A la veille des révélations de Mediapart, un travail d'étiquetage avait déjà démarré à la Fédération française de football (FFF). Pour étayer leur théorie sur le trop-plein de gamins dits «binationaux» dans les centres de formation, des cadres de la direction technique nationale (DTN) avaient commencé à bricoler, dans leur coin, des statistiques sur l'origine étrangère présumée des principaux jeunes joueurs français.
Objectif: convaincre la Fédération de l'ampleur du «problème», et de la nécessité de prévenir un futur «exode» sportif en instaurant des quotas discriminatoires dès l'âge de 12 ans, à l'entrée des pôles Espoirs.
Mediapart publie ici le graphique que François Blaquart, le directeur technique national (suspendu le 30 avril), brandissait ces dernières semaines en interne, en répétant à l'envi que «les binationaux représentent 40 à 50% des sélections nationales de jeunes!».
Derrière ce mot abusif de «binationaux» se cachent en réalité, comme Mediapart l'a déjà expliqué, des jeunes Français, exclusivement français à ce stade de leur vie (à quelques exceptions près), qui pourraient être tentés, plus tard, d'acquérir une seconde nationalité (celle de leur mère, de leur grand-père, ou d'un autre ascendant), pour rejoindre une sélection étrangère, le plus souvent par dépit.
La présentation caricaturale de ces chiffres, autant que la manière dont François Blaquart raconte à Mediapart les avoir récoltés, illustrent la logique dans laquelle la DTN s'était engluée.
© FFF
Ce graphique, réalisé à la sortie de l'hiver 2011, porte sur l'ensemble des footballeurs appelés depuis septembre 2010 dans les équipes de France «jeunes» (celle des 16 ans, celle des 17 ans, etc., jusqu'à 21 ans). Comment faut-il le lire? Pour la DTN, 39% des adolescents sélectionnés en équipe de France des «16 ans» sont des «binationaux» potentiels (tous pays confondus).
Le choix des mots et des couleurs est parlant. Les Français d'origine étrangère, ou supposément étrangère, sont présentés comme «susceptibles à tout moment d'opter pour une autre nation sportive». De lâcher la France, en clair, à n'importe quel tournant.
A ceux-là, on attribue la couleur jaune, «symbolique de la trahison» (dixit le Dictionnaire culturel en langue française d'Alain Rey). Comme si l'enfant d'immigré de deuxième, troisième, voire quatrième génération, qui prend trop de place chez les Bleus, devenait inconsciemment un «jaune» (surnom donné aux briseurs de grève et autres félons), quand ses camarades ont droit au bleu du maillot de l'équipe de France.
Alors comment la DTN a-t-elle repéré ces «binationaux» virtuels? Sur quels critères? Scientifiques? Subjectifs?
La couleur de peau les a-t-elle guidés? Sans doute, puisque Laurent Blanc a estimé, lors de la fameuse réunion du 8 novembre 2010, que «tous les blacks, si tu enlèves les Antillais, ils ont des origines africaines et vont pouvoir aller dans une équipe africaine...». Dans l'esprit du sélectionneur de l'équipe de France, tous les «blacks» sont «binationaux» en puissance – à l'exception des ultramarins.