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Un système à qui perd gagne
Depuis vingt-cinq ans, l'OM a confié la commercialisation de ses abonnements en virage à ses groupes de supporters. Chaque partie assure y trouver son compte. Enquête sur une pratique unique au monde.
On appelle ça un héritage. Certains diront qu'il est encombrant. D'autres que c'est une richesse. Instauré sous la gouvernance de Bernard Tapie, le système de commercialisation des abonnements par les groupes de supporters de l'OM perdure plus de vingt-cinq après. Les directions successives du club marseillais ont conservé ce fonctionnement qu'aucun club au monde n'utilise. Dans "La Provence" du 31 décembre, Vincent Labrune a été limpide : "Depuis que je suis devenu président du conseil de surveillance en janvier 2008, ça a été clair : il n'a jamais été question ni de près ni de loin de remettre ce système en cause. On considère qu'il a fait ses preuves."
Tapie voulait remplir le stade
C'est à l'arrivée de Bernard Tapie en avril 1986 que l'idée a commencé à germer. "La première fois qu'il est venu au stade, il n'y avait pas beaucoup de monde, raconte Jean-Louis Levreau un proche de "Nanard" qui devint son vice-président. Quand l'équipe a commencé à bien tourner, on a mis ça en place. C'était un moyen de favoriser le développement du club. Les supporters ont pu créer des locaux, vendre des produits dérivés et ils remplissaient le stade. Ils participaient au spectacle. Tout le monde y trouvait son compte." Mais en 2013, à l'heure du football-business, est-ce encore le cas ?
Récemment dans "L'Equipe Magazine", Christophe Bouchet, l'ex-président de l'OM estimait : "Beaucoup de gens présentent ça comme un inconvénient, et il est réel, c'est une spécificité pas facile à gérer. Mais cela peut aussi être un avantage."
En perpétuant ce système, l'OM s'est assuré un taux de remplissage élevé. Même en temps de crise sportive pour lui et/ou économique dans le pays, le stade vélodrome conserve une affluence constante. "A une époque, ils ont permis au club de tenir", rappelle justement Jean-Louis Levreau. Les neuf groupes de supporters affichent leur fidélité. Les six plus importants, présents dans les virages, représentent 28.000 adhérents et autant d'abonnés potentiels. Si en 2012-13, le nombre d'abonnés a chuté c'est à cause des travaux du stade et des résultats décevants de la saison dernière.
Les supporters sont devenus des interlocuteurs
Mais le socle reste solide avec plus de 30.000 abonnés. Longtemps, l'OM a pu compter sur 42.000 fidèles. Nul doute, que la jauge remontera à partir de 2014. "L'animation, les tifos dans le stade, c'est notre force et notre différence. C'est un pilier de l'OM, explique Cédric Dufoix le secrétaire général du club présent depuis bientôt quinze ans. Nous avons une relation saine avec les groupes de supporters. On veut maintenir un football avec une ferveur populaire." C'est cette volonté qui a poussé l'OM à empêcher la construction de loges qui auraient encerclé le nouveau stade vélodrome sur les quatre côtés en traversant les virages.
Grâce à ce schéma, l'OM a pu établir une véritable relation avec ses suiveurs. Les groupes de supporters sont des interlocuteurs directs pour les dirigeants mais aussi les pouvoirs publics. Lorsqu'il fut question de combattre les fumigènes, la communication entre la direction et les responsables des virages a permis d'éradiquer ce phénomène interdit par la loi. Les fans ont compris qu'ils coûtaient très cher au club et qu'ils risquaient la dissolution. Sur ce dossier, l'OM a manié la carotte et le bâton.
L'OM reste très vigilant
Avec ce lien direct, le club olympien peut garder un oeil sur l'arrière-boutique évitant ainsi des dérives. Un exemple : il y a quelques années, l'OM avait noté l'islamisation de la direction d'un groupe du virage nord qui avait supprimé l'alcool de sa buvette où les femmes n'avaient plus accès... Le rappel à l'ordre des dirigeants avaient suffi pour un retour à la normale. Cet échange franc et direct est le fondement de ce système atypique. Là où le Paris Saint-Germain a dû dissoudre les groupes pour établir la paix, l'OM a réussi à intégrer ses fans à sa machine depuis des lustres.
Dialogue social, remplissage, ambiance, tribunes apaisées... on se demande pourquoi l'OM est le seul club au monde à pratiquer de la sorte. Peut-être parce que tout n'est pas si rose sous le soleil du vélodrome. Parmi les inconvénients, il y a bien évidemment l'aspect financier. Même s'il a conservé la vente des places en tribunes latérales, l'OM n'a pas l'emprise totale sur la billetterie qui constitue le troisième pôle de son budget global après le sponsoring et les droits TV. Difficile avec un tel système de rivaliser avec les grands clubs européens, qui pratiquent une politique tarifaire parfois exhorbitante qui offrent des moyens sans commune avec l'OM.
Il est ardu de chiffrer le manque à gagner pour l'OM car personne ne sait combien le club vendrait ses places en virage s'il en avait la commercialisation exclusive. Mais en cédant 145 euros un abonnement pour 19 matchs de L1 quand les groupes de supporters le rétrocèdent 180 euros, l'écart est déjà substantiel. Et rien n'empêcherait l'OM de le monnayer encore plus cher.
"On préfère perdre du fric que notre âme"
Au fil des années, Yankee, Ultras et autres Dodger's se sont élevés en rempart face à la flambée des tarifs. Selon nos informations, l'OM est aussi tenu par une promesse faîte au Maire de la ville Jean-Claude Gaudin de ne pas augmenter les prix de manière constante et encore moins à partir de 2014. Personne n'oublie que le Vel' est un stade municipal... Cédric Dufoix résume : "Il y a un manque à gagner mais on préfère perdre du fric que notre âme. C'est cohérent par rapport à la ville."
En traitant ses supporters comme des partenaires et non pas comme des simples clients, l'OM leur a donné un moyen de peser sur la vie du club. Au fil des années, s'est instillée le sentiment que le club leur appartient. "La politique interne donne l'impression que dans ce club, l'actionnaire n'est pas le patron, qu'il ne gère pas ce qui se passe. La gestion des abonnements cédée aux supporters c'est très problématique", estime Frédéric Bolotny un économiste du sport qui se projète dans l'optique d'une vente future du club. Pour les observateurs, cette spécificité marseillaise serait un frein important pour un repreneur potentiel.
"C'est gravé dans le marbre. Ce serait une erreur de changer"
Par le passé, les groupes de supporters, qui ont leurs entrées à la commanderie, ont pu exercer une pression malsaine sur les joueurs ou des entraîneurs. Aujourd'hui, ils se contentent de revendiquer. "Sous la direction de Tapie, il y avait un patron et les supporters ne commandaient pas, affirme Jean-Louis Levreau. Leur pouvoir a pris de l'ampleur à cause des mauvais résultats et des différents changements de directions, de présidents, de directeurs, d'entraîneurs..."
Quoiqu'on en dise ce système gagnant-gagnant a résisté à toutes les tempêtes. Des dirigeants ont bien tenté de s'y attaquer mais ils ont perdu la guerre des tribunes. Si un jour, la révolution doit s'opérer, elle ne pourra provenir que de l'actionnaire de l'OM. Robert Louis-Dreyfus n'a jamais voulu y toucher. Margarita n'y a même pas songé. Même l'entrée dans le nouveau vélodrome ne devrait pas changer la donne. Si un nouveau propriétaire débarquait avec l'intention de faire table rase, il lui faudrait avancer de solides arguments et s'appuyer sur des reins (et des épaules) solides.
"C'est gravé dans le marbre. En plus, ce serait une erreur de changer", nous assure un haut dirigeant olympien sous couvert d'anonymat. "C'est un élément indispensable de la vie de la cité", jure Jean-Louis Levreau. Un dirigeant historique de l'OM prévient : "Pour changer ce système, il faudrait trouver quelque chose comme à Paris qui a fait le ménage après de graves incidents. Mais que voulez-vous reprocher aux supporters marseillais ?" Rien. Car au fil du temps, mêmes les plus insoumis ont compris qu'ils avaient beaucoup à perdre...