on n’utilise pas vraiment notre connaissance du club et de l’environnement. Ou alors, on pense que l’on veut grignoter sur la partie sportive. Je n’en ai pas du tout envie. Dans les compos d’équipes, dans la tactique, je n’échange pas avec Didier. Quand j’étais entraîneur, je n’aurais pas voulu qu’on le fasse.
B. L. : On ne va pas marquer des buts contre notre camp.
J. A. : C’est très difficile à faire comprendre aux gens.
B. L. : Si on fait une réflexion, les choses sont interprétées de façon particulière.
J. A. : Surtout si, autour des entraîneurs, il y a des personnes qui attisent un peu, des pompiers pyromanes. Moi, je trouve le travail de Didier bien fait. Je n’ai pas de conflit avec lui. Moi, un entraîneur qui fait gagner mon club, ça me va bien.
B. L. : Pareil pour moi, José. Pareil.
– Et votre confrontation du week-end, vous la voyez comment ?
B. L. : Ne m’en parlez pas. La saison passée, j’avais pronostiqué un 0-0 et on avait fait 5-5. On va écraser Marseille 1-0. Pour notre équipe, heureusement qu’on joue Marseille, après ce match de dimanche à Toulouse où l’on a atteint la nullité (0-2). Je pense que les supporters iront dans le sens de l’équipe. Il y aura certainement des choses à la fin du match si ça se passe bien. Et si ça se passe mal aussi.
J. A. : Bernard, tu imagines ne pas jouer la Ligue des champions ?
B.L. : Non. On a deux matches à domicile, contre vous et Caen. On va à Auxerre, Brest et Monaco. C’est compliqué mais les joueurs doivent prendre quinze points. Ce sera très difficile.
J. A. : Tu peux en enlever trois déjà. (Rires.)
B. L. : Ceux du dernier match à Monaco ? (Rires.) »
VINCENT DULUC, HERVÉ PENOT et RAPHAËL RAYMOND